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Le débat sur la mutagénèse relancé

Le 25 juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt très attendu concernant l’affaire dite de la « mutagénèse ». Sollicité par le Conseil d’Etat, à la suite d’une procédure lancée par neuf associations anti-OGM, dont la Confédération paysanne, qui estimaient que les variétés obtenues par mutagénèse devraient être soumises à la Directive 2001/18/CE sur les organismes génétiquement modifiés, les magistrats européens ont répondu en deux temps, suivant une logique irréfutable.

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Tout d’abord, ils ont rappelé les termes exacts de la définition originale de la Directive : tout « organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par la multiplication et/ou par recombinaison naturelle » est un OGM. Dans ce contexte, ils confirment sans surprise que les plantes obtenues grâce à la mutagénèse sont bel et bien des « OGM »; un avis identique à celui de l’avocat général, Michal Bobek.

Dans un second temps, la CJUE considère que seuls les OGM obtenus par des techniques de mutagénèse antérieures à 2001 peuvent être exclus des impératifs qu’impose la Directive. En effet, les magistrats ont estimé que les auteurs de la Directive ne pouvaient pas exclure des techniques qu’ils ne connaissaient pas encore, et dont la sécurité n’avait pas été démontrée. Là aussi, le raisonnement est implacable.

Une exclusion implicite

La CJUE n’a donc pas suivi l’avis de l’avocat général qui, au contraire, plaidait pour étendre l’exclusion de la Directive en fonction de la nature des nouvelles techniques de mutagénèse utilisées. Pour l’avocat général, l’exclusion initiale de la mutagénèse dans le texte de la Directive implique une exclusion pour toutes les techniques de mutagénèse, qu’importe qu’elles aient été développées avant ou après 2001. Il invoque une interprétation « dynamique » de la loi : « Cette interprétation doit réagir aux évolutions sociétales, à la fois techniques et sociales. Les catégories morales évoluent au fil du temps : en 1818 un “ traitement dégradant ” désignait probablement quelque chose d’assez différent de ce qu’il désigne en 2018. Il en va de même de définitions plus techniques, telles que celle d’un “véhicule” ou d’un “moyen de communication”. Suggérer que l’interprétation de telles notions doive être “gelée” dans les circonstances factuelles et sociétales de l’époque où elles ont acquis un caractère juridique relèverait d’une approche singulièrement originaliste de l’interprétation en droit, qui ne se rencontre que rarement de ce côté de l’Atlantique.»

Pour l’avocat général, si la mutagénèse aléatoire est avérée suffisamment sécurisée au point d’être exclue de la Directive, comment peut-on raisonnablement prétendre que cette même technique, améliorée ultérieurement, poserait dès lors des problèmes de sécurité sanitaire ou environnementale ? Tel est d’ailleurs l’avis des gouvernements grec et britannique qui soutiennent qu’il n’y a pas lieu d’établir de distinction entre les formes de mutagénèse. « Tous les développements technologiques ultérieurs à l’adoption de la directive OGM devraient relever de l’exemption de la mutagénèse dans la mesure où en 2001, il était clairement prévisible que les progrès scientifiques en matière de mutagénèse ne s’arrêteraient pas là », ont indiqué ces deux pays. C’est également l’avis de la Suède qui estime que les nouvelles techniques de mutagénèse devraient être exclues « parce qu’elles présentent encore moins de risques que la mutagénèse conventionnelle et qu’elles sont similaires aux mutations spontanées qui se produisent naturellement ». Enfin, la Commission observe elle-même « qu’en ce qui concerne la mutagénèse conventionnelle, aucun problème particulier n’a été rapporté depuis que cette technique a été utilisée pour la première fois, dans les années 60. Il n’y a pas de réelle différence entre les mutagénèses in vitro et in vivo. La mutagénèse in vitro serait même antérieure à l’adoption de la directive OGM et, dans une moindre mesure, à l’adoption de la directive qui l’a précédée ».

Une prise de position « stupéfiante »

Ce n’est donc pas le raisonnement de la CJUE qui estime que si les variétés obtenues avec des techniques connues en 2001 sont exclues du champ d’application de la directive en raison de leur sécurité « avérée depuis longtemps », cela ne devrait pas être le cas des variétés résultantes des nouvelles techniques apparues ou développées après la directive.

Comment justifie-t-elle sa position ? En affirmant, sans preuve à l’appui, que l’emploi de ces techniques « pourrait s’avérer similaire à celui résultant de la production et de la diffusion d’OGM par voie de transgénèse ». Comme le note l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV), cette prise de position juridique est « stupéfiante sur le plan scientifique »: « Elle est d’autant plus mal venue que les risques sur les plantes génétiquement modifiées autorisées dans le monde ne s’avèrent pas plus élevés que ceux des plantes issues des méthodes conventionnelles », note Alain Deshayes, son président.

En effet, le raisonnement de la Cour aboutissant à l’exclusion des variétés issues des techniques dont « la sécurité est avérée depuis longtemps », devrait en toute logique s’appliquer aujourd’hui à la transgénèse. Cette technique a depuis lors largement fait ses preuves, puisqu’avec plus de trente ans de recul, il est incontestable que la sécurité sanitaire et environnementale est autant assurée pour la transgénèse qu’avec des plantes issues de la mutagénèse. Faut-il rappeler que la première plante transgénique – un tabac résistant à un antibiotique – a été développée en 1983 ? Aujourd’hui, on compte plus de 190 millions d’hectares répartis dans 24 pays qui sont consacrés à des variétés transgéniques, soit quatre fois plus que l’ensemble des surfaces consacrées à l’agriculture biologique dans le monde !

