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La pomme et « le monde d’après »

Le début de l’année 2020 a considérablement bouleversé les filières agricoles. Daniel Sauvaitre, président de l’Association nationale pommes poires (ANPP), livre en exclusivité pour A&E ses réflexions sur sa vision du « monde d’après ». Il en profite pour rappeler la nécessité de conserver certains usages du glyphosate

Quels ont été les impacts de la crise liée au Covid-19 pour les producteurs de fruits et légumes ?

La crise sanitaire liée au Covid-19 a entraîné une fermeture brutale des frontières, à l’intérieur desquelles il a fallu trouver les services et produits essentiels pour assurer l’existence d’un pays presque tout entier confiné face à la menace sanitaire. Ce fut le cas pour les fruits et légumes, massivement mis en avant par les distributeurs hexagonaux, qui ont semblé découvrir à cette occasion, face à des rayons partiellement vides, que notre territoire est désormais loin d’être autosuffisant pour nourrir notre population.

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Malgré quelques périodes de tensions, les agriculteurs français et leurs équipes ont assuré l’approvisionnement de nos concitoyens sans faillir. Mais un autre écueil est bien vite apparu : la hausse du prix moyen des fruits et légumes portée par la sur-représentation inhabituelle des produits made in France et habituellement masquée par des importations à plus bas prix du Maroc, de Pologne, d’Espagne ou des Pays-Bas.

Nous avons là les deux marqueurs d’une production malmenée depuis trop longtemps par une politique alimentaire qui fait le grand écart entre l’obsession du pouvoir d’achat et une exigence environnementale quasi dogmatique vis-à-vis de l’agriculture française. Cette dernière détruit sa compétitivité dans un marché unique et mondialisé qui ne protège ni du dumping social, ni de la surtransposition compulsive des règles européennes par les politiques et l’administration française, particulièrement en matière sanitaire et phytosanitaire.

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Loin d’essayer de comprendre les raisons de notre dépendance aux importations, le gouvernement réaffirme pourtant sa volonté d’accélérer la transition agroécologique comme l’interdiction symbolique du glyphosate dès le 1er janvier 2021.

Cette volonté de relocalisation de la production est-elle une chance pour la production française de fruits et légumes ?

Si nos politiques ont la sagesse d’écouter les producteurs, cela peut- être une chance pour notre autonomie alimentaire, la qualité de notre alimen- tation et notre agriculture. Mais nous pouvons assez légitimement avoir des doutes lorsque la politique de réduction des usages de pesticides de 50 % en vigueur dans notre pays depuis le premier plan Ecophyto est reprise à l’échelle européenne dans la stratégie Farm to Fork de Madame von der Layen, et cela malgré son échec patent.

LA PRESSION SUR LES PRIX VA CONSIDÉRABLEMENT S’ACCENTUER, PROVOQUANT LA REPRISE DE LA GUERRE DES PRIX ENTRE DISTRIBUTEURS

En France, après douze ans de stratégie Ėcophyto, nous sommes les seuls producteurs européens en impasse technique sur de nombreuses productions. Il n’est par exemple plus possible de produire légalement et sans dérogation sur notre territoire des pommes conventionnelles ou biologiques, des cerises, des noisettes ou des betteraves.

Cette stratégie de réduction a été construite sur une hypothèse totalement erronée : l’interdiction de matières actives entraînerait une baisse d’usage. Or, on a tout simplement oublié que l’interdiction d’un produit induit des pratiques de substitution qui ont en réalité l’effet inverse. L’interdiction du diméthoate sur les cerises est un exemple bien connu, et nous vivons cette année les effets catastrophiques de l’interdiction des néonicotinoïdes en traitement de semence sur la betterave, qui ont conduit à trois interventions insecticides sans réel succès contre le ravageur malgré une consommation de pesticide accrue.

Comment envisagez-vous les prochaines semaines et les prochains mois ?

La crise économique va succéder à la crise sanitaire, avec un pouvoir d’achat à la baisse. Par conséquent, la pression sur les prix va considérablement s’accentuer, provoquant la reprise de la guerre des prix entre distributeurs, et la tentation des importations à bas prix sera plus que jamais d’actualité. Tout cela peut s’avérer fatal pour de très nombreux producteurs français.

Pour pouvoir maintenir et relocaliser notre production, conformément à l’attente de nos concitoyens qui souhaitent le renforcement de notre autonomie alimentaire, nous devons donc disposer des mêmes moyens de production et des mêmes règles d’utilisation de ces moyens que nos concurrents européens. Car qu’est-ce qui justifie aujourd’hui qu’un fongicide puisse être utilisé pour un nombre d’applications double en Allemagne par rapport à la France ? Pouvons-nous continuer à avoir une règle européenne et 27 manières de l’appliquer, avec toujours chez nous la plus restrictive ?

Comment analysez-vous l’évaluation des alternatives au glyphosate réalisée par l’Inrae pour l’arboriculture ? Sont-elles crédibles à vos yeux ?

