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Lobbying autour du brevetage du vivant

L’agenda parlementaire de ce début d’année 2016 a été marqué par l’examen de la loi sur la biodiversité au Sénat. Les discussions en séance plénière ont eu lieu la troisième semaine de janvier. Occasion pour le collectif Semons la biodiversité, essentiellement animé par Guy Kastler et la Confédération paysanne, d’effectuer un important travail de lobbying loin des caméras et de la presse.

Principalement focalisé sur les questions relatives à la « brevetabilité du vivant », le collectif a multiplié les rencontres avec les élus de la République, sensibles à son discours. Et notamment avec les sénateurs Évelyne Didier, Joël Labbé, Marie-Christine Blandin, Ronan Dantec ou encore François Grosdidier, qui en ont repris les grandes lignes en défendant une politique assez simple, qui consiste à créer un cadre législatif aussi peu reconnaissant que possible envers le travail des entreprises semencières, au motif que les paysans n’ont pas vraiment besoin de leurs semences.

Riches de leurs « savoirs issus de leur engagement quotidien avec le vivant, qui est leur premier outil de travail, [les paysans] recherchent avant tout des plantes et des animaux adaptés à leurs pratiques et leurs terroirs. Ils n’ont pas les moyens, ni le besoin de revendiquer l’existence et la fonction de séquences génétiques ou de caractères biochimiques associés aux caractères intéressants qu’ils ont identifiés et sélectionnés », peut-on lire sur le site de Semons la biodiversité.

Autrement dit, nul besoin de savoir pourquoi une variété possède une caractéristique particulière, et encore moins d’en étudier les raisons scientifiques. Pour le collectif, la seule science qui compte consiste à observer impuissamment le comportement des plantes, sans même tenter de comprendre ce qui se passe… Une attitude assez proche de celle du président du tribunal révolutionnaire Jean-Baptiste Coffinhal, qui avait estimé que « la république n’a pas besoin de savants » avant d’envoyer le grand chimiste français Lavoisier à la guillotine !

On comprend aisément pourquoi l’accélération de la puissance des outils modernes dont disposent les sélectionneurs (capacité de traitements informatiques rapides, séquençage du génome, techniques d’interventions directes et sélectives sur le matériel génétique, etc.) inquiète à ce point Guy Kastler et ses amis, lancés tous azimuts dans une guérilla contre les brevets en général et contre les brevets sur les « gènes natifs » en particulier.

Grâce à ses relais politiques, le collectif a donc déposé des amendements, dont certains ont été adoptés au Sénat. Notamment celui qui élargit le champ d’application de l’interdiction de la brevetabilité, afin que celle-ci touche les plantes issues de procédés « essentiellement biologiques », mais aussi « leurs parties et leurs composantes génétiques ». Le collectif s’est félicité de cette victoire et de ce « vent d’espoir contre la biopiraterie ».

Un satisfecit partagé

Comble de l’ironie, ce combat pour limiter la portée des brevets est en réalité, dans sa partie raisonnable, partagé par l’immense majorité des entreprises semencières française. « Nous sommes satisfaits de ces dispositions », a en effet déclaré Delphine Guey, directrice des affaires publiques du GNIS, qui précise que cela permet d’« éviter la brevetabilité de découvertes tout en gardant celles qui concernent les inventions ».

Hormis quelques grandes entreprises issues d’autres secteurs et donc parfaitement accoutumées au système très fontionnel des brevets, l’essentiel du secteur est en effet plutôt très attaché aux certificats d’obtention végétale (COV), mis en place dans les années 60. D’autant plus que ceux-ci ont parfaitement fonctionné à une époque où le temps nécessaire à l’innovation et celui de l’obsolescence commerciale permettaient à chacun – l’agriculteur comme les sélectionneurs concurrents– de s’y retrouver.

La révolution des nouvelles techniques

La situation a changé avec l’arrivée des nouvelles techniques il y a une vingtaine d’années. « L’accélération du processus d’innovation entraîne en matière de création variétale un décalage entre ce pas de temps de l’innovation et celui de l’obsolescence commerciale », soulignent Jean-Christophe Gouache, François Desprez et Claude Tabel, dans un article publié dans la revue Paysans. C’est pourquoi « les acteurs de l’amélioration des plantes ont commencé à utiliser le brevet d’invention, dès les années 90, pour protéger certaines de leurs innovations, lorsque les critères de brevetabilité étaient remplis ».

Toutefois, cette situation de cohabitation entre COV et brevet risque à terme de devenir ingérable en raison de l’accélération des nouvelles techniques disponibles (avec, dans certains cas, la possibilité de réaliser des modifications indétectables dans le matériel génétique). D’où la nécessité de faire évoluer le cadre juridique réglementant la propriété intellectuelle.

Or, le véritable enjeu –celui que semble ignorer Guy Kastler, qui préfère regarder l’avenir avec les yeux du passé – consiste non pas à se braquer sur le système des brevets, mais plutôt à faire progresser le COV de manière, à terme, à exclure totalement toutes les formes de brevetage du vivant, tout en protégeant l’innovation sans mettre de barrière au partage des ressources végétales. Ce qui est déjà la position des autorités hollandaises. Raison pour laquelle certains amendements portés par le collectif Semons la biodiversité n’ont finalement rien de si embarrassant pour le secteur semencier. Bien au contraire.

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