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Retour à la terre : un mythe qui s’effondre

Le concept du nécessaire retour à la terre, qui figure en bonne place dans la mythologie des mouvements écologistes, est sérieusement mis à mal par l’expérience récente de l’initiative « Des bras dans mon assiette »

L’une des plus antiennes favorites de l’écologie politique consiste à prôner un « réempaysannement des terres », terme utilisé tout récemment par le philosophe franco-suisse Dominique Bourg, ancien conseiller de Nicolas Hulot et tête de liste d’Urgence écologie, qui a obtenu moins de 2% des suffrages aux dernières élections européennes.

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Dans un texte intitulé « Propositions pour un retour sur Terre », cosigné avec Pablo Servigne, l’un des créateurs du concept de « collapsologie », Bourg propose de « métamorphoser les modes de vie des pays les plus riches ». Son programme de « reconquête paysanne » vise à « décarboniser l’agriculture » en mettant en place un modèle agricole à très haute productivité par unité de surface et à faible productivité par unité de travail ». Autrement dit, à « abandonner presque entièrement la motorisation à énergie fossile » pour la remplacer par « l’énergie musculaire (animale ou humaine) ». Ce qui impliquerait, à terme, qu’entre 15 et 30 % de la Population Économiquement Active (PEA) se consacrent aux activités agricoles, contre à peine 3 % aujourd’hui (soit 885 000 actifs sur une population active estimée à 29,8 millions de personnes), pourcentage d’ailleurs en constante diminution depuis un siècle. Cette fourchette de 15 à 30 % a été suggérée au philosophe par Pablo Servigne, qui prend comme modèle l’agriculture cubaine. « À Cuba, après la transition énergétique inachevée dans les années 1990, on a estimé les besoins en main-d’œuvre agricole à 15 à 25 % de la population active », explique le collapsologue. Par extrapolation, il faudrait donc, en France, « former en moins d’une génération entre 4,3 et 7,2 millions d’agriculteurs, contre un peu plus de 1 million de personnes aujourd’hui », note Servigne.

L’appel à la main-d’oeuvre de Mélanchon et Hulot

Toutefois, le concept séduisant d’un repeuplement de nos campagnes n’est pas l’apanage de Bourg et Servigne. Déjà, en mars 2017, Jean- Luc Mélenchon, alors candidat à la présidence de la République, s’était engagé à recruter pas moins de 300 000 personnes pour les besoins de l’agriculture. Selon lui, le modèle agricole « productiviste actuel ne répond plus à l’intérêt général », et il va « falloir travailler autrement ». Exit donc l’agrochimie et bienvenue aux emplois manuels payés au Smic…

Six mois plus tard, le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot défendait lui aussi l’idée d’une agriculture « intensive en emplois plutôt qu’en engrais et produits phytosanitaires ». Si l’écologiste le plus apprécié des Français ne s’était pas engagé en termes de chiffres, sa Fondation a depuis lors précisé l’ampleur des emplois envisagés. « Nous en voulons un million demain, et certainement encore davantage après-demain », peut-on lire dans une tribune publiée en plein confinement, le 12 mai 2020, par un collectif d’associations réunissant la Confédération paysanne, Les Amis de la Terre, Attac, la Fondation Nicolas-Hulot, Greenpeace et France Nature Environnement.

Pas tant de bras que ça !

L’idée du retour à la terre est même devenue très tendance durant ces neuf semaines de confinement, comme en témoignent notamment les réactions enthousiastes à l’initiative « Des bras pour ton assiette », plateforme lancée par le ministère de l’Agriculture qui a récolté plus de 300 000 candidatures aux emplois de saisonniers agricoles. Pourtant, « l’armée de l’ombre » des volontaires escomptée n’a pas vraiment déferlé dans les champs, ont constaté amèrement de nombreux professionnels. « Ils ont été vingt à candidater, dix à venir et trois à finir la semaine », déplore ainsi un fraisiculteur varois, tandis qu’un autre explique devoir « réembaucher quatre personnes tous les jours, qu’il faut constamment reformer ». « Les 300 000 candidatures se sont soldées par seulement 15 000 missions contractualisées », reconnaît-on rue de Varenne. Un chiffre qui semble même très surestimé à Jean-Baptiste Vervy, qui anime Wizifarm, une plateforme numérique de mise en relation d’agriculteurs avec des recrues potentielles. En effet, selon lui, sur les 240 000 personnes inscrites, seulement 3 000 ont pu trou- ver un emploi.

Selon Jean-Baptiste Vervy, sur les 240000 personnes inscrites, seulement 3000 ont pu trouver un emploi

Certes, tout n’est pas à jeter à la poubelle, relativise Josselin Saint-Raymond, directeur général de l’ANPP (Association Nationale Pommes Poires), qui remarque qu’« il y a aussi eu des recrutement locaux, qui ne sont pas passés par la plateforme ». Toutefois, il est clair que les bras nécessaires n’ont pas été trouvés. Et non pour cause de salaire insuffisant, comme le note Josselin Saint-Raymond, qui rappelle qu’« il n’y a pas de dumping salarial ni de moins-disant social. Le salaire est le même, sur la base d’un Smic, voire entre 1,2 et 1,3 fois le Smic ». Et d’observer : « Simplement, ces volontaires ont découvert la pénibilité de certaines tâches auxquelles ils n’étaient pas habitués. »

Autre enseignement : « Ces échecs montrent à quel point nous sommes devenus dépendants de l’étranger pour toute une série de sujets agricoles », analyse André Bernard, le vice-président de l’APCA (Assemblée permanente des chambres d’agriculture). En effet, la crise du coronavirus a mis en lumière le besoin de nombreux travailleurs étrangers qui constituent cette « armée de l’ombre ».

Sur les 600000 saisonniers, 25% au minimum sont des travailleurs étrangers, principalement des personnes venant de l’Europe de l’Est, mais aussi d’Afrique du Nord (données émanant de la MSA). « Ce chiffre est certainement sous-évalué dans certains secteurs comme celui des fruits et légumes, où l’on a besoin d’une main-d’œuvre formée et expérimentée, à des moments précis du cycle végétatif, que l’on trouve plus facilement à l’étranger », précise Josselin Saint-Raymond. Dans ces cas-là, en effet, on avoisinerait plutôt les 50 %.

Bref, tout cela fait clairement ressortir l’absurdité des programmes politiques de « retour à la terre » qui favorisent les modes de production nécessitant davantage de main-d’œuvre, alors que le futur de l’agriculture française – également en bio – supposera de toute évidence une montée en puissance de tout ce qui atténuera la pénibilité du travail agricole. Y compris lorsque les meilleures solutions à adopter passeront par la chimie, la robotique ou la sélection variétale.

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