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Fact-checking : Générations Futures continue à se tromper / #épisode 2 : le sucre bio

Décidément, la pratique du fact-checking ne semble pas vraiment au point chez Générations Futures ! Après s’être trompée dans son décryptage du rapport de l’Intelligence Unit du magazine britannique The Economist (voir l’article « Générations Futures fait du fact-checking et se trompe » d’A&E, octobre 2019), voilà que l’association de François Veillerette récidive, toujours animée par la même obsession: mettre en accusation la journaliste de L’Opinion Emmanuelle Ducros.

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Ainsi, dans une vidéo intitulée « Le bio aussi a ses limites : l’exemple du sucre », mise en ligne il y a presque un an, Emmanuelle Ducros s’appuyait sur le cas de la betterave pour montrer les difficultés que peuvent rencontrer les agriculteurs désireux de convertir leur exploitation au bio. Des propos jugés insupportables par Générations Futures, qui y voit une mise en cause des « qualités environnementales des productions biologiques en général ».

Dans son fact-checking, Génération Futures clame ainsi avoir repéré dans la vidéo trois affirmations fausses. Primo concernant le fait que, selon la journaliste, lorsqu’on achète du sucre bio, « eh bien on achète du sucre de canne produit essentiellement en Amérique du Sud, surtout au Brésil ». Par conséquent, un sucre qui a voyagé dans des « géants des mers » après avoir été produit « dans des zones que l’on a déforestées ». Faux, rétorque GF, qui s’est rendue dans le premier magasin bio « ordinaire » du coin de la rue : « Et là, surprise, nous avons pu voir que du sucre de betterave bio, produit en Allemagne, était disponible à la vente. » Son prix : 4,73 euros le kilo, « soit légèrement moins cher que les sucres de canne en poudre dans le même rayon ». Le sucre de betterave conventionnel coûtant entre 0,80 et 1,20 euro le kilo en distribution traditionnelle, la référence de GF coûte donc entre cinq et six fois plus cher ! Autrement dit, le prix d’un kilo de sucre bio équivaut à celui de cinq à six kilos de sucre normal. On ne peut donc que remer- cier GF d’avoir rappelé que le prix du sucre bio reste excessif. Surtout pour un produit absolument équivalent en termes sanitaires.

Un marché de niche

Et ce n’est pas tout. GF oublie de préciser que selon les derniers chiffres disponibles (2018/2019), la production européenne de sucre bio de betterave est estimée à environ 25000 tonnes. Cela représente 0,1% de la production totale (15millions de tonnes de sucre produites à partir de betteraves dans l’Union européenne). En termes de surface, il a été cultivé en 2018 moins de 4 500 ha de betteraves sucrières bio dans toute l’Europe, c’est-à-dire dans neuf pays (Allemagne, Autriche, Lituanie, Italie, Danemark, Roumanie, Suède, Suisse et France), à comparer à un total de 2millions d’hectares cultivés dans vingt pays de l’UE. Cela représente 0,2% de la surface. Donc, oui, le sucre bio issu de la betterave reste bel et bien un marché de niche, inaccessible à la majorité des consommateurs, contrairement à ce qu’affirme GF, sur la foi de sa visite d’un seul et unique magasin bio – à l’évidence l’un des rares à avoir réussi à se fournir en Allemagne ou en Autriche. D’autant plus que, comme le précise l’Agence BIO, « une part importante de la production bio de betteraves sucrières du sud de l’Allemagne est destinée à une usine suisse. La moitié du sucre produit est vendue en Suisse et le reste est réacheminé en Allemagne ». Il ne reste donc pas grand-chose pour le marché français… Emmanuelle Ducros a ainsi parfaitement raison lorsqu’elle affirme que l’immense majorité du sucre bio consommé en France provient des pays d’Amérique du Sud.

Emmanuelle Ducros a ainsi parfaitement raison lorsqu’elle affirme que l’immense majorité du sucre bio consommé en France provient des pays d’Amérique du Sud.

