Grâce à la découverte d’une biologiste argentine d’exception et l’apport d’une entreprise française, les agriculteurs argentins pourront bientôt disposer d’un blé transgénique tolérant à la sécheresse
Quoiqu’elle soit son aînée de onze ans, Raquel Chan aurait fort bien pu croiser la célèbre Emmanuelle Charpentier lors d’un colloque sur les OGM, par exemple à Strasbourg, où la chercheuse argentine a effectué son post-doctorat dans le domaine de la biologie moléculaire des plantes. Ces deux femmes d’exception ont en effet nombre de points communs : passionnées l’une et l’autre par les sciences, polyglottes – Raquel Chan s’est exilée en Israël pendant la dictature de son pays (1976-1983) avant de passer quelques années en France –, biologistes et généticiennes, toutes deux sont en train de marquer l’histoire de la sélection variétale grâce à leurs recherches respectives. Désormais adulée par le monde politique français toujours en quête de stars, la Française a reçu le prix Nobel pour ses travaux sur le développement de Crispr-Cas9, une méthode d’édition du génome très prometteuse, tandis que la chercheuse argentine est à l’origine de ce qui pourrait bien être le premier blé transgénique argentin commercialisé.
Presque par hasard
C’est en effet dans un très modeste laboratoire que, en 2004, Raquel Chan a identifié « presque par hasard », mais tout de même grâce à « près de vingt années d’efforts », le gène HAHB-4, qui confère à certaines variétés de tournesols une tolérance à la sécheresse et à la salinité. Une découverte qui a permis de mettre sur le marché argentin, dès 2015, une variété de soja transgénique possédant ce gène. Pour promouvoir ce nouveau soja, mais également un futur blé, l’Université nationale du littoral (UNL) et le Conseil national de la recherche scientifique et technique (Conicet) se sont alors associés à Bioceres, une entreprise fondée par des agriculteurs argentins. Par la suite, Bioceres a créé deux joint-ventures : Verdeca (avec le semencier Arcadia), pour le soja HB4, et Trigall Genetics, avec Florimond Desprez, pour le blé HB4. Le 13 octobre 2020, Trigall Genetics s’est réjouie d’avoir obtenu l’approbation du gouvernement argentin, permettant la production et la commercialisation de ce blé, qui doit assurer aux agriculteurs des rendements plus réguliers, même en temps de sécheresse. En effet, dans les essais en plein champ réalisés au cours de ces dernières années, ces variétés ont montré une amélioration de 20 % en moyenne du rendement en situation de stress hydrique. Avant de pouvoir procéder au lancement de ces cultures, il reste toutefois à lever un tout dernier obstacle, à savoir obtenir du Brésil, acheteur historique du blé argentin, les autorisations d’importation
Des parents français
« Florimond Desprez a été sollicitée par Bioceres au regard de sa présence significative sur le marché argentin des variétés conventionnelles, où la société assure à l’heure actuelle 30 % des parts de marché en semences de blé », précise François Desprez, le PDG du groupe. Présente en Amérique du Sud depuis plus de vingt ans, Florimond Desprez propose en effet de nombreuses variétés issues de ses recherches locales au sein de sa station de Balcarce, au nombre desquelles beaucoup ont de lointains parents français. Ainsi, Nogal hier, Lapacho et Algarrobo aujourd’hui, figurent parmi les variétés les plus cultivées en Argentine. Tolérantes aux souches de maladies locales, celles-ci apportent un niveau de rendement nettement plus élevé que celles de leurs concurrents. Pour le blé HB4, huit ans ont été nécessaires à Trigall Genetics afin d’obtenir des variétés associant ses caractéristiques locales à la technologie HB4. Xavier Bertrand, le président du Conseil régional de la Région Hauts-de-France, où se trouve le siège social de Florimond Desprez, devrait donc être l’un des premiers à se réjouir de l’implication d’une entreprise française dans cette aventure, qui va apporter aux agriculteurs argentins un blé répondant à l’urgence climatique.