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Le cuivre sur la sellette

Le silence assourdissant des associations anti-pesticides comme celui de certains journalistes concernant la réévaluation par l’Union européenne de l’un des pesticides très largement utilisés par les producteurs de denrées alimentaires bio, à savoir les formulations à base de cuivre, illustre à la perfection l’hypocrisie qui règne dans le monde bien particulier de l’agriculture biologique.

Des conclusions accablantes

En cours depuis deux ans, le processus de réévaluation a été confié aux experts de deux agences sanitaires européennes, l’Anses pour la France et l’UBA en Allemagne. Il a finalement donné lieu à une synthèse, publiée le 16 janvier 2018. L’approbation des composés de cuivre ayant expiré le 31 janvier 2018, la Commission a donc été dans l’obligation de prolonger son usage d’un an, en raison du retard pris par l’expertise européenne. Une proposition sera remise aux Etats- membres d’ici le mois de juin 2018, a indiqué la Commission.

Or, les conclusions de cette évaluation sont accablantes pour ce pesticide, défendu corps et âme par le lobby du bio français. Comme le remarque le site www. produire-bio.fr, les deux agences « ont travaillé depuis 2015 sur les études fournies par les fabricants de produits cupriques », c’est-à-dire un consortium de seulement huit entreprises (Albaugh, Cinkarna, IQV, Isagro, Manica, Montanwerke, Prince Erachem et Saldeco Spiess-Urania). « Des études fournies par les fabricants de produits » ! Voilà un procédé qui ne semble choquer ni Stéphane Foucart, le journaliste du Monde à l’origine des Monsanto Papers, ni le patron de Générations Futures, François Veillerette, qui se sont pourtant indignés face à ces mêmes pratiques dès lors qu’elles concernaient l’homologation du glyphosate. Deux poids, deux mesures ?

Une multitude de risques identifiés

Mais ce n’est pas tout. En effet, une multitude de risques ont été identifiés par les auteurs du rapport. D’abord pour les opérateurs : « Le niveau d’exposition estimé des travailleurs qui retournent dans les vignobles traités avec des formulations à base de cuivre dépasse le seuil maximal d’exposition toléré », alertent les auteurs qui estiment que « compte tenu des résultats d’une étude de toxicité par inhalation répétée, une attention particulière doit être accordée à la protection des opérateurs appliquant des formulations insolubles à base de cuivre ». De même, ils notent qu’« un risque élevé a été conclu pour tous les usages en ce qui concerne les oiseaux et les mammifères, les organismes aquatiques et les macro-organismes du sol ». Bref, il y a là de quoi s’inquiéter sévèrement des effets sanitaires et environnementaux. Ici encore, il y a deux poids, deux mesures, puisque dans le cas du glyphosate aucun de ces risques n’a été mis en évidence. Ce contraste semble assez logique étant donné le mécanisme d’action bien moins toxique du glyphosate, capable d’agir uniquement sur les espèces vivantes qui utilisent de la photosynthèse.

Enfin, et toujours dans le dossier du cuivre, de très nombreuses questions sont restées sans réponse, notamment sur les risques pour les abeilles et autres arthropodes non cibles. Plus inquiétant encore, « l’évaluation des risques pour les consommateurs n’a pas pu être finalisée étant donné que les essais de résidus dans le cadre des Bonnes Pratiques Agricoles (BPA) sur les raisins, les tomates, les cucurbitacées à peau comestible et les cucurbitacées à peau non comestible étaient manquants ». Bref, le dossier du cuivre soulève bien davantage de questions que celui du glyphosate, qui a pourtant fait l’objet d’une vaste campagne afin d’obtenir son interdiction.

