« Tout ce qu’il faut savoir sur la viande pour sauver nos éleveurs », titre Marianne dans son numéro du 16 décembre 2016. L’hebdomadaire annonce un dossier d’une vingtaine de pages, réalisé sous la direction du critique gastronomique Périco Légasse. Inutile de se précipiter sur ce numéro exceptionnel, qui se singularise plutôt par sa platitude. Aucune idée nouvelle, ni aucune proposition permettant d’apporter des perspectives enthousiasmantes à cette filière en grande difficulté, n’y figurent. Et visiblement, aucune enquête sérieuse sur le terrain n’a été effectuée. En revanche, la lecture de ces pages fera certainement le bonheur de quelques bobos parisiens toujours fascinés par Martine à la Ferme :
dessin CRichard pour AE – Marianne perico – bobo
Manichéisme et poncifs à la mode bobo
On y retrouve en effet tous les poncifs à la mode, avec d’un côté les bons – c’est-à-dire les représentants des valeurs artisanales d’antan et les petits producteurs – et de l’autre, les méchants, ceux qui menacent les traditions et nous empoisonnent avec la « bidoche industrielle bas de gamme gavée de toxines ».
Les méchants, ce sont évidemment « les banquiers de la barbaque », prêts à n’importe quel sacrifice animal dès lors que cela contribue à « arrondir leurs bénéfices ». Ou encore l’Europe « bureaucratique et pointilleuse », qui interdit désormais « aux éleveurs d’avoir accès aux abattoirs » tout en permettant « aux petits malins de réalise de juteux profits », comme ces « deux plus gros voyous » présentés au marché aux bestiaux de Cholet (Maine-et-Loire), et dont l’abominable crime consiste à… « exporter des veaux et des jeunes bovins vers l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas, où ils seront engraissés ». Exporter des animaux, quelle vulgarité !
Également dans le viseur du chroniqueur gastronomique, l’Amérique avec ses « feed lots pouvant regrouper jusqu’à 60 000 bêtes gavées aux OGM et véritables centrales à effet de serre ». D’ailleurs, « la fameuse viande cancérogène, c’est l’Oncle Sam qui la grille », s’emballe Périco Légasse, sans apporter la moindre preuve à ses propos.
Haro sur Jean-Paul Bigard
Et puis, il y a Jean-Paul Bigard, « le carnassier qui dicte sa loi ». Le numéro un français de la viande serait « impitoyable », et capable de tenir tout le monde en respect. Deux pleines pages lui sont consacrées sans que l’on découvre quoi que ce soit de pertinent. Le récit se résume à l’histoire très classique d’un entrepreneur qui a catapulté la petite entreprise fondée par son père, Lucien, au premier rang des abatteurs français.
Une histoire présentée comme un conte d’horreur. Jean-Paul Bigard « est un dur », déplore le sénateur des Pyrénées-Atlantiques, Jean-Jacques Lasserre. Certainement. Et lorsqu’il impose ses prix aux paysans, c’est pour « protéger sa marge », s’indigne de son côté le sénateur écolo du Morbihan, Joël Labbé, qui regrette que « les consommateurs achètent encore des steaks en barquette individuelle à bas coût dans les hypermarchés ».
Il est donc urgent de « siffler la fin de la foire », clame Périgo Légasse, qui s’attelle à la tâche grâce aux « médias lucides » [sic] mais qui frôlent régulièrement la faillite. Ainsi, il nous fait découvrir sa vision de la filière bovine, qui se résume à défendre l’artisan boucher, le vrai, et le sincère petit paysan si sympathique.
Du côté du boucher : visite au cœur de Paris, au marché Saint-Germain (VIe). « Serge Caillaud connaît ses bêtes et estime la carne à l’œil », peut-on lire dans Marianne. Sa boucherie voit passer du beau monde, comme Catherine Deneuve, Lionel Jospin ou encore Marion Cotillard. Chevalier de l’Ordre national du mérite, une distinction qu’il a reçue des mains de l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, Serge Caillaud serait le « Mozart de la blanquette ». Sa côte de bœuf se paie au prix fort : 33 euros le kilo, tandis que son escalope de poulet s’élève à 22 euros le kilo. Un prix élevé pour de la qualité, tel est le créneau commercial de Serge Caillaud. Un créneau parfaitement conforme à la philosophie de Périgo Légasse : « Produire moins de viande, de qualité, et mieux payée, est la seule option pour que nos éleveurs et nos artisans bouchers continuent à nous nourrir ». À Paris, dans le VIe arrondissement, on peut comprendre que ça marche !
Le bon paysan
Du côté des éleveurs, c’est Thierry Collette qui reçoit les honneurs de l’hebdomadaire. Il a fait le choix « du naturel et de l’éthique », et des circuits courts : boucheries artisanales et rayons boucherie des grandes surfaces. Sa ferme respire la liberté : « Un veau sort de l’étable en gambadant, l’air un peu voyou de l’effronté qui se balade quand il veut […]. Sous le hangar, les vaches, paisibles, broutent un foin dont l’odeur semble elle aussi venir d’un autre temps. » Rien à voir avec ces éleveurs « contraints à une production intensive et soumis à la loi des grands groupes » ! Thierry Collette est un précurseur, et « les hormones que certains utilisent pour gagner de 10 à 15 % de poids sur une carcasse de 500 kg, ce n’est vraiment pas son truc », explique Marianne, qui semble ignorer qu’aucun éleveur français n’utilise des hormones de croissance pour la simple raison que la viande aux hormones n’est pas commercialisable en Europe !
Certes, Thierry Collette n’est pas épargné par la crise du prix de la viande, reconnaît l’hebdomadaire. Mais « il se rattrape sur les marges ». Résultat, il se verse un salaire de… 1300 euros nets par mois, et « pioche parfois dans son capital ». Heureusement, il a « peu de besoins ». Les vacances, par exemple, il ne connaît pas. Comme la vie de couple, puisqu’à cinquante ans, il n’a jamais été marié et n’a pas d’enfant. Peu importe, puisque Périco Légasse se régale de sa bonne viande…