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Vin et santé : des vérités oubliées

Depuis la multiplication des campagnes contre l’alcool, le vin a subi une chute de consommation spectaculaire. Pourtant, il est aujourd’hui établi qu’une consommation modérée diminue les risques de maladies cardiovasculaires, neurodégénératives et de certains cancers.

Depuis plus de vingt-cinq ans, la France assiste à une baisse structurelle de sa consommation de vin. Alors que 54 millions d’hectolitres avaient été consommés en 1975, moins de 35 millions l’ont été en 2005. Et la consommation annuelle moyenne par individu a été pratiquement divisée par deux durant cette période. Depuis quatre ans, on observe même une accélération marquée de cette baisse (22%). Cette chute devrait toutefois se réduire à « seulement » 2,9 % entre 2008 et 2012, selon une étude du cabinet britannique International Wine and Spirit Record (IWSR), rendue publique le 13 janvier 2009. La croissance en volume des vins rosés atténuerait la poursuite de la chute des vins rouges (moins 7%), note pour sa part l’agence de presse ActuAgri.

Ce phénomène a fait l’objet d’une étude réalisée par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des condition de vie (Credoc) et publiée en novembre 2008. Selon ce document, la baisse de la consommation de vin s’accompagne d’une prise de conscience accrue de la relation entre alimentation et santé. En 2007, 89 % des Français interrogés estimaient que leur alimentation influait sur leur état de santé – un chiffre en hausse de 10% en sept ans. Or, le vin est considéré comme un produit présentant un risque pour la santé, explique le Credoc. Plus de 50% des Français en sont convaincus, contre 26% il y a à peine cinq ans. Pour 49% des adultes, le vin est même devenu le deuxième produit à éviter après les matières grasses (57%) –et bien avant le sucre !

Les raisons d’un basculement

Comment expliquer un tel changement, alors que les mécanismes à l’origine des effets bénéfiques du vin sont de mieux en mieux compris par les scientifiques?

Le Credoc note plusieurs raisons, partiellement liées au fait que le vin n’est plus protégé par son statut spécial de produit de terroir. Désormais considéré comme une simple boisson alcoolisée – au même titre que le whisky, la bière ou la vodka–, le vin subit de plein fouet les conséquences des messages de santé publique sur la consommation d’alcool, notamment celui de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), qui comparait en octobre 2005 la quantité d’alcool dans « un demi de bière, une coupe de champagne, un ballon de vin, un verre de pastis » avant de conclure : « Pour rester en bonne santé, diminuez votre consommation d’alcool ». Une analyse partagée par Denis Saverot et Benoist Simmat, auteurs de In vino Satanas !, qui rappellent qu’au moment même où le roi Juan Carlos inaugurait la spectaculaire Cité du Vin à Elciego, le ministère de la Santé français et l’Inpes assimilaient vin et sang dans une campagne de prévention. « Sur cette page de publicité diffusée en 2004, on voit un sablier d’où s’écoule, dans un sinistre goutte à goutte, un liquide rubis (du vin), avec ce slogan enjoué: “Jour après jour, votre corps enregistre chaque verre que vous buvez”.»

Les méfaits du « lobby »

Pour Denis Saverot, ces campagnes sont avant tout le fruit d’un véritable « lobby anti-alcool », dont le premier fait d’armes consiste à avoir obtenu du très officiel Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), en 1999, une définition assimilant le vin – au même titre que toutes les boissons contenant de l’alcool – à une drogue. Depuis, les pouvoirs publics diffusent des batteries de chiffres – reprises par les médias– afin de démontrer que les Français sont un peuple d’alcooliques. « Que nous expliquent ces organismes aux noms ronflants ? Que l’alcool tue environ 50 000 personnes par an ; que 5 millions de Français sont alcooliques ; que le vin est le principal responsable de cette débauche puisque les Français en boivent 54,4 litres par an et par habitant », écrivent Denis Saverot et Benoist Simmat. Or, pour les auteurs, ces chiffres sont « contestables, parfois erronés ». En effet, « pour obtenir [50 000 décès], les autorités sanitaires additionnent sans discernement les victimes actives ou passives d’accidents dans leurs calculs », expliquent-ils. Ainsi, un passager qui a consommé de l’alcool et subi un accident de voiture rentre dans les statistiques, même si le conducteur n’a rien consommé ! De même, pour obtenir 54,5 litres de vin, les autorités divisent le volume de vin vendu chaque année en France par le nombre d’habitants. C’est-à-dire qu’elles ne prennent pas en compte les 80 millions de touristes étrangers qui dépensent chaque année 36,9 milliards d’euros en France lors de leurs 500 millions de nuitées ! Ni les achats des transfrontaliers belges, allemands, italiens ou anglais, qui viennent régulièrement remplir le coffre de leur voiture de bordeaux, bourgognes et autres champagnes. L’Association de la presse du vin (APV) estime que le chif- fre de 54,5 litres est au minimum surévalué de 8 à 10litres par personne. Ce qui replacerait les Français dans le giron des pays consommant du vin dans des proportions raisonnables.

