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EGA : Hulot boude et agace

A l’occasion de la clôture des Etats généraux de l’alimentation (EGA) le 21 décembre dernier, Nicolas Hulot a manifesté son mécontentement en brillant par son absence. La raison d’un tel coup de colère ? Avoir « découvert les conclusions des Etats généraux dans le dossier de presse » le matin même, explique Le Canard Enchaîné. « Mon rôle n’est pas suffisamment pris en compte», se lamente ainsi Hulot qui, toujours selon Le Canard, n’adresse plus la parole au ministre de l’Agriculture Stéphane Travert depuis déjà quelques mois.

En revanche, le ministre de la Transition écologique a la langue déliée dès lors qu’il s’agit de s’entretenir avec les médias. Contacté par Le Monde le soir de la clôture des EGA, Hulot a expliqué la signification de son geste : « Le compte n’y est pas (…) Je ne vais donc pas aller faire le beau. »

Clairement agacé par les états d’âme de son ministre, Edouard Philippe estime en revanche qu’avec son geste, « Hulot a abîmé l’image de ces Etats généraux et la sienne ». Reçu le jour suivant à Matignon, le numéro deux du gouvernement a souhaité clarifier la situation, admettant que « parfois la communication m’échappe un peu ». Il a donc rectifié le tir. S’estimant désormais « 100% en phase » avec la position du Premier ministre, il a même salué le travail «inédit» accompli pendant les EGA: « Par rapport à ce travail, il faut maintenant que sa traduction politique soit à la hauteur, il faut un peu de temps en plus, c’est simplement ce que j’ai voulu dire.»

Hulot fait « chou blanc »

Retropédalage ou mea culpa ? En réalité, Nicolas Hulot maîtrise parfaitement les ressorts de la communication… et de la stratégie de lobbying politique. Mis sous pression par l’écolosphère, qui l’accuse d’être la marionnette écologiste d’un Président aussi peu écolo que ses deux prédécesseurs, Hulot se doit de préserver son image. Or du côté des ONG, l’insatisfaction est très visible. « Ce qu’on craignait au début des Etats généraux s’est réalisé. Le gouvernement nous propose une feuille de route sans objectifs concrets, sans aucune idée des moyens qui lui seront alloués », déplore ainsi Camille Dorioz, responsable agriculture à la Fédération nature environnement (FNE). Même déception au sein de la Fondation Nicolas Hulot, rebaptisée Fondation pour la Nature et l’Homme depuis la nomination de son président au gouvernement: « On ne retrouve quasi ment pas d’annonces concrètes, pas d’engagements financiers, mais beaucoup de communication », regrette Mathilde Théry. Bref, « la volonté de Nicolas Hulot de faire de ce grand rendez-vous un tremplin pour modifier en profondeur le modèle agricole français a fait chou blanc », constate Le Monde.

C’est donc avec le milieu associatif qui lui est proche que le ministre a cogéré ce nécessaire « coup d’éclat ». « Les acteurs de la plateforme citoyenne pour une transition agricole et alimentaire sont inquiets de l’absence de Nicolas Hulot à la journée de conclusion des Etats généraux de l’alimentation », a indiqué un communiqué de presse d’un collectif d’une cinquantaine d’associations écologistes, accompagnant ainsi le geste de Hulot. « Le ministre de la Transition écologique retirerait- il sa caution aux conclusions des Etats généraux ? », poursuivent les auteurs tandis que FNE « refuse cette fin des EGA incompréhensible » et attend « un sursaut du gouvernement ». Pour sa part, l’association Agir pour l’Environnement s’est dite inquiète qu’au terme des 35 000 heures cumulées de réunions, « ces Etats généraux de l’alimentation se concluent sur des déclarations d’intention très floues, indignes des ambitions initialement affichées ». L’association en a profité pour tirer à boulets rouges sur le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert, qui serait la cause de cet « échec ». « Pour Agir pour l’Environnement, les actes posés depuis l’élection d’Emmanuel Macron et la nomination de Stéphane Travert au poste de ministre de l’Agriculture sont particulièrement inquiétants », note ainsi l’association qui regrette « l’absence persistante de portage politique par le ministre de l’Agriculture et l’incapacité manifeste du ministre de comprendre la nécessité et l’urgence d’une transition agricole et alimentaire ».

Face à ces critiques, le gouvernement se doit de donner des gages aux amis de Nicolas Hulot, se montrant ainsi à l’écoute des revendications du ministre le plus populaire du gouvernement.

Ce discours radical est partagé par Europe Ecologie – Les Verts. « Au terme de 5 mois d’échanges biaisés qui ont vu nombre d’ONG quitter la table des négociations devant l’omniprésence des intérêts de l’agro-business, la copie rendue par le gouvernement est vide. Tellement vide que même le ministre Hulot s’est fait porter pâle pour ne pas avoir à cautionner une telle vacuité », note Julien Bayrou, déplorant le fait que « la promesse d’une augmentation des prix de l’alimentation dans les réseaux des supermarchés et hypermarchés devient la principale annonce de ces Etats généraux ».

Cette crainte n’est d’ailleurs pas entièrement dénuée de fondement. Comme le note l’UFC-Que Choisir, à peine 10 à 15% des conclusions des ateliers auront une traduction législative, les EGA devant principalement aboutir sur une future loi qui concernera avant tout les rapports entre producteurs et grande distribution. Il s’agit notamment de relever de 10 % le seuil de revente à perte (qui définit le prix en dessous duquel un distributeur a l’interdiction de revendre un produit hors période de soldes) et d’encadrer les promotions « à titre expérimental et pour une durée de deux ans ». Ce qui ne peut en effet qu’alourdir la facture alimentaire des consommateurs. Or rien ne garantit que la grande distribution va répercuter les marges supplémentaires vers le monde agricole…

Des gages à l’écolosphère

Face à ces critiques, le gouvernement se doit de donner des gages aux amis de Nicolas Hulot, se montrant ainsi à l’écoute des revendications du ministre le plus populaire du gouvernement. C’est le choix qu’il a fait en jouant la carte si consensuelle du bio. « Nous inscrirons dans la loi l’objectif de 50% de produits bio, locaux ou écologiques dans la restauration collective avant la fin du quinquennat », a ainsi indiqué le Premier ministre, promettant que d’ici le Salon de l’agriculture, un nouveau programme en faveur du développement de l’agriculture biologique serait proposé. « Le Gouvernement est prêt à reprendre à son compte l’objectif de 15 % de surface agricole utile française en 2022, contre 6 % aujourd’hui. »

C’est bien évidemment dans ce contexte de marchandage politique que s’inscrit la guerre menée par Emmanuel Macron contre les produits phytosanitaires, à travers l’inutile séparation du conseil et de la vente des pesticides, l’augmentation de la redevance pour pollutions diffuses et la sortie programmée du glyphosate d’ici trois ans. Bref, des mesures qui plaisent à l’écolosphère mais risquent de mettre en péril la compétitivité de l’agriculture française.

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