AccueilSantéhuile de palme : démêler le vrai du faux

huile de palme : démêler le vrai du faux

Avec l’amendement Nutella visant à augmenter de 300 % la taxe sur l’huile de palme, cette huile est de nouveau sur la sellette en France.

Entretien avec le Dr Jean-Louis Thillier, expert en sécurité sanitaire.

L’huile de palme est accusée de causer des dégâts sur l’environnement des pays producteurs, mais aussi d’être à l’origine de sérieux problèmes sanitaires. Qu’en est-il ?

Dr Jean-Louis Thillier – L’affaire de « l’amendement Nutella » a eu le mérite de rappeler une vérité simple : depuis plusieurs décennies, la composition du contenu de notre assiette s’est profondément modifiée. D’aliments entiers naturels cuisinés à la maison, notre régime alimentaire s’est mis à inclure de plus en plus d’aliments transformés par l’industrie agro-alimentaire. Dans les pays développés, cette transformation s’est accompagnée d’une augmentation de l’apport en acides gras, ceux-ci étant passés de 25 % à 45 % de nos apports énergétiques. Or, cette augmentation s’est faite au détriment des acides gras insaturés cis et au profit des graisses saturées et trans, dont les effets délétères sur notre santé sont nombreux. Parmi ceux-ci, on peut citer les maladies cardiovasculaires, l’obésité, le diabète, mais aussi, chose assez surprenante, la dépression !

L’huile de palme est donc dangereuse pour la santé ?

Ce n’est pas si simple ! Les huiles végétales brutes ou raffinées, dont l’huile de palme, ne sont pas des « poisons ». Sur le plan nutritionnel, l’huile de palme brute est même de bonne qualité. Elle contient 50,1 % d’acides gras saturés (principalement de l’acide palmitique, dans une proportion comprise entre 39,3 et 47,5 %, mais également de l’acide stéarique et des acides laurique et myristique), 41% d’acides gras monoinsaturés (essentiellement de l’acide oléique, qui est présent à hauteur de 70% dans l’huile d’olive et se trouve être le plus abondant des acides gras monoinsaturés de notre organisme), 11 % d’acides gras polyinsaturés (principalement de l’acide linoléique, avec un pourcentage de 9 à 12%, cet acide gras essentiel étant fondamental dans l’élaboration des membranes cellulaires et devant obligatoirement être apporté par les aliments), de la vitamine A (10 fois plus que la carotte) et de la vitamine E. Après l’huile de germe de blé, l’huile de palme contient la plus grande quantité de tocophérols, qui collaborent avec le glutathion et la vitamine C en tant qu’antioxydants contre les dérivés réactifs de l’oxygène et les radicaux libres.

Dans ce cas, où est le problème ?

Après la stérilisation du régime de fruits du palmier, leur égrappage mécanique et la pression à chaud de leur chair, on obtient l’huile de palme brute de première pression (lire encadré). Cependant, afin de séparer l’huile de ses impuretés, on la convertit en huile de palme raffinée. Ceci implique l’élimination des produits d’hydrolyse et d’oxydation, la décoloration, la désodorisation à haute température sous un vide poussé. Le liquide visqueux qui sort de la presse est un mélange d’huile de palme, de débris cellulaires et d’éléments fibreux. De l’eau chaude est donc ajoutée dans un rapport de trois à un au mélange sorti de la presse afin de le fluidifier et de permettre aux matières solides lourdes de tomber au fond du récipient, tandis que les gouttelettes d’huile, plus légères que l’eau, remontent à la surface du mélange. L’huile est donc décantée dans un bassin de réception. Cependant, l’huile clarifiée contient encore de l’eau. Pour éviter l’hydrolyse autocatalytique, la teneur en humidité de l’huile doit être réduite par chauffage à 0,15 %. Jusque-là, l’huile de palme ne pose aucun problème sanitaire. La question se complique lorsque cette huile raffinée passe entre les mains de l’industrie agroalimentaire…

Pour quelles raisons l’industrie agroalimentaire a-t-elle besoin de transformer l’huile de palme ?

Aujourd’hui, les consommateurs plébiscitent une multitude de produits « prêts-à-manger», tels que les plats cuisinés de toutes sortes, les pizzas, viennoiseries, biscuits apéritifs, soupes, chips, etc. Le petit-déjeuner traditionnel est souvent remplacé par une portion de céréales ou du pain de mie agrémenté de pâte à tartiner, tandis que le goûter comporte fréquemment des gâteaux et barres chocolatées. Ces nouvelles habitudes alimentaires ont contraint l’industrie à s’adapter.