Le chiffre de 5 millions de personnes alcooliques est lui aussi sujet à caution : y est incluse toute personne déclarant ne pas pouvoir se passer de son verre de

vin par repas. « À ce compte-là, même l’ancienne doyenne des Français Jeanne Calment, qui s’est offert un siècle durant un verre de porto par jour, aurait été considérée comme dépendante par les autorités sanitaires », ironisent les auteurs.

Une myriade de chapelles

Pourquoi le fameux « lobby du vin », tant fustigé par la presse bien-pensante, ne réa- git-il pas plus à ces campagnes ? « Parce qu’il n’existe plus ! », répond sans hésiter Denis Saverot. Certes, quelques parle- mentaires actifs résistent encore, comme Philippe Martin, Alain Suguenot, Serge Poignant, Gérard César et Roland Cour- taud. Mais forment-ils pour autant un puissant lobby ? En outre, le monde du vin est éclaté en une myriade de chapelles, « où cuisent et recuisent les rivalités personnel- les, géographiques ou corporatistes ». En 2007, la seule association censée fédérer toutes les composantes de la famille viticole, Vin et Société, disposait d’un budget total de 180 000 euros, dont
78000 euros pour couvrir diverses opérations (parmi lesquelles un site Internet). Rien de comparable avec les 65 millions d’euros de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa), « chargée, entre autres, de lui clouer le bec ! ».

Pire, les responsables de la filière vin ont signé leur arrêt de mort en 1991 en cautionnant la loi Évin qui encadre sévèrement la publicité pour les boissons alcoolisées. Ils pensaient ainsi anéantir toute tentative concurrente des vins étrangers de s’installer sur le marché français. « En bloquant la publicité, notamment à la télévision, la loi Évin empêche en effet les grandes marques étrangères de se faire connaître en France », explique Denis Saverot. Claude Évin, lui, se défend : « Ma loi au départ était dirigée contre les alcools, pas contre le vin que je considè- re comme un produit noble ». Reste que depuis l’adoption de son texte – certes amendé à plusieurs reprises –, c’est bien la vente des spiritueux et de la bière – dont la force de frappe publicitaire n’a pas faibli– qui progresse, et non celle du vin…

