Concilier politique agricole et environnement
Le Grenelle de l’environnement s’ouvre dans quelques jours et, avec lui, la possibilité de faire enfin coïncider – ou tout du moins se rapprocher – notre politique agricole et les exigences d’une bonne alimentation. La santé publique exige d’abord que certains aspects de notre production agricole soient revus afin que cette dernière soit à la fois plus respectueuse de l’environnement et qu’elle garantisse la sécurire sanitaire des aliments. Même si les enjeux, sécuritaires et environnementaux, sont cruciaux pour l’avenir de nos politiques agricoles, il serait pourtant dramatiquement réducteur de les considérer comme exclusifs ou résumant à eux seuls la totalité de la problématique des liens entre agriculture et alimentation.
En effet, poser la question d’une politique agricole agissant en faveur de l’équilibre alimentaire de toute la population française nécessite que l’on s’interroge aussi sur les conditions d’accès à ses produits, en particulier aux fruits et légumes, au moment où le prix des matières premières agricoles augmente. Certes, l’importance de la consommation quotidienne de fruits et légumes frais dans une alimentation favorable à une bonne santé est devenue une évidence pour la très grande majorité des Français grâce, entre autres, aux communications effectuées dans le cadre du PNNS (Programme national nutrition santé).
Faire vivre une biodiversité essentielle
Pourtant, la part de ces produits dans les assiettes de nos concitoyens ne cesse de décroître. Près d’un quart d’entre eux n’achètent pas de fruits et de légumes à cause de leur prix, jugé beaucoup trop élevé. Les pommes et les carottes sont des produits de luxe pour de nombreux Français. La question de leur qualité et de leur prix est ainsi un enjeu considérable de santé publique, malheureusement absente des discussions du Grenelle de l’environnement. L’accessibilité des fruits et légumes et la diversité de l’alimentation appellent une prise en charge politique.
La diversité est une richesse sur le plan nutritionnel ; elle est également source de plaisirs. De plus, et c’est loin d’être négligeable, la diversité des modèles alimentaires mondiaux et des produits intégrant ces modèles permet en amont de faire vivre une biodiversité essentielle… Plutôt que d’interdire ou de jeter l’anathème sur certains produits, ne faut-il pas plutôt défendre le principe de l’équilibre et de la complémentarité ? Le repas ne serait-il construit que sur des interdits ? Certains grands spécialistes du vin parlent de « dialogue» entre les vins et les mets ; eh bien! parlons de dialogue entre les produits composant l’assiette, ajoutons-y la rotation de menus, la diversité des origines, et nous rendrons service à la santé publique. Le sens de la mesure est directement inscrit dans cette défense des modèles alimentaires faits d’équilibre et de diversité. Et puis, certains produits ont une valeur en soi, sans qu’il soit toujours nécessaire de les industrialiser pour qu’ils soient plus accessibles ou plus séduisants.
Le produit frais, naturel, authentique, a une valeur ; il a aujourd’hui tendance à être étouffé, marginalisé, banalisé. Combien de produits agricoles ont perdu de leur valeur en étant réduits à l’état de matière première pour la construction d’aliments industrialisés… Cette coexistence du produit frais et du produit transformé ne doit-elle pas être mieux organisée, de façon à ce que l’un n’éjecte pas l’autre de nos modèles alimentaires ? Cela suppose sans doute une réflexion innovante sur ce qu’on appelle les « circuits courts ». Belle ambition, qui donne à la politique alimentaire une dimension qui va bien au-delà des seuls aspects sécuritaires ou environnementaux. Le plaisir, la culture, la reconnaissance mutuelle des traditions culinaires mondiales, la biodiversité des espèces animales et végétales et, tout simplement la promotion de la valeur intrinsèque des produits, sont autant de raisons qui justifient cette ambition.