Entretien de Gil Rivière-Wekstein avec Emmanuel Lechypre dans son émission de BFM Business « La librairie de l’Eco ». Entretien réalisé le 6 mars 2020.
Définition du glyphosate
E.L : Qu’est-ce que le glyphosate ?
GRW : Le glyphosate est un herbicide total développé par Monsanto, il y a une quarantaine d’années. C’est aujourd’hui l’herbicide le moins toxique du marché, le plus efficace et le moins cher. Il a toutes les qualités et il n’est plus la propriété de Monsanto depuis très longtemps.
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En France, le glyphosate était un non-sujet il y a 5 ans car, il y a cinq ans, tout jardinier qui se respectait avait un bidon de Round-Up chez lui et cela posait zéro problème pour qui que ce soit. Il y eu un renversement en 5 ans qui est extraordinaire.
Les agences sanitaires et le glyphosate
E.L : Ce renversement s’explique-t-il par des raisons scientifiques ? Quand on voit l’hystérie autour du glyphosate, a-t-on des certitudes scientifiques pour savoir si c’est un produit dangereux ou inoffensif ?
GRW : Il faut savoir que tout produit de ce type mis sur le marché, pesticides et autres produits phytosanitaires, ne peut l’être que si des agences sanitaires de monde entier donnent l’autorisation. Or, que disent ces agences sanitaires depuis 40 ans ? Elles disent toutes, et pas seulement celles des Etats-Unis, que dans des conditions d’usage normales ce produit ne pose aucun problème, ni pour l’environnement (au contraire il est très »vers de terre friendly » ) et qu’il est sans aucun souci pour les animaux ( comme les abeilles ) et l’être humain.
Toutes les personnes aujourd’hui qui laisseraient prétendre que le glyphosate serait un perturbateur endocrinien, cancérigène, génotoxique, sont contredites par l’ensemble de toutes les agences sanitaires, y compris l’agence française, l’Anses, qui est irréprochable.
E.L : On ne peut pas douter de cette agence et de son indépendance ?
GRW: Non, sinon, il faudrait la dissoudre !
E.L : Mais il y a quand-même l’avis du Circ, le Centre international de la recherche contre le cancer, qui a été un déclencheur et qui a dit « attention ! Le glyphosate c’est cancérigène ! »
GRW : Non, pas du tout ! Vous êtes tombé dans le piège. Le Circ a dit qu’il était cancérigène probable. C’est une caractérisation qui a été contestée par les autres agences sanitaires et c’est le risque intrinsèque qui est regardé. Vous savez aussi que le Circ a déclaré dans le même catégorie les boissons à plus de 60°, que travailler la nuit est cancérigène certain ainsi que l’alcool. Le Circ ne fait l’évaluation du risque en tant que tel. Cet avis a été immédiatement contesté par l’ensemble des agences sanitaires qui se sont ensuite penchées sur le sujet. Elles ont regardé toutes les études sur lesquelles le Circ base son avis en disant qu’elles étaient désolées mais qu’elles ne partageaient pas cet avis.
Une question de business
E.L : Alors, pourquoi cet levé de bouclier contre le glyphosate ? Pourquoi les consommateurs sont-ils convaincus que le glyphosate est un poison ? Pourquoi un tel contraste entre le point-de-vu scientifique et technologique et les effets qu’on lui prête ?
GRW : Deux raisons : le glyphosate a été inventé par Monsanto. Monsanto c’est le diable, c’est la société américaine qui aux yeux des altermondialistes et de toute la contestation anti-capitaliste incarne le méchant. Il a mauvaise réputation par son fondateur. C’est la première raison, mais elle n’est pas suffisante.
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La deuxième, et véritable raison de cet emballement est que quand le Circ a fait cette déclaration, les cabinet d’avocats américains se sont dits qu’il y avait du business à faire. Parce que des gens qui utilisent du glyphosate, il y en avait bien entendu des millions et des gens qui ont un cancer aussi. Ils ont donc recruté des gens, en faisant des annonces, même à la télévision, en leur disant : « Vous avez un cancer, vous utilisez du glyphosate, venez nous voir , nous allons faire une « »class-action » contre Monsanto. » Les enjeux derrière cette affaire-là aujourd’hui se chiffrent entre 2 et 20 milliards de dollars aux Etats-Unis. Tout en sachant que ces cabinets d’avocats ne demandent pas l’interdiction du glyphosate. Ils demandent une réparation pour les gens qui seraient atteints du cancer en disant « que c’est la faute à Monsanto » .
E.L : Mais Monsanto n’est plus propriétaire du glyphosate ?
GRW : Monsanto a été racheté par Bayer qu’il l’a payé 60 milliards de dollars, pour dire que cette firme a de la valeur. Depuis les avocats poursuivent Bayer pour obtenir une somme qui s’approche entre 10 et 20 milliards de dollars. Le comble de l’absurde, c’est que ce produit ne sera pas interdit. Nous avons affaire à un conflit financier américain ; or il risque d’être interdit pour nos agriculteurs français.
La particularité française
E.L : Quelle est cette particularité française par rapport au glyphosate ? Et même par rapport à nos voisins européens ?