Pour cette dernière, la matière grasse alimentaire idéale doit avoir une consistance solide à température ambiante, ce qui confère une meilleure tenue aux aliments. Sans cela, les barres chocolatées fondraient et les viennoiseries ne croustilleraient pas ! C’est pourquoi les huiles végétales raffinées, qui sont liquides à température ambiante car elles contiennent une proportion suffisante d’acides gras insaturés, ont été écartées au profit de margarines riches en acides gras saturés.

La matière grasse idéale doit également contribuer à une bonne conservation de l’aliment en l’empêchant de prendre une odeur âcre et un goût désagréable au contact de l’air. Ce qui a lieu avec le rancissement provoqué par la peroxydation des acides gras insaturés. Il faut donc remplacer les « bons » acides gras insaturés contenus dans les huiles végétales raffinées, dont l’huile de palme, par des acides gras saturés.

Par ailleurs, la matière grasse alimentaire idéale doit donner la sensation d’une texture moelleuse et des saveurs alléchantes. Dans les pâtisseries, on favorise ainsi la sensation de fondant dans la bouche. Enfin, pour éviter qu’elle ne libère des composés potentiellement cancérigènes, il faut s’assurer que cette matière grasse ne se dégrade pas rapidement aux températures de cuisson, et qu’elle ne possède aucun caractère allergisant. Ces caractéristiques doivent de préférence être obtenues avec un faible coût de production, afin de ne pas alourdir les dépenses des consommateurs. Voilà en quelques mots le cahier des charges de l’industrie alimentaire, qui a développé diverses techniques de traitement des huiles afin d’obtenir les qualités sus-mentionnées.

En quoi consistent les traitements subis par l’huile de palme ?

Afin de séparer les différents composants de l’huile de palme raffinée, on la fractionne par des moyens thermomécaniques tels que le refroidissement contrôlé, la cristallisation et la filtration. On obtient ainsi une fraction liquide à température ambiante, appelée oléine de palme, et une fraction solide, appelée stéarine de palme. La première peut être utilisée comme huile de friture dans les climats tropicaux. Elle concurrence avec succès les huiles d’arachide, de maïs et de tournesol, qui sont plus chères. Sa composition reste superposable aux bonnes qualités nutritionnelles de l’huile de palme brute de première pression. La stéarine de palme, qui contient environ 70 % d’acide palmitique – un acide gras saturé –, est, elle, surtout utilisée par l’industrie agroalimentaire, les restaurateurs, les boulangers et chocolatiers, etc., dans les margarines non hydrogénées. Elle est deux fois plus riche en acides gras saturés que le gras de porc ! Utilisée en excès, la stéarine de palme – comme tous les acides gras saturés – ne peut qu’entraîner des effets délétères chez les sujets prédisposés.

D’où viennent alors les fameux acides gras trans ?

On y arrive ! L’huile de palme fractionnée en oléine de palme est transformée par l’industrie agroalimentaire en une phase solide à température ambiante, par hydrogénation partielle des acides gras insaturés, afin de former une margarine. C’est elle qui contient les fameux acides gras trans toxiques ! Certes, certains acides gras trans sont fabriqués de manière naturelle au cours de la digestion des ruminants : ils sont synthétisés par des bactéries qui logent dans le rumen des bovins et des ovins. Ces acides gras trans sont ensuite incorporés aux graisses des animaux et se retrouvent dans le gras de la viande, le lait et donc dans les produits laitiers. Cependant, leur présence reste relativement négligeable. En revanche, les acides gras trans qui se retrouvent dans une multitude de denrées alimentaires transformées par l’industrie sont obtenus par deux procédés technologiques : d’une part l’hydrogénation industrielle des huiles végétales, effectuée pour faire passer les graisses de l’état liquide à l’état solide, faciliter ainsi leur utilisation et leur stockage, et les rendre moins sensibles à l’oxydation ; d’autre part, le chauffage et la cuisson des huiles végétales à haute température, que ce soit au cours des procédés industriels de transformation ou lors de l’utilisation domestique.

C’est la margarine obtenue par l’industrie agroalimentaire via l’hydrogénation partielle des acides gras insaturés de l’oléine de palme qui contient les fameux acides gras trans !

