Le rapport de l’Anses confirme que la sortie du glyphosate ne sera pas possible et met en évidence que les principales alternatives ne sont pas compatibles avec les engagements de la COP21
La publication tant attendue du dernier rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) concernant les résultats de son évaluation comparative entre le glyphosate et ses alternatives non chimiques ne peut être perçue que comme un aveu de l’impossibilité de « sortir du glyphosate ». « Pour les autorités sanitaires, “le glyphosate n’est pas substituable” dans toutes les situations », reconnaît ainsi Le Monde dans son édition du 9 octobre. « Ce n’est pas demain que les agriculteurs abandonneront complètement le glyphosate pour désherber leurs rangs de pommes de terre ou de vignes à la binette », déplorent les auteurs de l’article, Stéphane Mandard et Stéphane Foucart, deux journalistes sympathisants de la cause antipesticides, alors que le militant radical François Veillerette se rend à l’évidence : « Le glyphosate a encore de beaux jours devant lui. » Ainsi donc, « l’État enterre la sortie de ce produit toxique », s’inquiète le patron de Générations Futures.
Il n’a pas tort. Outre les multiples impasses techniques agricoles, désormais reconnues, qu’entraînerait une interdiction de cet herbicide, un certain nombre de secteurs non agricoles auraient également été très largement handicapés par une telle décision. C’est le cas de la SNCF. Première consommatrice de glyphosate, elle va donc pouvoir continuer à traiter sans restriction l’ensemble de son réseau, puisque, comme le constate l’Anses, les usages sur les voies ferrées « ne peuvent être totalement substitués par des alternatives non chimiques sans avoir des conséquences importantes, notamment pour la sécurité des opérateurs et des utilisateurs de ces services ». Il en va de même pour les sites industriels et militaires, les autoroutes, les aéroports, le réseau électrique, et jusqu’à la conservation des monuments historiques, pour lesquels l’Anses estime que cet herbicide – parmi les plus respectueux de l’environnement disponibles sur le marché – demeure la meilleure solution possible.
L’impossible interdiction européenne du glyphosate
On peut donc à peine imaginer quelles conséquences aurait eues un vote d’interdiction, tel que l’avait hâtivement appelé de ses vœux le gouvernement français, lors de la réhomologation européenne de cette matière active, en octobre 2017 !
Heureusement, à l’époque, une majorité de dix-huit États européens, bien plus raisonnables, résistèrent à la France, qui fut seulement suivie par quelques pays, dont Malte, Chypre, le Luxembourg, la Belgique et l’Autriche. Dans ce dossier comme dans celui des néonicotinoïdes, il apparaît clairement que la pression des écologistes est très mauvaise conseillère, et qu’il est préférable d’y réfléchir à deux fois avant de succomber aux sirènes populistes dont le credo est de tout interdire. Une leçon qui devrait en toute logique conduire le gouvernement français à changer son fusil d’épaule, lorsqu’il devra à nouveau se prononcer sur la réhomologation du glyphosate, prévue pour 2023.
On voit en effet difficilement comment le gouvernement pourrait balayer les conclusions de l’Anses et précipiter des filières entières dans l’impasse, à cause d’une promesse présidentielle prise sous la pression d’une opinion publique manipulée (voir à ce sujet notre livre paru en 2020, Glyphosate : l’impossible débat. Mensonges, intox et billets verts).
Silence sur les distorsions de concurrence
Dès lors, faut-il se féliciter des travaux de l’Anses et de ses propositions, qui semblent apporter un peu de rationalité dans le débat ? Ce n’est pas certain. Comme le note Géraldine Woessner, journaliste au magazine Le Point, « si les analyses des conséquences économiques intègrent les pertes de rendement, les surcoûts de main-d’œuvre, de matériel spécifique, de carburant supplémentaire, de charges sociales que devront supporter les agriculteurs français, les coûts de la distorsion de concurrence ainsi créée (les autres pays européens n’étant, eux, soumis à aucune restriction), ne sont pas évalués, ni même mentionnés dans les différents rapports de l’Anses et de l’Inrae ».
Un avis partagé par Éric Thirouin, le président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB), qui souligne lui aussi que « ces coûts de la distorsion de concurrence avec les autres pays européens, et bien sûr avec les produits importés qui, eux, ne sont soumis à aucune restriction, ne font naturellement l’objet d’aucune évaluation par l’Anses ». Et celui-ci n’hésite pas à accuser le gouvernement de prendre des décisions « unilatérales irresponsables sur des études d’impacts bâclées ou absentes qui alourdiront inutilement la situation économique des agriculteurs ».
Si l’Anses reconnaît en effet ne pas avoir pris en compte la question des distorsions de concurrence dans son évaluation, Marie-Christine de Guenin, à la tête des autorisations de mise sur le marché de l’Agence, estime cependant que la France va « servir de modèle à toute l’Europe ». On aimerait tellement y croire !
Mauvaises propositions pour le climat
Pour comble de l’absurde – mais cela n’a été relevé par aucun média –, l’essentiel des alternatives proposées par l’Anses n’est pas conforme aux recommandations de la COP21, qui engage les États à prendre leurs dispositions en fonction des effets engendrés sur le climat.
Ainsi, au moment où il est demandé à la société de réduire son empreinte carbone, l’Anses recommande paradoxalement aux agriculteurs de relancer le labour en remettant un nombre conséquent de tracteurs dans les champs. Une pratique pourtant clairement défavorable au stockage du carbone dans les sols, et en opposition totale avec l’initiative « 4 pour 1000 », lancée par la France lors de la COP21. Cette initiative élaborée par des chercheurs de l’Inrae, qui consiste à favoriser le non-labour, a justement pour vocation de restaurer la fertilité des sols, mais aussi et surtout de piéger des gaz à effet de serre. « Si l’on augmentait la matière organique des sols agricoles chaque année de quatre grammes pour mille grammes de CO2, on serait capable de compenser l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre produites par la planète en un an », note encore aujourd’hui le site du ministère de l’Agriculture.
Les « amis du climat » seraient donc bien inspirés de se saisir de ce dossier et d’appuyer le monde agricole, afin d’encourager le président Macron à revenir sur sa promesse, dont les effets négatifs sur le climat viennent à nouveau d’être mis en évidence par le rapport de l’Anses.