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60 millions de consommateurs: la transparence à sens unique

Dans son édition d’avril 2013, la revue 60 millions de consommateurs consacre non moins de dix pages à la qualité de l’eau en France. Sous le titre anxiogène et racoleur «Qualité de l’eau : à qui faire confiance ?», elle suggère que cet élément vital ne serait pas aussi potable qu’on pourrait le penser. Nouvelle illustration du goût des médias pour les dossiers à sensation, souvent élaborés à partir d’éléments aussi peu probants que nombreux, l’«enquête» de 60 millions de consommateurs témoigne de pratiques bien éloignées de celles que l’on serait en droit d’attendre d’un magazine indépendant, censé «appartenir collectivement à tous les Français» et apporter une information vérifiée aux citoyens responsables.

Des accusations en bloc

Thomas Laurenceau, le rédacteur en chef du magazine, présente ainsi les résultats d’analyses effectuées sur 47 échantillons d’eaux en bouteille. «L’eau en bouteille n’est pas épargnée par la pollution», affirme-t-il sans ambiguïté. Pour preuve, «10 % des échantillons d’eau en bouteille analysés contiennent des traces de tamoxifène, une hormone de synthèse utilisée dans le traitement du cancer du sein». Le verdict est clair : il y a «menaces sur la qualité de l’eau». D’où l’impérieuse nécessité «d’agir avant qu’il ne soit trop tard».

Certes, l’éditorial de la revue tempère ces propos. «Ne nous méprenons pas sur les résultats des analyses, ils confirment que l’eau que nous buvons est de bonne qualité», reconnaît Thomas Laurenceau. Même «les Bretons seront heureux d’apprendre qu’ils disposent d’eaux du robinet les mieux traitées de France, cent fois moins chères que l’eau en bouteille». Mais «si nous ne faisons rien, cela risque de ne pas durer», avertit l’éditorialiste, sans toutefois expliquer d’où viendrait ce soudain laxisme…

Le dossier de 60 millions de consommateurs ne contient aucune information nouvelle. Pire, les analyses «réalisées grâce à des outils très pointus» n’ont en réalité aucune valeur scientifique. Trop faibles en nombre pour avoir une quelconque valeur statistique, et visiblement peu fiables en ce qui concerne la méthodologie, elles ne permettent pas d’être prises un tant soit peu au sérieux.

La riposte de Mont Roucous

Ces «légèretés» n’ont pas échappé à Mont Roucous, l’un des grands fabricants d’eau en bouteille mis en cause par le magazine. Averti de l’«Opération transparence» lancée par 60 millions de consommateurs avec son partenaire de circonstance, la Fondation Daniel Mitterrand France Liberté, Mont Roucous a confié la réalisation d’une contre-expertise à un laboratoire du CNRS. Et les résultats sont dévastateurs : alors que la revue retient des teneurs en tamoxifène de 138 nanogrammes par litre d’eau, le laboratoire du CNRS n’a retrouvé aucune trace de cette molécule dans des échantillons provenant de bouteilles produites quasiment à la même heure que celles analysées par le magazine !

Comment peut-on expliquer la présence de tamoxifène dans l’eau de Saint Amand, qui est captée à plus de 90 mètres de profondeur ?

Informé des résultats de cette contre-expertise réalisée par le Dr Hélène Budzinski, une spécialiste de ce type d’analyses, Thomas Laurenceau a préféré s’en tenir à ses propres analyses, pourtant non validées, indiquant simplement que les résultats sont «contestés par les entreprises ». Pourtant, 60 millions de consommateurs n’est pas en mesure d’expliquer les sources potentielles de tels résidus dans ses analyses. Pire, la revue admet ne pas «exclure totalement l’hypothèse d’une contamination extérieure aux échantillons étudiés». Et pour cause! «À ce niveau d’ultra-micro-trace, l’échantillon peut être pollué ne serait-ce que par l’air ambiant», explique la Chambre syndicale des eaux minérales.

D’autres éléments suggèrent quelques erreurs de méthologie. Ainsi, comment peut-on expliquer la présence de tamoxifène dans l’eau de Saint Amand, qui est captée à plus de 90 mètres de profondeur ? Comme le suggère le toxicologue Yves Levis, on serait plutôt en présence de «faux positifs»…

La transparence ? Pas chez nous !

Afin de lever le moindre doute, il aurait donc été indispensable d’en savoir davantage non seulement sur le laboratoire à l’origine des analyses, mais aussi sur sa méthodologie. Or, l’ «Opération transparence» s’arrête précisément à la porte de ce mystérieux laboratoire. Silence radio de la part de Thomas Laurenceau, qui refuse de communiquer sur ce sujet. «Nous n’avons pas pour habitude d’indiquer le nom des laboratoires avec qui nous travaillons», justifie-t-il, expliquant que cette politique permet au laboratoire de travailler «en toute indépendance, à l’abri des pressions». Et surtout à l’abri des vérifications…

Le lecteur de 60 millions de consommateurs devrait ainsi faire aveuglément confiance à une revue qui affirme «avoir mis en évidence des polluants» sur la base d’analyses dont il ignore tant l’origine que la méthode utilisée. Thomas Laurenceau semble bien pratiquer une «transparence à sens unique». Un comble pour une revue au service des consommateurs…

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