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Glyphosate et autisme : retour sur une «fake news»

Le glyphosate serait à l’origine d’une épidémie de maladies chroniques, en particulier de la hausse supposée de cas d’autisme. Enquête sur l’origine de cette rumeur, savamment entretenue par l’écolosphère.

Parmi les lourdes accusations portées par les militants anti-pesticides contre le glyphosate figure en bonne place l’affirmation selon laquelle il existerait un lien entre ce désormais maudit herbicide et la progression de l’autisme. La rumeur circule – telles les « fake news » dénoncées tout récemment par le Président Macron – au point qu’une simple recherche sur Google à partir de ces deux mots, «glyphosate » et « autisme », renvoie à pas moins de 25000 occurrences.

Tout naturellement, ces accusations ont été reprises dans Le Roundup face à ses juges, le dernier opus de la militante Marie-Monique Robin, qui s’appuie principalement sur des arguments développés par deux figures américaines de la lutte contre le glyphosate : Anthony Samsel et Stephanie Seneff, présentés respectivement comme « biochimiste » et « chercheur scientifique principal au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) ». Or ni l’un ni l’autre ne possède de qualification dans le domaine de la santé en général et de l’autisme en particulier. Titulaire de l’équivalent d’une licence en biophysique, Seneff est bien chercheuse au MIT, mais rattachée au laboratoire d’informatique et d’intelligence artificielle, tandis que Samsel dirige une société de services, Samsel Environmental and Public Health Services, créée il y a maintenant trente-sept ans et qui réalise des « enquêtes communautaires sur les pollueurs industriels ».

Quelles que soient leurs compétences, ces deux acolytes ont commencé à défrayer la chronique avec un premier article publié dans la revue Entropy en janvier 2013. Intitulé « Glyphosate’s Suppression of Cytochrome P450 Enzymes and Amino Acid Biosynthesis by the Gut Microbiome: Pathways to Modern Diseases », l’article prétend démontrer « comment les effets indésirables du glyphosate sur le microbiote intestinal, en conjonction avec sa capacité à inhiber l’activité des enzymes cytochromes P450 (CYP) et l’altération probable du transport des sulfates qu’il engendre, peuvent expliquer de manière remarquable un grand nombre de maladies et d’états pathologiques qui prévalent dans le monde moderne industrialisé ». Selon les auteurs, le glyphosate pourrait contribuer de façon plausible à l’émergence non seulement de l’autisme, mais également des maladies inflammatoires intestinales, de l’obésité, de la dépression, de la maladie d’Alzheimer, de la maladie de Parkinson, de la sclérose en plaques, du cancer, de la cachexie, de l’infertilité et des malformations du développement. Bref, le poison absolu.

La cause de toutes ces « maladies modernes »

Dans cinq autres articles publiés par la suite, Samsel et Seneff décrivent chaque fois le rôle supposé du glyphosate dans toutes ces « maladies modernes ». Y compris la maladie cœliaque, plus connue sous l’expression « intolérance au gluten ». « Anthony Samsel (…) et Stephanie Seneff ont décidé de s’intéresser à l’origine d’une maladie qui s’est particulièrement développée ces dernières années. Publiés par la revue trimestrielle scientifique Interdisciplinary Toxicology, les résultats de l’étude qu’ils ont menée risquent bien d’inquiéter l’une des plus célèbres firmes américaines : Monsanto », note en guise d’introduction Justine Mazzoni

Les affirmations de Samsel et Seneff n’ont donc pas été prises au sérieux par la communauté scientifique.

dans un article publié dans Le Point en mai 2014, lors de la parution de l’étude intitulée « Glyphosate, pathways to modern diseases II : Celiac sprue and gluten intolerance » . Elle poursuit : « Anthony Samsel et Stephanie Seneff ont en fait découvert que l’intolérance au gluten était liée à l’utilisation massive du Roundup, herbicide le plus utilisé au monde et produit phare de Monsanto. La substance active de ce désherbant commercialisé depuis 1975, le glyphosate, serait “le facteur le plus important de cette épidémie”, d’après cette étude. »

Comme le remarque Sciences et Avenir, cette « découverte » n’a toutefois pas vraiment convaincu la communauté médicale. Bien plus modéré dans ses conclusions , le magazine scientifique constate plutôt que « cette étude a provoqué la consternation de certains chercheurs qui contestent vivement la véracité de ces résultats ». « Les auteurs de l’étude n’ont effectué aucune recherche mais ont compilé une littérature douteuse et en ont tiré des conclusions ambiguës, que les médias ont repris sous forme d’affirmations », note ainsi Avner Bar-Hen, président de la Société française de statistique. Le professeur à l’université Paris-V résume de manière fort imagée la méthodologie des deux chercheurs: « C’est un peu comme si j’affirmais que la pluie peut expliquer la chute de popularité de François Hollande, en fondant ma démonstration sur la météo et un livre de sondages. Ma conclusion serait d’inviter les gouvernants à reconsidérer les politiques publiques en interdisant la pluie le week-end ou la distribution de parapluies ! »

Même constat de Luc Multigner, épidémiologiste à l’Inserm et spécialiste des effets des pesticides sur la santé: « Certaines figures de l’étude n’établissent aucun lien sérieux de cause à effet entre l’intolérance au gluten et le Roundup de Monsanto. Si les auteurs les avaient corrélés avec l’augmentation du timbre poste en Tasmanie ou avec l’évolution du nombre de connexions Internet au Tadjikistan au cours de la même période, ils auraient abouti à des conclusions similaires.». Les affirmations de Samsel et Seneff n’ont donc pas été prises au sérieux par la communauté scientifique.