Dans le dossier du cuivre, de très nombreuses questions sont restées sans réponse, notamment sur les risques pour les abeilles et autres arthropodes non cibles

Or dans le cas du cuivre, aucune pétition n’a été organisée par les militants écologistes alors que tous les grands noms du bio comme Biocoop, Léa Nature, C’Bio et les autres restent très discrets sur cet usage problématique. En toute logique, les nombreuses absences de réponses devraient automatiquement entraîner la suspension de ce produit. C’est d’ailleurs le choix qu’ont déjà fait le Danemark et les Pays-Bas. « L’usage du cuivre est interdit depuis très longtemps dans la production de pommes de terre bio, qui représente à ce jour 3,6 % de la production totale sur 1 600 ha », indique Lars Bødker, l’un des experts danois de la pomme de terre. Cette situation pose pourtant des problèmes aux producteurs. « En 2016, suite à une grosse pression de mildiou, la production de pommes de terre bio, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, s’est effondrée, ne pouvant même plus faire face à la demande », confirme Helge Lynggaard, le rédacteur du site « La pomme de terre danoise ».

La situation aux Pays-Bas n’est quant à elle pas plus reluisante, constate Didier Andrivon, qui pilote l’expertise collective sur les alternatives au cuivre. « La production de pommes de terre bio a chuté de 274 ha entre 2002 et 2007, soit un repli de plus 20 % », note l’expert. Cela a conduit le pays à importer des pommes de terre bio d’Italie, d’Allemagne et d’Israël ! Certes, ces chiffres datent un peu, reconnaît volontiers Didier Andrivon, mais ils témoignent des difficultés de la filière bio face au mildiou et à la tavelure.

Attaque de mildiou

Pas vraiment d’alternatives

En France, nous entendons un tout autre son de cloche : « Il ne faut peut-être pas le supprimer, mais en diminuer fortement l’usage », insiste Claude Bévillard, responsable agricole pour France Nature Environnement (FNE). « On a du mal à trouver des alternatives. On peut diminuer les doses, mais on est toujours addict », poursuit Thierry Mercier, de président de l’Itab. « Si demain on interdit le cuivre, il n’y a plus de viticulture bio », enchaîne Olivier Huchette, responsable certification chez Demeter France, le label bio de l’agriculture biodynamique. « La question du cuivre est particulièrement importante en agriculture, notamment biologique. De nombreux producteurs bio et non bio utilisent du cuivre et la recherche pour la diminution de son usage ou le déploiement d’alternatives sont encore trop peu développés », confirme le site www. produire-bio.fr. En parallèle, le lobby du bio se déchaîne auprès des instances officielles afin de porter à leur connaissance les difficultés des producteurs bio à se passer de cet indispensable pesticide, quitte d’ailleurs à brouiller son message avec les campagnes trompeuses qui suggèrent que les producteurs bio n’utilisent pas de pesticides.

Présentée le 16 janvier, une expertise scientifique collective, réalisée par les experts de l’Itab et de l’Inra, juge, elle aussi, difficile – voire impossible actuellement – de se passer du cuivre dans l’agriculture biologique.

Pourtant, l’expertise n’hésite pas à souligner les nombreux « problèmes éco-toxicologiques » que posent la plupart des utilisations du cuivre. « L’application répétée de pesticides à base de cuivre est la principale source de pollution cuprique des sols agricoles, et cause une accumulation parfois massive de cet élément dans les horizons superficiels », déplorent ainsi les experts qui constatent que les « concentrations excédentaires en cuivre ont des effets phytotoxiques reconnus sur la croissance et le développement de la plupart des plantes ». Ils mettent également en garde contre les effets « délétères d’excès en cuivre sur les communautés microbiennes des sols » mais aussi contre les espèces fongiques utilisées comme agents de biocontrôle. Notamment Beauveria bassiana, employé contre les insectes ravageurs. Autrement dit, l’usage du cuivre peut mettre en danger le développement du biocontrôle, alors qu’il est largement promu par le gouvernement.

« La mise en évidence de ces effets environnementaux négatifs des produits à base de cuivre a motivé des restrictions réglementaires d’usage », note finalement l’Inra, qui estime possible de diminuer par deux les doses utilisées aujourd’hui. Une proposition qui ne fait pas vraiment le bonheur du lobby du bio, mais qui devrait sauver ce pesticide au profil toxicologique bien controversé…

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