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Plan protéines : entre espoirs et interrogations

Grâce à sa stratégie nationale en faveur du développement des protéines végétales, le gouvernement mise sur une augmentation de 40% des surfaces consacrées aux légumineuses d’ici 3 ans. Un pari qui n’est pas gagné d’avance.

Annoncé le 1er décembre dernier par le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, le plan protéines suscite beaucoup d’espoirs, et tout autant d’interrogations.

Ainsi, le président du groupe Avril, Arnaud Rousseau, s’est dit « prêt à relever le défi », tandis que la Fop et Terres Inovia se sont félicitées de voir leur ambition « reconnue et partagées ». Pour sa part, le Snia ( Fillière de la nutrition animale ) y voit « une véritable rampe de lancement », bien conscient que, si cette stratégie est ambitieuse, « il lui faudra du temps »

Les axes principaux de ce plan protéines

Lors de la conférence de presse, le ministre a fixé les trois principaux objectifs du plan, à savoir développer notre souveraineté alimentaire, créer de la valeur pour les filières, tout en répondant aux enjeux environnementaux par le biais d’une diminution de nos importations de soja du Brésil. Une thématique qui vise clairement les ONG environnementalistes mobilisées contre la déforestation brésilienne.

Il a ensuite précisé de quelle façon les cent millions d’euros prévus dans le plan seront répartis. La moitié sera dédiée à l’augmentation de 40 % des surfaces de plantes riches en protéines (soja, pois, légumes secs, luzerne, légumineuses fourragères, etc.).

Vingt millions seront consacrés pour une part à l’amélioration de l’autonomie alimentaire des élevages par l’achat de semences permettant d’enrichir les prairies en légumineuses fourragères, ainsi qu’à la modernisation du matériel agricole.

Enfin, la filière semences bénéficiera également d’environ vingt millions d’euros pour mener sa recherche de nouvelles variétés.

L’ensemble de ces aides seront complétées par l’Union européenne et par des crédits du Programme d’investissements d’avenir (PIA).

En résumé, un plan qui mobilisera donc des sommes considérables afin de permettre la réintroduction de légumineuses dans les rotations et la relocalisation de l’alimentation des animaux d’élevage.

Opposition de principe des syndicats minoritaires

Sans surprise, la Conf’ a indiqué qu’elle n’adhérait pas à ce projet. Pour le syndicat minoritaire, l’autonomie ne peut être atteinte « sans désindustrialisation des pratiques d’élevage ». L’idéal serait, selon le syndicat, « de pouvoir amener les bêtes au pré ».

Bloquée dans son fantasme du monde d’hier, la Conf’ « refuse qu’un centime aille dans la sélection par biotechnologie », assurant que « les paysannes ont toujours été autonomes en protéines avant l’industrialisation de l’agriculture ». Pour un peu, on croirait voir se profiler Fernandel et Marguerite dans La Vache et le prisonnier d’Henri Verneuil …

Du côté de la Coordination rurale, le scepticisme est également de mise : « On applique les mêmes recettes d’un temps passé sur un secteur en crise depuis trop longtemps », note le syndicat, qui ajoute : « Tant que les importations de protéines en provenance de pays hors UE ne seront pas taxées, les cultures protéagineuses ne seront pas rentables pour les agriculteurs européens. »

« Du jamais vu ! »

Des critiques auxquelles ne reste pas sourd Gilles Robillard, le président de Terres Inovia, qui souligne cependant que « dégager une enveloppe de 100 millions d’euros, c’est du jamais vu ! ». Il estime que « c’est un plan ambitieux qui signe la prise de conscience des pouvoirs publics sur les protéines ».

Bien que la souveraineté alimentaire soit un argument largement invoqué par le ministre, qui a encore rappelé que « notre dépendance [au soja brésilien] a été organisée depuis cinquante ans notamment via les accords internationaux », Gilles Robillard n’est pas dupe : « Le plan peut améliorer nos ressources en protéines, qui représentent aujourd’hui un total de 55% des besoins, pour aller jusqu’à 65%, mais il a, surtout, l’avantage de renforcer des filières afin d’apporter de la valeur ajoutée aux agriculteurs. Et c’est essentiels. »

Un marché en pleine expansion

De fait, par-delà les habituels grands discours politiquement corrects, l’idée sous-jacente au plan est d’abord de développer une filière animale nourrie d’alimentation exclusivement non-OGM, qui serait ainsi valorisée auprès des consommateurs. Tous les sondages le confirment : la demande d’une production française non-OGM est une réalité, et c’est là une opportunité que le monde agricole ne peut négliger.

Ensuite, le gouvernement a l’ambition de faire de la France un leader de la protéine végétale pour l’alimentation humaine. Comme le note le Groupe d’étude et de promotion des protéines végétales, « ce marché est en pleine expansion ». Sa présidente, Marie-Laure Empinet, rappelle que, si celui-ci s’élevait à 6,9 milliards d’euros en 2013, il dépasse aujourd’hui les 10 milliards d’euros. C’est-à-dire l’équivalent du marché total du bio !

À lire aussi : Protéines végétales et animales : des différences notoires

Et rien ne semble plus pouvoir l’arrêter, comme en témoignent les investisseurs qui sont impliqués dans ce secteur. « À l’échelle mondiale, les investissements en capital dans les protéines végétales ont déjà atteint 1,1 milliard de dollars en juin 2020, soit presque le double du total des investissements en 2019 (532 milliards de dollars) », comme le note Fairr, un réseau collaboratif d’investisseurs. Ainsi, Nestlé s’apprête à construire un centre dédié aux protéines végétales de 100 millions de dollars en Chine, tandis qu’Unilever a ouvert un centre d’innovation de 94 millions de dollars aux Pays-Bas.

Lever les handicaps

Sera-ce suffisant pour convaincre les agriculteurs de s’y engager ? Pas sûr, si l’on s’en fie à certaines réactions. « C’est un peu un emplâtre sur une jambe de bois, car, pour ce qui est des protéagineux de printemps (pois et féveroles), nous partons avec un sacré handicap en raison des soucis de levées et des fortes chaleurs qui pénalisent la floraison », explique Yann Martin, agriculteur dans l’Aisne.

À quoi il faut ajouter les impasses techniques existantes et celles à venir. Notamment, s’il n’y a aucun amendement du plan pollinisateurs, qui, en l’état, modifiera radicalement les assolements, entraînant une réduction potentielle de 70 à 90000 ha de culture mellifère. « Nos filières sont fragiles », confirme Gilles Robillard, qui rappelle que plus de 200000 ha de colza pourraient bien disparaître avec le retrait programmé du phosmet, le dernier insecticide efficace encore en usage contre les grosses altises (Psylliodes chrysocephala), des coléoptères d’hiver. Il suffirait donc de pas grand-chose pour mettre à mal un plan si porteur d’avenir…


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