GRW : En France on est les champions de la contestation. Les avocats américains s’en sont très vite rendus compte et ils ont alimenté, à travers des éléments de langage, une contestation européenne contre le glyphosate. Pourquoi était-ce si important ? Parce que face à l’avis du Circ, il fallait décrédibiliser toutes les agences sanitaires qui avaient donné leur accord au glyphosate. Et c’était un argument clé pour Monsanto. Toutes ces campagnes de « Monsanto papers » pour essayer de faire croire à la population que derrière cette affaire Monsanto dirige tout, qu’il organise un grand complot pour tromper les agences, fait faire des fausses études, manipule. Ça a pris en Europe et en France en particulier, grâce aussi à des journalistes plus militants qu’ailleurs. Mais le comble de l’absurde est que vous n’avez pas du tout ce genre de campagne aux Etats-Unis. Il y a une petite contestation mais qui n’a rien à voir avec ce qui se passe en France.
Il y a en plus une surenchère médiatique. Et nos hommes politiques sont très forts là-dessus. Car à peine la décision européenne de ré-homologuer le glyphosate pour 5 ans, faite avec une majorité des pays membres qui l’ont acceptée, y compris le Danemark, qui est un pays très écologiste, la France a voté contre et Emmanuel Macron en a fait un symbole d’une image verte qu’il allait donner pour son mandat. C’est devenu une sorte de totem, y compris au sein du gouvernement actuel avec cette déclaration que « nous allons allés plus vite que le reste de l’Europe » puisque nous allons l’interdire d’ici 3 ans et non pas 5.
E.L : Est-ce que l’on est pas en train d’affaiblir dangereusement l’agriculture ? Je ne parle pas seulement du glyphosate, mais aussi de la culture du riz qui est menacé en Camargue à cause de produits qui sont devenus interdits. Le principe de précaution ne menace-t-il pas aujourd’hui le principe de compétitivité de l’agriculture, de l’agriculture tout simplement ?
GRW : vous avez tout à fait raison. J’appelle même cela de l’auto-sabotage. Nous l’avons déjà fait dans d’autres secteurs de l’économie. Nous sommes aujourd’hui en train de saboter notre propre l’agriculture alors qu’elle est encore aujourd’hui une des plus performantes du monde. Mais elle est arrivée au point d’être très affaiblie, avec une balance commerciale devenue déficitaire pour la première fois depuis la seconde guerre et dans des secteurs où nous étions très forts.
Il y a un risque. Car, depuis deux ou trois présidences, depuis Nicolas Sarkozy, les gens à l’Elysées n’ont pas de véritable soucis stratégiques du rôle de l’agriculture. Ils ont une vision de l’agriculture qui ressemble un peu de celle de « Martine à la ferme ». Il y a de beaux discours mais derrières les actes ne suivent pas. Chaque fois qu’une décision est prise en France, elle est prise contre même les règlements européens. Et le comble, de nouveau, est qu’Emmanuel Macron avait fait la promesse aux agriculteurs qu’il n’ y aura pas surtransposition française, or c’est exactement le contraire qui se passe avec cette affaire du glyphosate. C’est dramatique pour notre agriculture et pour les consommateurs. Parce que in fine, ce sont les consommateurs qui vont payer plus cher et ce sont nos agriculteurs qui ne pourront plus produire.
Le cas du glyphosate c’est certainement l’expression de la plus grande manipulation médiatique de ce début de siècle. Il y a 5 ans, c’était un non-sujet, les gens n’avaient rien contre le glyphosate, il n’ y avait pas une opposition, pour ou contre, comme il peut y avoir dans le nucléaire ou les OGM ou d’autres sujets. Or, aujourd’hui vous faites un micro-trottoir et tout le monde vous dira la même chose, c’est dangereux et il faut l’interdire. Ce basculement-là est interpelant.
Le pacte républicain
E.L : Comment peut-ton sortir de ce piège ?
GRW : En donnant les véritables informations, en faisant comprendre que sur ce sujet précis, la population a subit une manipulation et qu’il faut prendre du recul. Maintenant et je pense que les gens comprennent très bien que l’on ne peut pas faire toujours confiance à ce que l’on écoute et entend. Il faut que les gens se posent les véritables questions et au cœur de cela que nous réapprenions à avoir confiance dans les agences sanitaires.
E.L : Mais on a l’impression que le rapport à science, à la vérité scientifique n’est plus qu’une opinion comme les autres ?
GRW : C’est le cœur de notre sujet. Comment dans un pays de la raison, de Descartes et de Pasteur, avec une tradition de grands scientifiques, comment on a pu faire en sorte que la voix de la science s’efface face à la voix de l’opinion et du commerce du café. C’est un vrai sujet qui dépasse celui du glyphosate mais qui est certainement le principal sujet des années à venir si nous voulons avoir une société basée sur la raison, basée sur ce pacte républicain et de croire dans les institutions que nous avons mis en place. Nous avons en France l’Anses, qui est irréprochable et pour toute personne qui doute du glyphosate je propose de reprendre l’avis de l’Anses et de ne pas se fier ce qui se dit ailleurs.