Focus sur l’autisme

Cependant, dans leur croisade anti-glyphosate, Samsel et Seneff insistent sur une autre maladie : l’autisme. A l’occasion d’une conférence en juin 2014, Seneff n’a pas hésité à faire une déclaration suffisamment fracassante pour qu’elle soit relayée à de nombreuses reprises dans les médias et sur les blogs à tendance écolo et santé naturelle : « A la vitesse où vont les choses, d’ici 2025 un enfant sur deux sera autiste aux Etats-Unis. » Dans leur première publication, Seneff et Samsel affirment ainsi que « la récente augmentation des taux de diagnostic de l’autisme aux Etats-Unis est alarmante ». « Une revue de la littérature sur le glyphosate a confirmé nos soupçons selon lesquels ce dernier pourrait jouer un rôle, et nous a amenés à croire que le glyphosate constitue probablement la toxine environnementale qui contribue le plus à l’autisme », poursuivent-ils dans l’article.

La preuve formelle en est apportée à travers un graphique à deux courbes que Seneff a présenté au cours d’une conférence à laquelle Marie-Monique Robin participait : « L’une indiquait la progression de l’usage du Roundup dans les champs américains ; l’autre, celle du nombre de cas d’autisme enregistrés, année par année, par le Center for Disease Control and Prevention d’Atlanta.»

Convaincue, la journaliste écrit dans son livre : « Et il est vrai que les deux courbes coïncident parfaitement, avec un décollage exponentiel amorcé autour de 1995.»

Les deux auteurs ont simplement élaboré « un échafaudage intellectuel qui n’est pas un travail scientifique, mais une sorte de version biologique de la théorie du complot », constate François Belzile.

Bref, on retrouve dans le cas de l’autisme exactement la même méthodologie que celle utilisée pour démontrer le prétendu lien entre glyphosate et intolérance au gluten : une simple corrélation statistique sans signification de causalité. Et ce n’est pas tout…

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Selon le quotidien québécois Le Soleil, qui a interrogé le professeur de phytologie de l’Université Laval François Belzile, l’hypothèse d’une altération de l’activité des enzymes cytochromes P450 (CYP) n’est pas crédible. « D’abord, les CYP sont “une très vaste famille” d’enzymes qui peuvent varier beaucoup d’une espèce à l’autre, ce dont l’article ne tient pas compte. Ensuite, ils passent à côté du fait que le glyphosate a déjà été testé sur les CYP humains et qu’il ne les inhibe pas – sauf un, le poétiquement dénommé 2C9, mais cela implique des concentrations impossibles à atteindre en pratique dans le corps humain. Le pire, c’est que Samsel et Seneff citent eux-mêmes cette étude sur les CYP humains dans leur article, mais ils ont apparemment choisi d’ignorer les passages qui démolissaient leur thèse », note François Belzile, qui n’hésite pas à conclure que les deux auteurs ont simplement élaboré « un échafaudage intellectuel qui n’est pas un travail scientifique, mais une sorte de version biologique de la théorie du complot».

Une critique dévastatrice

Interrogée par Marie-Monique Robin sur les arguments de leurs détracteurs, Stephanie Seneff répond : « Je connais l’argument ! Il revient régulièrement sous la plume des industriels ou de leurs affidés. » Réponse classique qui permet d’écarter toute réfutation ! Pourtant, les critiques les plus dévastatrices quant aux arguments des deux militants américains émanent de deux auteurs scientifiques, Robin Mesnage et Michael Antoniou, franchement peu soupçonnables d’être des affidés des industriels. Membres du conseil scientifique du CRIIGEN de l’avocate Corinne Lepage, Mesnage et Antoniou sont en effet plutôt connus pour leur engagement contre les pesticides de synthèse. Co-auteurs de plusieurs études sur le glypho- sate avec Gilles-Eric Séralini, Robin Mesnage a rédigé fin 2013 une thèse au sujet des effets sur la santé à long terme des pesticides et des OGM.