La commission technique de l’ANPP a une évaluation économique assez divergente de celle de l’Inrae, qui est essentiellement liée à la méthodologie utilisée. L’Inrae a une approche statistique basée sur les enquêtes vergers Agreste, alors que nous avons une approche économique qui prend en compte également l’amortissement et les coûts d’usage constatés par nos adhérents.

Cependant, nous pouvons en partie nous retrouver dans les conclusions de l’étude Inrae. Tout comme dans celle réalisée par le Centre tech- nique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL), qui mériterait d’être intégrée à l’étude Inrae relative à l’arboriculture, pour permettre à l’Anses de réaliser son évaluation comparative plus sérieusement.

Prenons par exemple les conclusions sur le désherbage mécanique en vergers, qui est difficile à maîtriser, avec des surcoûts inacceptables par rapport à la rentabilité d’un verger. L’hypothèse formulée par l’Inrae d’une hausse du temps de travail de 30 % nous semble sous-estimée par rapport à de nombreuses situations de terrain. En effet, les coûts liés à l’adaptation des systèmes d’irrigation, par exemple, n’ont malheureusement pas été intégrés. Or, pour la pomme, plus de 85 % des surfaces sont irriguées et au moins les 2/3 de ces surfaces devront modifier le système d’irrigation pour permettre le désherbage mécanique.

De la même manière, l’impact sur la vigueur des arbres et sur la baisse de rendement n’a pas été évaluée. L’Inrae évoque une baisse potentielle de l’ordre de 5 % alors que les essais comparatifs dont nous avons connaissance et les retours de nos adhérents s’accordent plutôt sur un impact d’environ 10 %, et qui peut même aller jusqu’à 40 % sur un verger lorsque celui-ci subit un désherbage mécanique destructeur pour ses racines. En outre, nul n’est capable d’évaluer l’impact sur l’état sanitaire du verger lié aux plaies laissées aux collets des arbres par les outils mécaniques, qui sont des portes d’entrée pour les bactéries ou le chancre. Malheureusement, ces éléments n’ont pas été pris en compte par les rédacteurs de l’étude de l’Inrae.

À cela s’ajoute que, si 5 ou 10% de baisse de rendement peuvent sembler acceptables, traduits en termes économiques, c’est une tout autre affaire. Dans un verger de Crips pink réalisant un rendement de 80 t/ha avec un prix payé producteur de 0,65€/kg, cela représente une baisse de revenu de 5200 €/ha. Un tel déficit mettrait en péril la capacité de l’exploitation à faire face aux aléas ou à investir pour renouveler son verger.

La commission technique de l’ANPP estime que l’interdiction du glyphosate en verger conduira donc à une hausse du coût de production de l’ordre de 10 % en intégrant la perte de rendement. Par rapport à l’estimation de l’Inrae, ce surcoût est supérieur au résultat courant avant impôt d’une exploitation arboricole moyenne au sens du réseau d’information comptable agricole.

L’interdiction du glyphosate pourrait entraîner d’ici quelques années la disparition de 10000 hectares de vergers de pommes et les 10000 équivalents temps plein qui y sont associés

En d’autres termes, l’interdiction du glyphosate en verger mettra la majorité des exploitations arboricoles françaises en déficit sans hausse significative de la valeur de la production commercialisée. Et cette hausse semble bien hypothétique dans un marché ouvert à la libre concurrence de nos voisins, qui continueront à disposer du glyphosate pour entretenir leurs vergers, et face à une distribution désireuse de répondre à la crise économique par une politique du prix bas.

La substitution du glyphosate par du désherbage mécanique en verger est donc économiquement insupportable. Pour la pomme, dont environ un tiers de la production est exporté, cela se traduira par une perte brutale de parts de marché face à une concurrence beaucoup plus compétitive sur des marchés qui se soucient peu du mode de production. En résultera un encombrement du marché intérieur, avec une offre excédant la demande, provoquant une baisse des prix et des faillites en cascades. En quelques années, on pourrait balayer 10 000 hectares de vergers de pommes et les 10 000 équivalents temps plein qui y sont associés.

Cette interdiction serait véritablement un scénario noir pour l’arboriculture française. Les 1 400 producteurs de l’ANPP, engagés pour produire selon le cahier des charges Vergers écoresponsables, ont banni de leurs pratiques le désherbage chimique de 50 % de l’inter-rang depuis 1997. Afin de réduire au maximum l’usage de cet herbicide symbole, ils ont décidé de porter en 2020 l’interdiction du désherbage chimique à 75 % de la surface de l’inter-rang.

Plutôt qu’une interdiction qui condamnerait nos exploitations, nous souhaitons une modification d’usage pour les vergers, qui permette de conserver un usage minimum du glyphosate au pied des arbres en limitant son emploi à 1kg de matière active par hectare et 1/3 de la surface totale du verger.

En plus de préserver la compétitivité des exploitations arboricoles, cette solution permettrait d’éviter la production de 10 000 tonnes de CO2 supplémentaires liées aux passages de désherbage mécanique pour le seul verger de fruits à pépins, qui utilise seulement 37 tonnes de glyphosate par an sur les 8800 tonnes vendues en France. C’est pourquoi l’ANPP appelle le gouvernement à revoir sa copie sur le dossier du glyphosate.

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