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Vin : les recettes réchauffées d’ »Envoyé Spécial »

Avec la diffusion, le 1er octobre 2009, de l’émission Le vin est-il toujours un produit naturel ?, Envoyé Spécial signe sa chute dans les bas-fonds du journalisme. Son « enquête » est d’une platitude totale. Tout d’abord, le titre présente un évident abus de langage : le vin n’a jamais été et ne sera jamais un « produit naturel ». En effet, qu’il soit issu de raisins bio ou conventionnels, il demeure un pur produit travaillé par la main de l’homme. Sa qualité dépend, outre de celle de sa matière première, le raisin, du savoir-faire technique du viticulteur. Comme le remarque avec pertinence un internaute qui commente l’émission, « le seul “vin naturel”, c’est le vinaigre ! ».

Ensuite, le scénario est binaire et banal à périr d’ennui. Céline Destève, Christophe Kenck et Pierre Toury utilisent tous les ressorts éculés de la manipulation médiatique. D’un côté, les méchants, toujours les mêmes : l’industrie de la chimie, dont la cupidité n’a d’égale que celle de l’oncle Picsou. De l’autre, les bons, toujours aussi les mêmes : ceux qui défendent la sincérité du terroir, le travail rigoureux et la vérité des arômes. Bref, les adeptes de Mère Nature. Et au milieu : les victimes. Bien entendu, ce sont les viticulteurs, enchaînés jusqu’à en tomber malades par le système de l’agrochimie et du productivisme. Ces malheureuses victimes voudraient tellement pouvoir faire différemment, faire vrai. Mais le « système » ne le permet pas. Comme c’est convenu !

Et puis, il y a les éternels figurants : le Pr Dominique Belpomme (en blouse blanche dans son bureau, ce qui fait toujours très sérieux), qui explique doctement que certes, on peut encore boire du vin, mais modérément. Quelle révélation ! François Veillerette, la référence quasi papale des anti-pesticides, commente devant son ordinateur la présence de résidus de pesticides « cancérigènes et mutagènes » dont la LMR est 500 fois plus élevée dans le vin que dans l’eau. Le militant excelle dans l’art de la confusion volontaire : il mélange comme à son habitude norme agronomique et dose toxicologique. Egalement présent, le couple Claude et Lydia Bourguignon, spécialistes autoproclamés de la terre. Leur thèse : les sols de France et de Navarre sont morts. Qu’importe que, cette année encore, les excellents rendements des principales céréales (sauf le blé bio dont les rendements dans certains départements du Sud-Ouest sont inférieurs à 20 quintaux à l’hectare) apportent un flagrant démenti à ces « experts ». Les deux gérants de la société LAMS (qui propose, contre espèces sonnantes et trébuchantes, des analyses du sol « afin d’aider les agriculteurs à obtenir de meilleurs rendements ») ne sont pas à une contradiction près. Et à Paris, dans les studios de France 2, l’agronomie n’est pas vraiment le hobby des journalistes… Enfin, une telle « enquête » ne serait pas « équilibrée » sans la présence rituelle de Jean-Charles Bocquet, toujours prêt à incarner la face maudite du lobby des pesticides. Grâce à un petit coup de montage magique, le tour est joué : le directeur de l’UIPP passe pour un gentil petit menteur…

Pour pimenter le tout, on ressort une pitoyable affaire de 2006 qui concerne un réseau de trafiquants de sucre dans le Beaujolais. Certes, ces pratiques sont condamnables – et leurs responsables l’ont d’ailleurs été. On s’indigne du fait que certains viticulteurs procèdent à la chaptalisation (une technique parfaitement légale, utilisée depuis… 1801 !), et que d’autres utilisent des levures exogènes (ce qui est aussi le cas pour la grande majorité des pains et pour certaines pâtisseries). On reproche à de très grandes coopératives viticoles, visiblement coupables de haute trahison aux yeux d’Envoyé Spécial, de « trafiquer » ainsi leur moût de raisin afin que le produit final soit plus conforme aux modes gustatives. Au final, on s’extasie devant les vins dits « naturels », c’est-à-dire ceux qui utilisent des raisins bio… traités avec des préparations de soufre et de cuivre – ce qui rend d’ailleurs les sols bien plus infertiles que l’ensemble des pesticides autorisés aujourd’hui. « Sans oublier que très souvent, ces vignes bio sont soumises à l’usage de la roténone, un violent toxique naturel, pire que la plupart des formulations chimiques, et dont l’utilisation a enfin été interdite par la Commission européenne », précise le Dr Jean-Louis Thillier. En outre, ces vins exigent une main-d’œuvre considérable, ce qui augmente leur coût de production et limite l’éventail des consommateurs.

Tout cela manque cruellement d’originalité ! Mais l’essentiel est d’obtenir un reportage choc. Ou plutôt, comme le dirait Arlette Chabot, directrice de l’information de France 2, « On sort n’importe quelle info […] Ce n’est pas du journalisme, évidemment ». Mais il est vrai que ces propos concernaient un article du Canard Enchaîné, et non une émission de sa propre chaîne.

Quant à Céline Destève, elle n’en est pas à son premier essai. Dans son reportage L’huile d’argan : le nouvel or du Maroc, présenté sur France 2 le 10 janvier 2008, la journaliste avait réussi à réduire, dans l’esprit des téléspectateurs, l’économie de l’huile d’argan marocaine à de petites et grandes arnaques, à des pratiques commerciales douteuses et surtout à l’exploitation des femmes berbères. Visiblement, la journaliste a trouvé le bon filon : pour ses prochaines enquêtes, il lui suffira de conserver les mêmes personnages-types et le même scénario, et de remplacer vin par salade, pomme, tomate, etc.

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