Les cinq erreurs de Samsel et Seneff

En novembre 2017, en plein débat sur le glyphosate, Mesnage et Antoniou ont publié un article détaillé intitulé « Faits et erreurs dans le débat sur la toxicité du glyphosate ». Leur papier se focalise sur Anthony Samsel et Stephanie Seneff, les deux auteurs d’« une série de commentaires suggérant qu’une exposition prolongée au glyphosate est responsable de nombreuses maladies chroniques (cancers, diabète, neuropathies, obésité, asthme, infections, ostéoporose, infertilité et malformations congénitales) ». Les deux responsables du CRIIGEN ont voulu examiner « la base probante de ces prétendus effets négatifs sur la santé et les mécanismes supposés être à leur origine ». Ils ont ainsi passé au crible cinq « commentaires » de Samsel et Seneff selon lesquels il existe un lien entre les expositions aux niveaux environnementaux du glyphosate et le développement d’un large éventail de maladies chroniques.

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Leur premier commentaire concerne la tentative de Samsel et Seneff d’établir un lien entre l’ingestion de glyphosate et « la plupart des maladies et affections associées à un régime occidental ». Selon les deux militants anti-glyphosate, ce dernier supprimerait l’activité de la classe d’enzymes du cytochrome P450 (CYP450) et donc la biosynthèse des acides aminés par le microbiome intestinal. Or, Mesnage et Antoniou remarquent que, dans leur commentaire, « certaines études sont déformées et mal citées ». A vrai dire, les études indiquent plutôt un effet contraire ! « Globalement, une revue de la littérature montre que le glyphosate et le Roundup sont susceptibles d’augmenter l’activité du CYP450 », notent Mesnage et Antoniou.

Le second commentaire revient sur le prétendu impact du glyphosate sur « l’épidémie » d’intolérance au gluten (ou maladie NCGS). Mesnage et Antoniou réfutent aussi cette hypothèse, expliquant que Seneff et Samsel font reposer leurs affirmations sur le syllogisme suivant :

Les critiques les plus dévastatrices quant aux arguments de Samsel et Seneff émanent de deux auteurs scientifiques, Robin Mesnage et Michael Antoniou, franchement peu soupçonnables d’être des affidés des industriels…

« Puisque le glyphosate pourrait avoir des effets sur le microbiome intestinal et puisque la maladie NCGS est associée à des déséquilibres dans les populations bactériennes intestinales, le glyphosate pourrait expliquer complète- ment l’étiologie de cette maladie. » Sauf que pour les deux responsables du CRIIGEN, un « lien de causalité entre le glyphosate et les troubles intestinaux associés au microbiome intestinal demeure hypothétique ». Et surtout rien dans la littérature scientifique ne permet d’affirmer le contraire.

Dans un troisième commentaire, il est avancé que la chélation du manganèse par le glyphosate est une cause de maladies chroniques. Or, sur les 328 références citées dans le papier de Seneff et Samsel, qui soutiennent cette hypothèse, « une seule étude rapporte les effets du glyphosate sur les niveaux de Mn chez les animaux », notent Mesnage et Antoniou, précisant que dans cette seule étude les niveaux de Mn anormalement bas « n’étaient pas corrélés avec les niveaux urinaires de glyphosate ».

Est ensuite abordé le quatrième commentaire : « Le message principal de cette publication est que le glyphosate, étant un dérivé de la glycine, peut se substituer à l’acide aminé natif dans les protéines. Sur la base de cette supposition, il est postulé qu’une telle mauvaise incorporation de glyphosate à la place de la glycine peut conduire à un mauvais repliement de la chaîne polypeptidique et à une biochimie cellulaire aberrante, susceptible de conduire à la maladie. » Encore une fois, rien ne permet d’établir l’existence de cette substitution, notent Mesnage et Antoniou, rappelant au contraire qu’« il existe de bonnes preuves expérimentales qui impliquent que cela n’a pas lieu ».

Mais c’est sur l’incidence entre le cancer et l’utilisation du glyphosate que Mesnage et Antoniou apportent la contradiction la plus dévastatrice, faisant apparaître l’incompétence évidente de Samsel et Seneff, y compris dans les traitements statistiques les plus élémentaires. « Il est bien établi qu’il y a toujours un délai ou une période de latence entre l’exposition à un cancérogène et la formation et la détection d’un cancer, le délai variant en fonction du type de cancer. Ainsi, le fait que les augmentations de l’utilisation d’herbicides à base de glyphosate se chevauchent avec, par exemple, les pics d’incidences du cancer du sein, est plus révélateur d’une absence de connexion que d’un lien entre les deux phénomènes. »

Une conclusion assassine

De façon plus générale, Mesnage et Antoniou concluent de façon assassine : « Notre analyse critique des commentaires publiés par Samsel et Seneff révèle que leurs conclusions ne sont pas étayées par des preuves expérimentales mais sont basées sur un type de logique défaillante connue sous le nom d’erreur de syllogisme. » Ils estiment : « Ainsi, les mécanismes et la vaste gamme d’affections dont Samsel et Seneff suggèrent dans leurs commentaires qu’elles résultent de la toxicité du glyphosate, sont au pire des théories infondées ou des spéculations, au mieux tout simplement incorrectes. Cette représentation erronée de la toxicité du glyphosate trompe le public, la communauté scientifique et les organismes de réglementation.»

Inutile de préciser que l’ensemble de ces critiques, pourtant totalement accessibles, a été parfaitement ignoré par les médias français…

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