Par une décision en date du 6 janvier 2017, le tribunal correctionnel du Mans a prononcé la nullité des poursuites contre un arboriculteur. Cette relaxe – une première dans son genre – est la conséquence logique de l’illégalité de l’arrêté du 12 septembre 2006, reconnu récemment par le Conseil d’État.
Explications par Me Laurent Verdier, du cabinet Verdier LePrat Avocats, qui assurait la défense du producteur poursuivi.
Quel était l’objet du litige dans cette affaire ?
Laurent Verdier : Un exploitant, pomiculteur, était renvoyé en correctionnel pour avoir, prétendument, épandu des produits phytosanitaires avec un vent supérieur à 3 sur l’échelle de Beaufort, et pour n’avoir pas mis en œuvre les moyens appropriés pour éviter leur entraînement hors de la parcelle traitée.
Tout exploitant de bonne foi, poursuivi aujourd’hui pour une infraction à l’arrêté de 2006, pourra faire valoir la nullité des poursuites.
Si nous avions de bons moyens de défense à faire valoir sur le fond, notamment pour critiquer la mesure approximative faite de la vitesse du vent, nous avons préféré soulever la nullité de la convocation en justice, fondée sur l’abrogation à venir de l’arrêté du 12 septembre 2006, que vient de prononcer le Conseil d’État.
En effet, selon le principe de légalité criminelle, un juge pénal ne peut prononcer une sanction que si un texte légal le prévoit. Autrement dit, quand le texte à l’origine des poursuites est illégal, le juge doit l’écarter et ne peut donc le retenir pour entrer en voie de condamnation. Nous avons donc expliqué au Tribunal correctionnel que l’arrêté du 12 septembre 2006 était illégal et que les poursuites fondées sur ledit arrêté étaient entachées de nullité.
Sauf que l’arrêté de 2006 n’a pas été annulé et reste en vigueur jusqu’à son abrogation à venir…
Certes, mais il n’en est pas moins illégal. Cette illégalité a été expressément retenue par le Conseil d’État, dans son arrêt rendu le 6 juillet 2016 à la suite du recours intenté par l’Association nationale pommes poires (ANPP). La relaxe de notre client pommiculteur est donc une suite logique de la décision du Conseil d’État.
Mais alors pourquoi le Conseil d’État n’a pas directement annulé l’arrêté du 12 septembre 2006 ?
Après des années de contestation de la part de l’ANPP, qui estime cet arrêté inapplicable et imposant certaines mesures disproportionnées, l’ANPP n’avait plus d’autre choix que de saisir le Conseil d’État. Or, le délai de recours (de deux mois) était dépassé depuis plusieurs années. Notre stratégie a donc consisté à demander une nouvelle fois au Ministre d’abroger cet arrêté, une requête à laquelle Stéphane Le Foll a refusé de répondre. Ce refus a permis à l’ANPP de présenter sa demande devant le Conseil d’État, qui a suivi nos arguments. Le 16 juillet 2016, il a expressément retenu le caractère illégal de l’arrêté du 12 septembre 2006 et a fait injonction au Ministre de l’abroger, lui donnant un délai de six mois, le temps nécessaire pour refaire un texte réglementaire conforme au droit communautaire. Tant que le Ministre n’aura pas abrogé l’arrêté du 12 septembre 2006, il restera dans notre droit positif. Mais il sera toujours possible de faire valoir son illégalité pour contester, au pénal, les poursuites fondées sur ce texte.
Cela signifie que les agriculteurs ne risquent plus rien s’ils ne respectent pas l’arrêté du 12 septembre 2006 ?
La contestation de l’arrêté du 12 septembre 2006 menée devant le Conseil d’État n’a jamais visé à s’affranchir de toute règle pour l’emploi des produits phytosanitaires. Les exploitants agricoles sont les premiers concernés par les effets liés à ces produits lorsqu’ils ne sont pas utilisés avec les précautions nécessaires. Et les préoccupations environnementales sont également, bien entendu, partagées par les agriculteurs. Aussi, aucun acteur sérieux ne peut demander aux exploitants de s’affranchir de toute règle. L’ANPP a d’ailleurs élaboré les règles de bonnes pratiques agricoles et promeut le label « Vergers écoresponsables ». Donc personne n’incitera les exploitants agricoles à faire « n’importe quoi ». Ils pourraient d’ailleurs, si tel était le cas, être poursuivis sur d’autres textes que l’arrêté de 2006, comme par exemple le délit de mise en danger de la vie d’autrui. Mais il n’en demeure pas moins que tout exploitant de bonne foi, poursuivi aujourd’hui pour une infraction à l’arrêté de 2006, pourra faire valoir la nullité des poursuites, comme cela a été fait avec succès au Mans.
L’arrêt du Conseil d’Etat du 16 juillet 2016 est donc lourd de conséquences ?
Tout à fait. Non seulement il oblige l’Administration à redéfinir les règles d’utilisation des produits phytosanitaires, en associant les différents acteurs concernés, mais encore, de façon très opportune, il a un effet direct pour les personnes poursuivies pour des infractions à l’arrêté du 12 septembre 2006.