Trois catégories d’OGM

Les opposants aux OGM se sont félicités de cette décision, estimant que désormais plus personne ne pourra dire que les plantes obtenues par mutagénèse ne sont pas des OGM. Il y aurait donc, selon eux, trois catégories d’OGM : ceux de première génération obtenus notamment par mutagénèse classique et qui n’ont pas à être réglementés ; les OGM « transgéniques » soumis à la Directive 2001/18/CE ; et les « OGM 2.0 » obtenus par des techniques de mutagénèse postérieures à 2001 qui ne figurent pas dans la liste des techniques exclues de la Directive, et qui devraient donc suivre le parcours réglementaire strict des plantes issues de la transgénèse. En réalité, ces associations souhaitent imposer leur projet de décroissance en interdisant l’usage des progrès de la science.

Mais est-ce vraiment une si bonne nouvelle pour les opposants aux OGM ? La réponse est bien moins évidente qu’elle n’y paraît et l’agriculture bio pourrait être un dommage collatéral de ce jugement. Selon la logique de la Cour, le terme « OGM » s’applique désormais à de très nombreuses variétés qui, jusqu’à présent, n’étaient pas considérées comme « génétiquement modifiées ». En effet, depuis 1950, 3 250 variétés ont été inscrites au catalogue de la FAO comme étant des variétés issues de la mutagénèse, et plus de 600 depuis la publication de la Directive, en 2001. Il s’agit de différents riz, de blés, de pommes, d’abricots, d’orges, de colzas, de tomates, de tournesols, de fraises, de pommes de terre, etc. En outre, la mutagénèse n’étant pas du tout la seule technique qui permet de modifier un gène « d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par la multiplication et/ou par recombinaison naturelle », l’interprétation à la lettre de la Cour aboutit à considérer d’autres techniques comme produisant des OGM. C’est clairement le cas de celles utilisées pour obtenir le blé Renan, très prisé en agriculture biologique. Bref, l’essentiel de ce qui se trouve dans l’assiette des consommateurs, y compris chez le consommateur bio, pourrait être un OGM. Comme le remarque avec pertinence un certain « Korrigan » dans Agoravox : « Je ne suis pas certain que tous mes collègues du bio se soient encore rendu compte du problème ! Le règlement bio dit “pas d’OGM” et les juges européens viennent de dire que tout ce qui est issu de la mutagénèse est un OGM. On utilise ces variétés de plantes depuis les débuts de la bio ! Ça revient à dire que la bio fait des OGM, comment expliquer ça aux consommateurs ? » Il poursuit : « De manière très concrète, je m’inquiétais déjà de ce que je vais pouvoir planter en 2021 avec le nouveau règlement bio, mais en fait c’est dès les semis d’hiver de cette année que la question se pose ! Est-ce que je peux encore utiliser des variétés mutées ? A priori, non… D’ailleurs, les identifier n’est pas toujours une évidence. Est-ce qu’on va m’accuser d’avoir trompé mes clients ? Est-ce que les Biocoop vont aussi être accusées de tromperie, si elles continuent de vendre mes fruits et légumes ? » Une inquiétude confirmée par la Coordination rurale, qui, dans un courrier adressé au ministre de l’Agriculture Stéphane Travert, s’interroge sur « le sort de variétés mutées utilisées en agriculture biologique, par exemple celui de la variété Renan dont l’ins- cription au catalogue of ciel a été prolongée jusqu’à 2023 ». Bonne question, car de fait le cahier des charges de l’agriculture biologique, selon lequel il est interdit d’utiliser des OGM, est mis en porte-à-faux avec le jugement de la CJUE.

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Une directive obsolète

Dans les faits, l’avis de la CJUE démontre clairement que la Directive 2001/18/CE est aujourd’hui totalement obsolète. Rédigé pour encadrer uniquement la mise sur le marché de plantes issues de la transgénèse – c’est-à-dire avec l’insertion d’un gène externe à la plante – à une époque où de raisonnables précautions étaient encore indispensables, le texte n’est plus du tout adapté. En élargissant le champ d’application de la Directive à des plantes non transgéniques, non seulement l’avis de la CJUE va ajouter de la confusion, mais il risque de bloquer l’adoption de toutes les autres techniques de sélection variétales en cours de développement dans de très nombreux pays. Face à cette situation ubuesque, le législateur européen, qui va devoir clarifier sa position, dispose désormais de deux options. La première consiste à étendre la liste des exceptions qui figurent dans l’annexe 1 de la Directive, au fur et à mesure que de nouvelles techniques – et elles sont nombreuses – deviennent disponibles. Certes de loin la solution la plus simple, elle n’est pas nécessairement la plus facile à mettre en œuvre en raison des oppositions politiques de certains Etats membres. La seconde option, bien plus raisonnable, consiste à prendre acte du caractère obsolète de cette directive pour en rédiger une nouvelle, davantage conforme à l’état actuel des connaissances de la science. Jusqu’à présent, personne ne souhaitait s’engager dans une telle démarche. Or, l’avis récent de la CJUE pourrait changer la donne.

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