Secundo, note GF : « L’affirmation selon laquelle “on ne sait pas protéger les betteraves de façon totalement bio” est donc par voie de conséquence également totalement fausse puisque la culture biologique de la betterave existe bel et bien comme le prouvent les produits disponibles à
l’achat !
» Pourtant, si la journaliste précisait bien dans la suite « qu’il existe des expériences en Autriche, en Allemagne et même en France », on constate
qu’au regard des surfaces concernées – 1720ha en Allemagne, 550 ha en Autriche, 450 ha au Danemark et seulement 66 ha pour la Suisse (chiffres de 2018/2019) –, le terme d’« expériences » est en réalité bien plus approprié que celui de « filière en développement économiquement viable ». Et s’il est vrai que Cristal Union et Tereos ont bel et bien communiqué sur leur volonté de développer cette filière en misant sur 1700 ha de betteraves biologiques en 2019, la réalité sur le terrain reste très en dessous puisque, selon les estimations d’experts, les surfaces réellement consacrées aux bette- raves bio en 2019 n’ont toujours pas atteint les 800 ha (dont 450 ha pour Cristal Union). Cet écart témoigne d’ailleurs de la difficulté des groupes concernés à atteindre les objectifs visés, en raison des aléas inhérents au développement de ce mode de production, extrêmement compliqué à maîtriser.

 Tertio, GF conteste l’affirmation des rendements « très bas » de la culture de betteraves bio : « On apprend, en lisant la presse agricole, que le rendement des cultures de betteraves bio était dans des essais français de 2018 de 57 t/ha, à comparer aux 80 t/ha en conventionnel dans le même bassin de production, soit 28,75% de moins que le conventionnel seulement. On ne peut pas parler de rendement très bas, mais simplement de rendement plus faible, comme dans d’autres productions bio, en tout cas rien qui empêche la mise en œuvre d’une production rentable. »

À nouveau, GF a été trop vite en besogne, certainement abusée par la communication un peu enthousiaste de Cristal Union, qui fait, certes, état de rendements de 57t/ha en moyenne sur ses 150 ha d’essai. Or, ce n’est pas vraiment ce qu’on constate en dehors des essais. Ainsi, au Danemark, les rendements sont plutôt de l’ordre de 30 t/ha, en Suisse 40t/ha et en Autriche et Allemagne, ils varient selon les régions (entre 40 et 60 t/ha pour les plus performants). En outre, on observe que toutes les parcelles cultivées en bio ne sont pas systématiquement récoltées, principalement en raison d’un désherbage non contrôlé, qui laisse les adventices se développer au détriment de la betterave, ou bien encore d’une difficulté à maîtriser les bioagresseurs. Ainsi, pour la campagne 2018/2019 en Autriche, sur les 1700 ha de betteraves bio semés, 1150 ont été détruits par les charançons et les altises, et finalement non récoltés. Un problème qui s’est également posé en France, comme l’a tout récemment confié à L’Opinion Alain Commissaire, le directeur général de Cristal Union: « L’année dernière, certains agriculteurs n’ont rien récolté. » Cela explique que le prix payé à la tonne s’élève à 80 euros contre 22 euros pour de la betterave conventionnelle. Malheureusement, aucun chiffre fiable sur la réalité des surfaces non récoltées n’est communiqué par la filière bio. On ne peut que regretter que cette donnée fasse l’objet, y compris de la part des industriels du secteur, d’une telle omerta… Quoi qu’il en soit, le véritable rendement moyen est donc en réalité significativement inférieur à 57 t/ha, chiffre retenu par GF.

Une question à 3,53 euros

En revanche, cela remet en question la notion de rentabilité de la production de betteraves bio, présentée comme « certaine » tant par Cristal Union et Tereos que par GF. Car, si la rentabilité apparaît effective lorsque le calcul est basé sur les rendements des meilleures parcelles, comme c’est le cas dans la source citée, elle l’est beaucoup moins pour la moyenne des surfaces semées en bio, où ce niveau de rendement n’est pas obtenu.

Par ailleurs, on note au pas- sage, sur la base de ces données, que la rémunération de la bette- rave représente 0,56 euro par kilo- gramme de sucre produit ( sachant qu’il faut environ 7 tonnes de betteraves pour obtenir 1 tonne de sucre ). En prenant l’hypothèse d’un coût de transformation du même ordre de grandeur, le kilo de sucre bio issu de betteraves bio reviendrait à 1,20 euro.

Le fait qu’il soit vendu à 4,73 euros pose une question à 3,53 euros : à qui profite cette belle marge? Certainement pas aux consommateurs bio, et visiblement pas davantage aux producteurs, qui ne se bousculent pas vraiment pour produire des betteraves bio…

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