Diffusé par France 2 le 19 avril 2007, dans le cadre de l’émission Envoyé Spécial, le reportage « OGM, à la conquête de nos assiettes » dépasse largement en mauvaise foi, contre-vérités, approximations et interviews tronquées celui de Michel Despratx, « OGM, l’étude qui accuse », qui a bruyamment circulé sur Internet en février dernier. Sans craindre le ridicule, les journalistes de la chaîne publique Catherine Bertillet et Magali Morel ont en effet concocté un documentaire d’une vingtaine de minutes en mixant essentiellement d’anciennes séquences, dont certaines datent de 2002, comme celle concernant l’affaire des vaches de l’agriculteur allemand Gottfried Glöckner, censées avoir été empoisonnées par du maïs OGM de la société Syngenta.
Or, qui peut croire un seul instant que la mort des douze vaches de M. Glöckner puisse être attribuée à un maïs OGM ?
Toute personne réfléchissant un tant soi peu se sera bien entendu posé la question suivante : sur les dizaines de milliers de vaches nourries pendant plus de dix ans avec du maïs OGM, combien en sont mortes ? Aucune, sauf celles de M. Glöckner ! Bizarre, non ? Or, le bon sens voulant qu’un même aliment ne puisse être à la fois inoffensif pour des milliers de vaches et toxique pour les seules douze de M. Glöckner, déjà en 2002, l’accusation semblait assez suspecte ! Depuis, l’énigme a été résolue. Pour s’en assurer, il suffit de se procurer le jugement du tribunal de Giessen (Allemagne), où cette affaire a été jugée suite à l’action en justice entreprise par l’agriculteur contre Syngenta. Ce jugement, rendu le 7 mars dernier, est sans équivoque. Plusieurs instances indépendantes (dont le Département des pathologies vétérinaires de l’Université de Giessen et le Robert Koch-Institut, établissement allemand central responsable du contrôle et de la lutte contre les maladies) ont en effet conclu que les décès résultaient d’un empoisonnement par des mycotoxines aggravé d’une infection par l’agent du botulisme (la bactérie Clostridium botulinum). En clair, l’agriculteur allemand nourrissait son cheptel avec des aliments avariés ! Rien à voir avec un problème de maïs OGM. Pire, M. Glöckner a tenté de faire ensuite porter le chapeau de son incurie à une « méchante » multinationale ! Cette basse manœuvre a été facilement démasquée par les autorités sanitaires allemandes. C’est ce qui explique pourquoi Greenpeace, également manipulée dans cette affaire par l’agriculteur de Wölfersheim, est devenue si discrète sur ce cas.
Pourquoi France 2 a-t-elle ressorti une vieille histoire illustrée par des images chocs, sans faire état de ce qu’en disent les conclusions d’une cour de justice outre-Rhin ? La chaîne publique française veut-elle mettre en doute l’indépendance de la justice allemande ? La seule explication plausible est que ce grotesque montage a été réalisé à la va-vite, laissant à peine le temps à Catherine Bertillet d’exhumer de ses cartons quelques affaires obsolètes, dont celle bien connue de l’agriculteur canadien Percy Schmeiser. Egalement présenté dans le reportage comme une victime innocente, ce dernier a pourtant été condamné par la justice de son pays, qui a conclu par trois fois à « des actes délibérés et réfléchis de la part de l’agriculteur » pour « conserver, semer, récolter et vendre des graines provenant de plantes contenant le gène et la cellule brevetés de Monsanto », sans s’être acquitté des droits correspondants. Mais peut-être les responsables de France 2 estiment-ils que la justice canadienne est aussi corrompue ? Autre signe de précipitation, Catherine Bertillet situe l’université de Marc Van Montagu – l’un des pères de la transgenèse – à… « Gang » (au lieu de la ville de Gand) ; à moins qu’il ne s’agisse d’une forme particulièrement vicieuse d’humour, que nos amis belges apprécieront… Enfin, le documentaire a visiblement été programmé à la dernière minute. Il est en effet le seul à ne pas figurer dans les programmes de télévision de nombreux journaux, comme celui du magazine Télé TNT portant sur la semaine du 14 au 20 avril. Bref, il ne reste que la contribution du militant anti-OGM Gilles-Eric Séralini, proche de Greenpeace et de Corinne Lepage – et qui aurait trouvé une oreille attentive auprès de Ségolène Royal – pour conférer au reportage un semblant d’actualité.
Pourquoi une telle précipitation ? Pour certains, la réponse serait à chercher dans le calendrier électoral, d’ailleurs mentionné au début de l’émission. « Les candidats à l’élection présidentielle ont fait des OGM un thème de campagne », souligne Françoise Joly en introduction au reportage. Diffusé trois jours avant le premier tour de l’élection présidentielle, « OGM, à la conquête de nos assiettes » aurait-il pour objectif de nuire à l’image de l’un des principaux candidats ? Dans une version raccourcie disponible sur Internet, ce documentaire se termine en effet par un visuel en forme de mise en garde : « Nicolas Sarkozy est le seul candidat à l’élection présidentielle à ne pas s’être engagé en faveur d’un moratoire sur les OGM ». On ne saurait être plus clair !
Certes, ce ne sont là que suppositions. Car « le groupe France Télévision “s’est engagé depuis l’année 2000 dans une démarche éthique, tournée vers le téléspectateur” et “marque son attachement aux valeurs déontologiques qui gouvernent la télévision publique” », rappelle ironiquement Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS !