La nouvelle version du Plan Écophyto diffère de la précédente par la mise en place des certificats d’économie de produits phytosanitaires, dont la réduction de 20 % d’ici à cinq ans devient une obligation pour les distributeurs. Sinon…
Le rapport visant à proposer « une nouvelle version du plan Écophyto » se veut audacieux. Rédigé par le député de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier, il propose une transition qui « s’inscrit dans un récit plus vaste ; un récit de notre rapport à la nature mais aussi à la République sociale [sic !] ». Estimant qu’« une révolution culturelle est en marche, non seulement chez les consommateurs mais également chez les producteurs », le rapporteur « invite à changer de paradigme ». Pour appuyer ses propos, il n’hésite pas à utiliser les clichés les plus surfaits. « Il n’y a pas de solutions phytosanitaires “locales“ sans réponse agro-écologique “globale“ », écrit-il, ou bien : « De la fourche à la fourchette, “nous sommes tous une partie de la solution“ ». Les élans lyriques se succèdent dans une introduction pleine de promesses, à travers laquelle se dessine un modèle agricole idyllique tout droit sorti du chapeau du « grand Edgar Pisani et des travaux du groupe de Seillac ».
En réalité, ce rapport permet surtout à l’élu socialiste de prendre ses distances avec Écophyto 2018, fruit d’un Grenelle de l’environnement trop marqué du sceau de Nicolas Sarkozy ; et de se montrer fidèle au ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, qui veut imposer à la profession son concept fourre-tout d’agro-écologie. « Face à la voie sans issue que constitue une “course à l’armement“ [sic !] des solutions agrochimiques, l’agro-écologie est d’abord une réponse réaliste », écrit le député. « La nature produit des ”pestes” qu’il est légitime de combattre pour vivre, mais il serait absurde que ce combat se retourne contre nous en détruisant les conditions mêmes de la vie », explique-t-il. Ce constat, qui ne fait pas vraiment dans la finesse, décoiffe, et devrait satisfaire les amis écologistes – ou plutôt les futurs électeurs potentiels – du président Hollande.
En revanche, ces derniers apprécieront certainement moins les nouveaux objectifs fixés par le député, qui renvoie à l’horizon 2025 la fameuse diminution de 50% des pesticides, originellement promise pour 2018. En effet, il faudra attendre que les pouvoirs publics aient mis en place un « cadre socio-économique propice à des systèmes de production et de gestion de l’espace beaucoup plus autonomes vis-à-vis des intrants », estime Dominique Potier. Une lapalissade pur jus ! Les mesures nécessaires pour obtenir ce « cadre socio-économique » valent un arrêt sur image. « Les pistes à explorer et les leviers à actionner concernent la régulation du foncier, les politiques agricoles commune et nationale, la réglementation européenne, le fonctionnement des filières, les modes de commercialisation et l’information des consommateurs », indique Dominique Potier. Et ce n’est pas tout : « Il faut aussi mobiliser le système de recherche-formation-innovation pour élargir la panoplie des méthodes alternatives, développer de nouvelles stratégies de prévention ou d’évitement des bio-agresseurs et rénover les contenus et méthodes de formation en agronomie et écologie ». Enfin, « pour susciter, orienter et coordonner les projets, il faut un cadre global : la mission propose d’élaborer une stratégie nationale (Écophyto-Recherche et Innovation) favorisant la pluridisciplinarité et la coopération entre tous les acteurs. Dans ce cadre collectif, quatre programmes à forte visée opérationnelle seraient lancés en lien avec les pôles de compétitivité, et la résorption des impasses phytosanitaires ferait l’objet d’un plan d’ensemble. » Vaste programme ! Au moins Dominique Potier a- t-il le mérite de ne pas proposer des mesures simplistes… Il conclut son rapport avec une liste à la Prévert de propositions d’une banalité criante (améliorer la chaîne de prévention, réduire le taux de non-conformité des denrées végétales, diffuser les outils d’aide à la décision, promouvoir les variétés résistantes, etc.), ou bien d’une généralité sans grand intérêt (maintenir le cap, élargir le champ, jouer collectif, territorialiser, etc.).
D’ici à la mise en place de cette grande révolution agricole, Dominique Potier fixe toutefois un « premier cap » plus modeste, avec une réduction de 25% des pesticides pour 2020. Lors de ses nombreux entretiens préliminaires, le député s’est entendu dire par certains organismes agricoles, encore un peu trop dans le politiquement correct, qu’une telle diminution serait possible dans un délai raisonnable. « Ce palier de 25 % est, se- lon l’INRA, atteignable sans modification en profondeur des systèmes agricoles », confirme la Fondation Hulot. Il suffirait à la fois « d’accroître l’efficience des produits appliqués (modulation des doses dans le temps et dans l’espace grâce à des outils d’aide à la décision et agro-équipements de nouvelle génération), de développer les alternatives aux pratiques conventionnelles (biocontrôle, variétés résistantes…), et de recourir à des combinaisons de techniques ayant des effets de synergie vis-à-vis de l’économie des intrants (itinéraires techniques et systèmes de culture innovants) », note le rapport. Bref, rien de très subversif, tout cela ne nécessitant qu’un meilleur accompagnement technique des agriculteurs.