Divorce consacré

Depuis quarante ans, « une forme de divorce a lieu entre la classe politique et le vin », analyse Denis Saverot. Un divorce qu’illustre à la perfection le président Nicolas Sarkozy, qui préfère se montrer en tenue de jogging plutôt qu’un verre de vin à la main, « fût-il rempli de Château Yquem » ! Aujourd’hui, afficher son goût pour les plaisirs est jugé incompatible avec la politique. Cela l’est beaucoup moins avec le monde des affaires et du show business, remarque Denis Saverot : « Tandis que l’élite riche et éduquée se délecte au contact du divin breuvage, associé au luxe et à la civilisation, la tradition du vin populaire s’étiole sous les coups de boutoir d’une mo- rale qui a oublié ses fondements ». Il y a effectivement deux poids, deux mesures. Pour le grand public, le message est clair : le vin corrompt le peuple, il favorise les accidents de la route, la violence conjugale, les cancers. En revanche, pour le gratin de la société, le même produit est synonyme de culture et de civilisation. « Pour certaines classes, le vin devient pratiquement un objet culturel, voire une œuvre », note Claude Fischler, directeur de recherches au CNRS et professeur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Ce qui explique que « les Rolls Royce du vin se portent très bien et se vendent très cher, tels certains domaines ou châteaux de la vallée du Rhône et le bordeaux », souligne Alain Marty, auteur de l’ouvrage Ils vont tuer le vin français. Le président du Wine and Business Club note que pour ces vins, « la qualité ne rentre plus en ligne de compte car il s’agit de produits de luxe ». « Déguster un Romanée-Conti, c’est frotter ses lèvres à l’Histoire. On est soudain à table avec Louis XIV, à Versailles. On devient l’ami de Louis-François de Bourbon, prince de Conti », écrit Bernard Pivot dans son Dictionnaire amoureux du vin. Encore faut-il y mettre le prix : soit 6 000 euros pour un cru 2000 – ce qui reste 3000 euros de moins qu’un cru 1990 ! Invités par Bernard Arnault à l’inauguration de sa dernière acquisition, le prestigieux Château d’Yquem, un petit millier de convives triés sur le volet ont pu se délecter de cinq des plus belles marques du Médoc, dont le fameux millésime 1982 de Château Mouton Rothschild. Avec au total une bonne douzaine de très grands vins servis dans leurs meilleurs millésimes – dont le fameux Château Yquem –, le taux légal d’alcool ne pouvait qu’être largement dépassé par ces invités d’honneur. Pourtant, ils ont pris le volant pour rentrer chez eux, escortés par des gendarmes… « presque en rang d’honneur pour ouvrir la route à cette cohorte de privilégiés grisés », comme le commente Denis Saverot.

« Le vin s’est embourgeoisé », note le Credoc. « Sa présence sur la table familiale n’est ni certaine, ni nécessaire : elle n’est indispensable qu’en présence d’hôtes ou dans des circonstances sortant de l’ordinaire. Aujourd’hui, les ouvriers consomment peu de vin et ce sont les segments les plus aisés : artisans commerçants et cadres supérieurs, qui sont les plus gros consommateurs de ces vins ennoblis », analyse l’étude. De boisson populaire quotidienne, la Dive bouteille est devenue, au mieux, un produit d’agrément lors des repas entre amis ou d’évènements festifs. La consommation de vins de table ordinaires – qui peuvent largement concurrencer en qualité gustative certains AOC – a dramatiquement chuté, passant de 44 millions d’hectolitres en 1979 à moins de 7 millions en 2005. « 38% des Français ne boivent pas de vin, notamment parmi les 18-25 ans», estime Alain Marty.

Parlons donc de santé !

Pourtant, le corps médical reconnaît unanimement qu’une consommation modérée de vin rouge a de nombreux effets bénéfiques contre les maladies cardiovasculaires, les maladies neurodégénératives et certains cancers (dont ceux de la prostate, du sein et du poumon). Dès 1979, la revue médicale Lancet a publié une première étude suggérant les effets bénéfiques du vin4. Les résultats de ses travaux ont été corroborés en 1992 par l’équipe lyonnaise de Serge Renaud, donnant ainsi naissance au fameux « paradoxe français », attribué notamment à la consommation chronique et modérée de vin rouge. En effet, en dépit d’une alimentation très riche en graisses saturées, les populations du sud-ouest de la France présentent une faible incidence de maladies cardiovasculaires, un taux d’infarctus quatre fois moins élevé qu’aux États-Unis et une espérance de vie supérieure de dix ans à celle qui prévaut dans le nord-est de la France. Un an plus tard, Frankel et al. ont démontré qu’un polyphénol particulier du vin – le resvératrol – est responsable de cet effet cardioprotecteur. « À partir de 34 études réalisées dans les pays industrialisés, l’équipe de Di Castelnuovo a publié une méta-analyse sur la mortalité cardiovasculaire qui porte sur 1 million de sujets et près de 100 000 décès. Il a mis en évidence le fait que la relation entre mortalité cardiovasculaire et consommation de vin dessine une courbe en forme de J: un apport modéré est bénéfique alors que l’abstinence ou une consommation excessive reste nocive. Selon ces études, boire – régulièrement et lors des repas– deux à quatre verres de vin rouge par jour pour un homme et un à deux verres par jour pour une femme, réduit jusqu’à 40 % le risque de maladie coronarienne », explique le Dr Thillier pour A&E.

