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Victoire de l’ANPP au Conseil d’État

Saisi par l’Association nationale pommes poires (ANPP), le Conseil d’État a finalement estimé que l’arrêté du 12 septembre 2006 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytosanitaires a été pris « à l’issue d’une procédure irrégulière ». Par conséquent, dans leurs conclusions rendues publiques le 6 juillet 2016, les sages exigent son abrogation dans un délai de six mois.

Incontestablement, c’est une très belle victoire pour l’ANPP, qui livre ce combat depuis dix années, marquées par l’assourdissant silence d’une administration pourtant parfaitement consciente de l’illégalité de sa décision.

Dès son entrée en vigueur, cet arrêté a été contesté. Tant sur la forme (il n’a jamais été notifié à Bruxelles), que sur le fond (inapplicable pour de nombreuses raisons). L’ANPP a alerté le ministre de l’Agriculture de l’époque, Dominique Bussereau, par le biais d’un courrier de janvier 2007 avertissant que sa mise en œuvre mettrait en péril la production de fruits en verger.

« J’ai rencontré le ministre de l’Agriculture le 4 mai 2007, lors d’une réunion à Saint-Georges-de-Didonne, en Charente-Maritime, pour lui notifier les problèmes que suscite l’application stricte de cet arrêté et pour faire des propositions constructives », indique Daniel Sauvaitre, l’actuel président de l’ANPP. En vain.

Face au mutisme du ministre, l’ANPP ne s’est pas résignée. Elle est passée à l’offensive en 2008 en réalisant une expérimentation grandeur nature sur un verger, baptisée Vergers Témoins. Et les résultats ont été sans appel : 99% de la récolte de pommes n’étaient pas commercialisables en frais en raison d’une infestation par la tavelure. « Les 22 traitements qui ont pu être réalisés pendant les 37 jours autorisés –soit 30% des jours travaillés– ont été totalement inopérants », constate Émile Kokoe, le technicien du Centre d’expérimentation fruits et légumes (Cefel), chargé de superviser l’expérimentation.

Mépris des ministres

Devant cette réalité, le successeur de Dominique Bussereau, Michel Barnier, annonce qu’une révision de l’arrêté s’impose lors du congrès de la Fédération nationale de la pêche en France (FNPF), le 18 janvier 2009. « Un groupe de travail ayant pour objectif sa révision dans un délai de six mois, soit pour juin 2009, a même été mis en place », se souvient Daniel Sauvaitre. Sauf que les conclusions de ce groupe de travail se font toujours attendre…

« Au cours des trois premiers mois de 2011, 35 députés ont posé plus de 90 questions parlementaires relatives aux soucis que nous cause cet arrêté », poursuit le président de l’ANPP. Or, Bruno Lemaire, qui hérite du dossier après sa nomination à la tête du ministère, n’y apporte guère plus d’attention. Et l’arrivée de Stéphane Le Foll rue de Varenne en mai 2012 n’y change rien. Indifférent à la détresse des producteurs, le ministre décide de ne pas s’encombrer d’un dossier aussi sensible. Embourbé dans sa logique de l’agro-écologie, il préfère le silence à l’action.

Comble de l’ironie, c’est précisément ce mépris des services du ministre à l’encontre de la profession qui a ouvert une brèche dans le dispositif. « Nous avons pu saisir le Conseil d’État parce que le ministère de l’Agriculture s’est abstenu de répondre à un courrier que nous lui avions adressé pour demander l’abrogation de l’arrêté », explique Maître Laurent Verdier, l’architecte de la stratégie juridique de l’ANPP. La décision implicite de refuser d’abroger l’arrêté est « née du silence gardé par le ministre de l’Agriculture », estime en effet le Conseil d’État. L’acceptation de la requête signe de facto son arrêt de mort. En effet, dès son origine, cet arrêté est entaché de deux fautes irréparables, commises par l’administration : d’une part, celle-ci a oublié de notifier le projet d’arrêté à la Commission, et d’autre part, elle a choisi de ne pas associer le public à son élaboration, ce qui est contraire à l’exigence de l’article 7 de la Charte de l’environnement. Les sages du Conseil d’État ne pouvaient laisser passer de telles erreurs.

Des mesures disproportionnées

L’abrogation de l’arrêté conduit le ministère à tout remettre à plat. « Cette fois-ci, il ne pourra pas se permettre d’ignorer les attentes des professionnels », avertit Me Laurent Verdier. Car c’est toute la logique du premier texte qui pose problème. En effet, si l’arrêté a été invalidé en raison d’un vice de forme (la non notification à la Commission), il est également très contestable sur le fond, comme en témoignent les propos du rapporteur public, Vincent Daumas. Lors de la séance publique du 22 juin, ce dernier a indiqué qu’aucun des trois arguments évoqués par l’ANPP sur les questions de fond « ne pouvait être écarté d’un revers de main ». Il n’a pas tort. « Juridiquement, l’arrêté du 12 septembre 2006 relève de l’application du principe de précaution (puisqu’il figure dans la partie du code rural relative aux mesures de précaution). Or, en fixant des dispositions permanentes – et non provisoires – sans engager des procédures d’évaluation des risques, il ne tient pas compte des exigences qui encadrent l’application du principe de précaution, telles qu’elles sont formulées dans l’article 5 de la Charte de l’environnement », poursuit Laurent Verdier. D’où « l’erreur de droit dans l’application de l’arrêté », qui suffit à l’invalider. Et ce n’est pas tout. L’opération Vergers Témoins a clairement démontré que les mesures imposées par l’arrêté étaient disproportionnées au but recherché. « Il s’agit de l’usage de produits qui ont reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM). Or, l’AMM et les restrictions qu’elle peut comporter le cas échéant devraient suffire à prévenir les risques de ces produits pour la santé et l’environnement », rappelle Me Laurent Verdier. Rajouter des restrictions d’usage qui rendent inopérants les traitements pratiqués, au point d’avoir 100 % des fruits non commercialisables, représente incontestablement une « erreur manifeste d’appréciation ».

Vers un nouvel arrêté

« Nous allons être très vigilants dans la rédaction du nouveau texte que doit proposer le ministre », assure aujourd’hui Daniel Sauvaitre. Le président de l’ANPP se dit toutefois confiant. « Il ne s’agit pas de remettre en cause tout ce qui concerne la protection des producteurs, de leurs salariés et de l’environnement, mais de prendre des mesures compatibles avec la production, et dans le respect du droit français et européen. Depuis dix ans, nous avons fait de réels progrès, notamment en matière de pulvérisation, et nous avons encore des propositions à faire au ministère », affirme-t-il.

En revanche, la profession acceptera difficilement un nouveau texte qui ajoute des contraintes franco-françaises supplémentaires à la réglementation communautaire. D’autant plus que le Premier ministre, Manuel Valls, a clairement promis de mettre un terme à la surenchère administrative qui plombe l’agriculture.

Le plus sage serait donc de s’aligner sur la transcription des directives européennes concernées (directive-cadre sur l’eau et les produits phytosanitaires), telle qu’elle a été réalisée dans les autres pays de l’UE, et d’appliquer ces règles aux producteurs français. Ni plus, ni moins.

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