Cette opération est réalisée par hydro- génation totale des doubles liaisons des acides gras insaturés des huiles. Il s’agit d’un vieux procédé industriel classique, qui permet de solidifier n’importe quelle huile végétale et de combattre le rancissement. Toutefois, face à l’accumulation des preuves montrant que les acides gras saturés en excès sont toxiques sur le plan cardiovasculaire (infarctus, diabète), l’industrie agroalimentaire a rapidement mis en place un procédé d’hydrogénation partielle. Une très bonne intention ! Malheureusement, on a découvert que 30 à 50% des doubles liaisons n’ayant pas été hydrogénées changeaient de configuration. D’une forme cis naturelle (avec une forme courbe), elles adoptent en effet une configuration trans (avec une forme rectiligne). Ce faisant, elles perdent leurs effets protecteurs et, pire, deviennent toxiques ! En effet, elles augmentent le taux sanguin de lipopro téines à faible densité (LDL ou «mauvais cholestérol»), qui est un facteur de risque de maladies cardiovasculaires, et diminuent le taux sanguin de lipoprotéines à haute densité (HDL ou « bon cholestérol »), facteur protecteur des maladies ischémiques. Mais surtout, elles augmentent les marqueurs d’une inflammation systémique, avec ses nombreuses conséquences délé- tères (dépression, insulinorésistance, dys- fonctionnement endothélial, etc.).

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a établi que les acides gras insaturés trans issus des ruminants, qui sont consommés en France à hauteur de 0,5 à 0,7 % et jusqu’à 1,5 % de l’apport énergétique total par jour pour les plus forts consommateurs de viande, ne montrent pas d’effets négatifs sur les biomarqueurs lipidiques du risque cardio-vasculaire et ne sont pas associés à une augmentation de ce risque dans les études épidémiologiques. En revanche, de nombreux travaux épidémiologiques internationaux ont établi que des apports d’acides gras insaturés trans d’origine industrielle, supérieurs à 1,5 % de l’apport énergétique total (soit de 3,5 à 5g/j), génèrent une augmentation significative du risque de maladies cardiovasculaires ischémiques par augmentation du cholestérol-LDL et par diminution du cholestérol-HDL. C’est pourquoi le maximum d’acides gras insaturés trans recommandé est de 2 g/jour, soit moins de 1,5 % de l’apport énergétique total des aliments.

Or, dans les pays développés, en particulier aux USA et en Europe, les acides gras insaturés trans représentent en moyenne 4 % de l’apport énergétique. Pire, dans le quintile supérieur, la population peut en consommer jusqu’à 20 grammes/jour, soit 9% de l’apport énergétique total des aliments ! C’est l’abus de consommation qui est dommageable pour la santé, même en ce qui concerne les produits bio transformés, qui contiennent eux aussi ces acides gras trans. Il faut donc modérer grandement l’utilisation de certains dérivés industriels des huiles végétales, quand cela est possible, et trouver des solutions alternatives. Le problème, c’est que les consommateurs peuvent très difficilement faire la part des choses, car l’origine des matières grasses (fractionnement ou transformation par hydrogénation partielle) et le pourcentage des acides gras insaturés trans et des acides gras saturés ne sont pas indiqués dans l’étiquetage de la composition des aliments transformés. La seule mention obligatoire qui y figure, à savoir «huiles végétales », laisse à penser qu’il s’agit d’une matière grasse saine.

Enfin, des préoccupations particulières apparaissent dans les pays en développement, dans lesquels la partie liquide issue du fractionnement des huiles végétales, partiellement hydrogénée, constitue la solution idéale pour lutter contre le rancissement dû à l’oxydation des lipides, et s’avère être une option bien moins coûteuse que le beurre dans un régime pauvre en graisses. En Iran, le gouvernement subventionne ainsi ce type de graisse alimentaire pour la cui- sine domestique, alors qu’elle contient de 34 à 36% d’acides gras insaturés trans et qu’elle représente un apport énergétique total atteignant le pourcentage exorbitant de 12,5 % ! De même, en Inde, la graisse vanaspati est couramment utilisée pour la cuisine comme substitut du beurre clarifié – un beurre fondu afin de séparer ses diffé- rents composants par décantation –, alors qu’elle contient de 18 à 43% d’acides gras insaturés trans.

Comment agissent les acides gras trans ?

Les acides gras insaturés trans générés en excès par une transformation industrielle agissent selon un mécanisme qui ne dépend qu’en partie de l’effet négatif sur le profil lipidique, c’est-à-dire par aug- mentation du « mauvais cholestérol ». En effet, leur toxicité réside surtout dans le fait qu’ils provoquent une inflammation systémique chronique à bas bruit (allergie généralisée permanente de l’organisme à un faible niveau) chez des personnes pourtant en bonne santé. Ainsi, chez des sujets ayant un mode d’alimentation méditerranéen, il a été démontré que la consommation d’acides gras insaturés trans à des taux élevés, pendant quelques semaines, est positivement associée à des biomarqueurs reflétant une inflammation systémique, avec une augmentation de 73 % du taux sanguin de la protéine C réactive (marqueur précoce, sensible et spécifique de l’inflammation) ; de 17 % du taux sanguin de l’interleukine-6 (IL-6), qui stimule la sécrétion des protéines de la phase aiguë de l’inflammation au niveau du foie ; de 5 % du taux sanguin sTNFR-2n, récepteur soluble du facteur de nécrose tumorale ; de 20 % de la sélectine E, protéine transmembranaire qui joue un rôle dans l’inflammation en créant des interactions entre les cellules endothéliales des vaisseaux et les leucocytes pour favoriser le phénomène de diapédèse (mécanisme qui permet à un leucocyte de s’insinuer entre les cellules endothé- liales d’un vaisseau); et de 10% des molécules d’adhésion cellulaire (ICAM-1 et VCAM-1), qui permettent aux lymphocytes, monocytes et éosinophiles, d’a-dhérer à l’endothélium vasculaire.