Le resvératrol

Ces dernières années, de nombreux travaux ont été effectués sur le resvératrol. Ainsi, on a découvert que ce polyphénol bloque la prolifération de cellules cancéreuses, et que chez la souris, il restaure la sensibilité à l’action de l’insuline. Plus récemment, on a montré qu’en diminuant les dommages du myocarde et de l’aorte, il s’oppose à la mort des cellules musculaires du cœur et des artères. Le resvératrol agit sur des gènes dont le rôle sur la durée de vie a été mis en évidence. « Comme toutes les espèces, la durée de vie maximale des humains est régulée génétiquement par la restriction du nombre de calories consommées, qui active un gène dit SIRT1 (SIR pour silent information regulator proteins ). Le premier gène ayant un effet sur la longévité a été découvert en 1989, sur un ver baptisé Caenorhabditis elegans. Depuis, une dizaine de gènes contrôlant l’espérance de vie de ce ver ont été identifiés. Ils peuvent jusqu’à quadrupler son espérance de vie. Sur la levure, le resvératrol active un “gène de longévité“ qui augmente sa durée de vie jusqu’à 80%. Des essais effectués sur une culture de cellules humaines montrent que le resvératrol active le gène SIRT1 et permet à 30% des cellules humaines irradiées par rayons gamma de survivre, contre 10 % pour les cellules non traitées, explique le Dr Thillier.

Ce n’est donc pas sans raison que le Pr Ludovic Drouet, chef du service Hématologie biologique de l’hôpital Lariboisière et président du comité scientifique Vin et Santé de l’Office national interprofessionnel des vins (Onivins), déclare que « le vin comporte un certain nombre de composants qui pourraient avoir des effets béné ques sur les problèmes cardiovasculaires et le vieillissement ». Bien entendu, il précise que « la consommation doit rester inférieure à trois verres de vin par jour pour les hommes, en tenant compte des variations individuelles. La toxicité apparaît plus vite chez les femmes. Les populations asiatiques et les patients ayant une pathologie particulière – en particulier hépatique – sont également plus exposés aux effets toxiques. » Pour sa part, la Food and Drug Administration (l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments) recommande de boire du vin dans le cadre de sa prévention primaire et secondaire contre les maladies thrombotiques cérébrovasculaires ou cardiovasculaires. Or, comme le remarque Claude Fischler, « les Français, buveurs de vin, sont devenus au quotidien des buveurs d’eau et des mangeurs de yaourts ». Il aurait pu ajouter que la France détient le record de consommation de médicaments en tout genre (notamment d’antidépresseurs), alors qu’elle possède de par son sol la possibilité de produire l’un des meilleurs alicaments naturels : le vin !

Comble de l’absurde, alors que la consommation de vin diminue en France, l’industrie paramédicale met sur le marché des gélules contenant du resvératrol ! Biovéa, « la plus grande pharmacie en ligne », propose ainsi pour 20 euros une boîte de 60comprimés à base de resvératrol. Pourquoi prendre ces gélules ? La réponse de la firme vaut son pesant d’or : « Il n’y a presque plus de resvératrol dans le vin rouge du fait de l’utilisation généralisée des pesticides, alors qu’il y en avait auparavant 8 à 10 mg par litre ». Heureusement, Biovéa a « pu localiser une source de resvératrol de qualité pharmaceutique, extrait directement de raisin rouge de culture biologique et retenant l’équilibre naturel de tous ses composés actifs », assure sa publicité. Du bon marketing !

Sources
1. Denis Saverot et Benoist Simmat, In vino Satanas !, Albin Michel, 2008.
2. Discours prononcé lors du colloque «Vin, santé et alimentation», organisé par le Sénat le 6novembre 2002.
3. Alain Marty, Ils vont tuer le vin français, Editions Ramsay, 2004.
4. St Léger A.S., Cochrane A.L. and Moore F., Fac- tors associated with cardiac mortality in developped countries with particular reference to the consumption of wine. The Lancet, 1979.
5. S. Renaud, de Lorgeril, Wine, alcohol, platelets, and the French paradox for coronary heart disease, The Lancet, vol. 339, 1992.
6. N. Frankel, A. L. Waterhouse and J. E. Kinsella, Inhibition of human LDL oxydation by resveratrol, The Lancet, vol. 341, 1993.
7. DiCastelnuovo A. et al., Circulation, 2002.
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