Une erreur de diagnostic
Sauf que sur le terrain, personne n’est dupe ! Si le chiffre de 50 % a été choisi de manière totalement arbitraire, celui de 25% a été retenu de la même façon. On peut même se demander pourquoi définir une diminution quantitative alors que le véritable enjeu consiste à réduire les impacts sanitaires et environnementaux de l’usage des produits. Cette relation linéaire – encore affirmée par Stéphane Le Foll lors de sa présentation de « l’An 1 de l’agro-écologie » – ne résiste pas à un examen scientifique raisonnable. Et pour cause ! Contrairement à ce qu’on peut lire partout, les impacts négatifs avérés des pesticides sur la faune, la flore, la santé ou plus généralement l’environnement, sont particulièrement faibles ! Le rapport Agrican vient encore une fois de démontrer que même en ce qui concerne la santé des utilisateurs, la réalité est très loin des fantasmes des militants de Générations Futures ou de France Nature Environnement. « Il est maintenant admis que les chefs d’exploitation des pays industrialisés [c’est-à-dire les agriculteurs] ont globalement une meilleure espérance de vie que la population générale », peut-on lire en préambule de sa dernière version de novembre 2014. Les dernières données disponibles (de 2011) confirment que l’espérance de vie est plus faible dans la population générale que chez les agriculteurs, qui sont d’ailleurs moins atteints par les cancers (moins 30% chez les hommes et moins 24% chez les femmes). Il est curieux que cet élément positif n’ait pas retenu l’atten- tion de Dominique Potier, qui mentionne par ailleurs les travaux d’Agrican. Un petit oubli involontaire, certainement…
En outre, l’indicateur de pression phytosanitaire NODU (nombre de doses-unités) masque une réalité dérangeante. Il ignore en effet l’amélioration de certaines pratiques agricoles qui ne sont pas intégrées dans le calcul du NODU. Pire, il ne distingue pas l’usage d’un produit, qui peut être utilisé à des doses différentes, selon le choix de la culture. Le député est d’ailleurs parfaitement conscient de ces limites, puisqu’il souligne que « le premier déterminant de l’emploi des produits phytosanitaires et de ses variations est la répartition des cultures au sein de la SAU française et son évolution. Cela tient à la forte différenciation des régimes de protection phytosanitaire appliqués aux différentes cultures, et plus généralement aux différentes catégories d’usage de l’espace. » Ainsi, une baisse des surfaces mises en prairie – par exemple en vue de répondre au Plan protéines du gouverne- ment– conduit automatiquement à une hausse du NODU. Tout comme l’abandon du maïs OGM résistant à la pyrale au profit d’un maïs conventionnel, qui nécessite plusieurs traitements. Comme le souligne l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV), « le ministre de l’Agriculture a complètement passé sous silence une innovation efficace pour diminuer les traitements insecticides sur le maïs et qui existe depuis près de 20 ans mais aujourd’hui interdite en France : les variétés de maïs Bt. Ces variétés génétiquement modifiées permettent de lutter, sans utiliser de produits chimiques de synthèse, contre la pyrale, un insecte qui s’attaque au maïs et qui est la cause de baisses de rendement et de développe- ment de mycotoxines cancérigènes pour l’homme. »
Le comble de l’hypocrisie est atteint avec la proposittion du rapport de « lancer un programme de recherche-développement sur l’innovation variétale afin de mettre au point de nouvelles variétés qui permettent de réduire la dépendance aux pesticides sans effet négatif sur la production ». Faut-il rappeler que la mise sur le marché d’une pomme de terre résistante au mildiou a été abandonnée précisément parce que les responsables de l’ancienne majorité avaient fait comprendre à son promoteur qu’ils s’opposeraient à sa culture en France ? Or, le gouvernement actuel n’a pas envoyé de message contradictoire…
Dominique Potier aurait fait preuve de bon sens s’il avait proposé de prendre le problème à sa base, c’est-à-dire d’établir avant tout de réels indicateurs de pression sanitaire et environnementale afin de suivre l’évolution des pratiques. Au contraire, il a choisi de conserver le NODU, et donc de rester dans l’absurde logique du Grenelle de l’environnement.