Tous les travaux récents renforcent le concept selon lequel la consommation d’acides gras insaturés trans est associée à un risque accru de maladie coronarienne et de dépression.

Tous les travaux récents renforcent le concept selon lequel la consommation d’acides gras insaturés trans est associée à un risque accru de maladie coronarienne et de dépression en rapport avec les effets des cytokines pro-inflammatoires, des protéines de la phase aiguë de l’inflammation et des molécules d’adhésion des leucocytes. Ces données suggèrent que certains acides gras alimentaires, qui jouent un rôle important dans la modulation du risque de mala- die coronarienne au-dessus et au-delà de celle associée aux modifications des taux de cholestérol LDL, ont également des effets inflammatoires associant la
dépression chez des sujets prédisposés. À l’inverse, en ce qui concerne les marqueurs de l’inflammation, il n’y a pas de différence quantitative entre un régime témoin et un régime comportant une surdose en corps gras constitués d’acide oléique. Ce résultat confirme que les habitudes alimentaires correspondant à un régime riche en acide oléique (par exemple, la «bonne bouffe» des régimes méditer- ranéens) peuvent entraîner une diminution de l’incidence de l’association entre la maladie coronarienne et la dépression. De même, l’utilisation d’oméga-3 est effi- cace contre la dépression primaire.

Vous supposez qu’il existe un lien de causalité entre la surconsommation de graisses saturées trans et la dépression. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

En 2009, au Royaume-Uni, Akbaraly et ses collaborateurs [[Dietary pattern and depressive symptoms in middle age. Akbaraly T.N., Brunner E.J., Ferrie J.E., Marmot M.G., Kivimaki M., Singh-Manoux A.; Br J Psychiatry. 2009 Nov.]] ont établi que le nouveau mode d’alimentation des pays développés en Europe du Nord et aux États-Unis constitue un facteur de risque pertinent pour la santé, en particulier en ce qui concerne la dépression. Comme il n’est pas facile de détecter les effets des différents composants alimentaires, ces auteurs ont judicieusement examiné le lien entre les habitudes alimentaires et la dépression à l’aide d’une approche globale, les nutriments étant consommés d’une manière combinée. S’appuyant sur 3486 participants (26,2% de femmes d’âge moyen de 55,6 ans), ils ont exami- né, après cinq ans, les associations entre la dépression et deux modes d’alimenta- tion. Le premier était un régime comportant des aliments entiers naturels (fruits, légumes et poissons), riches en acides gras monoinsaturés comme l’acide oléique ou en acides gras polyinsaturés. Ces acides gras naturels non saturés en hydrogène, avec des doubles liaisons, ont en effet montré à travers plusieurs études épidémiologiques qu’ils jouent un rôle protecteur dans la prévention des maladies car- diovasculaires ischémiques (en particulier ceux de la série oméga3 contenus dans les huiles de poisson: acide a-linolénique C18:3 (n-3 ou w3), et deux autres acides gras, EPA et DHA). Le deuxième mode d’alimentation correspondait à un régime comportant des aliments transformés industriellement (c’est-à-dire riche en viandes transformées, chocolats, desserts sucrés, aliments frits, céréales raffinées, produits laitiers, etc.).

Si le modèle alimentaire à base d’aliments entiers naturels a été associé à un risque plus faible de dépression, le modèle alimentaire à base d’aliments transformés, nettement plus riche en graisses saturées et en graisses insaturées trans, a été associé à un risque significativement plus élevé de dépression. Les résultats d’Akbaraly suggèrent donc un effet protecteur d’une alimentation constituée d’aliments naturels entiers, riche en fruits, légumes et poissons, alors qu’une ali- mentation composée industriellement paraît nocive pour la dépression unipolaire majeure chez des sujets prédisposés. Ces résultats suggèrent que les maladies cardiovasculaires et la dépression partagent des déterminants nutritionnels communs liés aux sous-types de consommation de gras. Mais ceci fera l’objet d’un prochain dossier…

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