Les CE2P, socle d’Écophyto V2
Malheureusement, cette erreur magistrale consistant in fine à n’avoir pour objectif que la seule réduction quantitative des pesticides a conduit Dominique Potier à valider les certificats d’économie de produits phytosanitaires, les fameux CE2P, pierre angulaire de la nouvelle version d’Écophyto. « La mission considère que les certificats d’économie de produits phytosanitaires (CE2P) sont un des moyens pour accélérer la diffusion des techniques de réduction des usages des pesticides. Elle recommande que l’expérimentation de ces certificats soit mise en place selon un dispositif simplifié, en préférant à un marché ouvert des relations contractualisées entre distributeurs et structures éligibles. Elle propose que soit étudiée une alternative basée sur une obligation de résultat fixée aux distributeurs, avec liberté de moyens sur les modalités de réduction des utilisations de phytosanitaires », écrit Dominique Potier, qui n’a pas eu l’audace de jeter cet instrument aux oubliettes des fausses-bonnes idées ! Certes, l’élu socialiste en a proposé une version « simplifiée », qui met les agriculteurs à l’abri de futures sanctions financières. Ainsi, le mécanisme des CE2P exclut les agriculteurs de son fonctionnement. De même que les producteurs de pesticides, sans lesquels les innovations sur le bio-contrôle n’auront jamais lieu. Agriculteurs comme producteurs de pesticides peuvent donc ignorer sans problème les CE2P.
Distributeurs ou gendarmes ?
Mais ce n’est pas le cas des distributeurs (coopératives et distributeurs indépendants), qui se verraient affecter un objectif individuel de baisse des ventes avec, en cas de résultats non favorables, une pénalité financière de 11 euros par NODU à la clé. C’est le retour par la fenêtre de l’écologie punitive !
Il est stupéfiant de constater qu’après avoir rencontré près de 200 personnes, dont 90 organismes, le député socialiste n’ait toujours pas saisi que l’échec de cet instrument est inscrit dans son patrimoine génétique ! Et ceci pour au moins deux raisons. D’une part, le système des CE2P ne prend pas en compte le fait que l’emploi des produits phytopharmaceutiques est corrélé à de multiples facteurs indépendants de la volonté des agriculteurs et de leurs conseillers. En effet, contrairement à Stéphane Le Foll, dont l’agenda est « politique », comme il l’a rappelé en comité restreint le 30 janvier 2015, celui des agriculteurs suit les saisons et les conditions climatiques ! Ce qui rend toute projection de diminution des ventes aléatoire malgré la mise en place d’actions alternatives à l’usage de ces produits.
D’autre part, la mise en place de cet instrument au forceps va inévitablement encourager les distributeurs concernés à investir légalement dans des circuits de distribution parallèles. Déjà aujourd’hui, un nombre considérable d’utilisateurs n’hésitent pas à s’approvisionner auprès de distributeurs de pays voisins. Au mieux, l’installation des CE2P ne fera donc qu’amplifier ce mouvement ; au pire, elle risquera d’accélérer le développement des importations parallèles illégales, voire des contrefaçons représentant des menaces pour la santé des agriculteurs et celle des consommateurs. Enfin, la complexité de gestion de cet outil laisse planer un sérieux doute sur la volonté revendiquée du président de la République et de son gouvernement d’opérer une simplification administrative. Ce dispositif des CE2P – sur lequel toute l’architecture d’Écophyto 2 est en réalité basée – est donc voué à l’échec. Il entraînera avec lui Écophyto 2 dans son naufrage annoncé…
Sources
Le groupe de Seillac tient son nom d’une rencontre organisée le 17 janvier 1992 par la fondation Charles-Léopold Mayer (FPH), qui en a confié l’animation à Edgard Pisani. Cet échange a donné lieu à la rédaction d’un rapport sur Les futurs de l’agriculture européenne.
Souhaitant poursuivre cette réflexion de façon collective, Edgard Pisani et quelques proches issus du milieu agricole ont constitué un cercle de vingt personnes, appuyé par la FPH et la revue L’événement européen. Tous se sont réunis pour la première fois en décembre 1992 à Seillac – d’où le nom du groupe. Dans ses ouvrages, le groupe de Seillac affirme deux grands principes : d’une part, la rétribution des produits agricoles sur des marchés européens protégés et régulés ; d’autre part, une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux et territoriaux par la mise en place d’une rémunération de services aux agriculteurs. Composé exclusivement de Français, alors que la politique agricole relève de l’Union européenne, le groupe de Seillac a décidé d’intégrer d’autres personnes et pris une dimension internationale sous le nom de groupe de Bruges (pour en savoir plus sur les activités du groupe de Bruges, lire A&E N°124–avril 2014).