Depuis l’adoption d’une loi promulguée en catimini le 23 décembre 2020, les contrôles réalisés par les agents de l’OFB se succèdent, entraînant une succession de mesures musclées de la part des préfets.
Bien qu’elle ait eu lieu un 1er avril, cette affaire n’est malheureusement pas un poisson d’avril. Alors qu’il épandait un insecticide contre les pucerons cendrés sur son verger situé sur le plateau de Louze, Pierre-Yvon Paret s’est vu contrôler par des agents de l’OFB, l’Office français de la biodiversité.
Selon les inspecteurs, le délit était flagrant : l’arboriculteur aurait bafoué l’interdiction de traiter en période de floraison. Aussitôt informé, le procureur adjoint du parquet de Grenoble a saisi la compagnie de gendarmerie afin que le « coupable « soit placé… en garde à vue. Une mesure de contrainte totalement disproportionnée au regard des faits, puisqu’on imagine mal M. Paret susceptible de s’enfuir à l’étranger, de dissimuler des preuves ou encore de faire pression sur des proches !
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Moins de dix jours après, celui-ci reçoit une convocation devant le tribunal correctionnel de Grenoble pour une audience prévue le 8 septembre 2021. Il encourt jusqu’à six mois d’emprisonnement ainsi qu’une amende s’élevant à 150 000 euros ou 10 % de son chiffre d’affaires. L’arboriculteur en est d’autant plus stupéfait qu’il est persuadé de n’avoir rien fait d’illégal.
« Nous avons utilisé un produit autorisé et homologué durant la période de floraison, et en plus, mon verger n’était pas au statut réel de floraison », a-t-il ainsi déclaré au Dauphiné Libéré. En effet, selon les techniciens, à cette date et dans cette région, cette variété était au stade E2-F avec seulement quelques fleurs ouvertes. Soucieux du respect de l’environnement, Pierre-Yvon Paret gère un verger d’une centaine d’hectares abritant environ cent quatre-vingts ruches pendant la pollinisation, qui n’étaient pas encore installées au moment de son intervention. Bref, pas vraiment le profil du délinquant anti-environnement…
La course aux poursuites
Quelque temps après, un second cas de garde à vue a été relevé dans le Tarn. Il visait, cette fois, l’un des responsables de la coopérative fruitière de Fontorbes, soupçonné d’avoir utilisé de la paille en trop grande quantité et employé du gasoil pour pallier la pénurie de bougies après plusieurs nuits de protection, provoquant ainsi une épaisse fumée.
L’enjeu était de taille puisqu’il s’agissait de protéger les vergers du gel qui a touché la France de façon inattendue et spectaculaire en ce début de printemps. Placé également en garde à vue, celui-ci est accusé d’être à l’origine de l’intoxication d’une vingtaine de personnes. Selon le parquet de Castres, il risquerait un an de prison et 15 000 euros d’amende, pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Et ce n’est pas tout, car d’autres producteurs ont eu la mauvaise surprise de voir les procès-verbaux des contrôles réalisés par les agents des SRAL ou de l’OFB être adressés aux procureurs de ces nouveaux tribunaux environnementaux. Et lorsque le procureur se saisit du dossier, la procédure impose au minimum une audition libre à la gendarmerie, quand ce n’est pas une garde à vue.
Bien souvent, le suspect sera ensuite déféré devant le procureur de la République, y compris pour des faits qui ne relèvent pas de la délinquance environnementale mais plutôt de la négligence : un enregistrement d’une application phytosanitaire autorisée mais avec un usage erroné, des PPNU mal identifiés dans un local phytosanitaire, une vitesse du vent en rafale supérieure à 19 km/h alors que c’est le vent moyen qui compte, une ZNT (zone non traitée) riverains non respectée pour 30 centimètres.
Une loi promulguée en catimini
Ces nouvelles procédures particulièrement musclées sont la conséquence immédiate d’une loi promulguée en catimini le 24 décembre 2020, et qui a pris effet… le 1er avril 2021. Elle s’inscrit dans une réforme de la justice environnementale, avec notamment la création d’un pôle régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement dans chaque cour d’appel, alors que tout était centralisé à Paris. Ces deux cas de garde à vue constituent donc un signal fort adressé au monde agricole, avec un message clair : désormais, ce sera tolérance zéro.
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De la difficulté de respecter la loi
Or, une étude réalisée par l’Association nationale pommes poires (ANPP) en 2008 a démontré qu’il était pratiquement impossible de suivre à la lettre la réglementation, tant elle est devenue complexe et hors-sol.
Par exemple, lorsque l’on cumule l’arrêté abeille de 2003, qui impose l’usage d’insecticides disposant de la mention abeille uniquement en dehors de la période de vol des pollinisateurs (c’est-à-dire tôt le matin ou en fin de journée, lorsque les températures sont fraîches et les pollinisateurs peu présents), avec l’interdiction de traitement par un vent moyen supérieur à 19 km/h, en sachant que l’inversion de température en fin de journée provoque des vents plus importants notamment en zones de coteaux, il devient impossible de trouver une fenêtre d’intervention qui permette le respect de toutes ces contraintes à la fois !
De la même manière, qu’est censé faire un producteur de pommes bio dont le traitement anti-tavelure du jour a été lessivé par l’orage de la nuit et qu’il est obligé d’intervenir sans délai le lendemain matin pour ne pas perdre sa récolte, alors que l’arrêté du 4 mai 2017 exige de respecter un délai de réentrée dans la parcelle de 48 heures ?
« Soyons honnête, il existe peu de producteurs capables de respecter toutes les contraintes qu’impose l’accumulation des règlements qui ont été votés ces dix dernières années du début à la fin de son cycle de culture », déplore le directeur de l’ANPP, Josselin Saint-Raymond, qui craint une surenchère de la part de procureurs zélés en quête de cibles faciles. Jusqu’à présent, ce genre d’affaires se réglait par un avertissement voire, au pire, par une amende. « Avec ce nouveau texte, nous allons vers une judiciarisation qui va mettre le feu aux poudres dans les campagnes », avertit le responsable agricole. Il n’a pas tort. D’autant que le projet de loi portant sur le dérèglement climatique risque d’alourdir les sanctions au-delà du raisonnable. Les peines de prison encourues pourront aller jusqu’à 3 ans et les amendes atteindre 4 millions d’euros ou jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires. Cette réforme de la justice environnementale votée en douce pourrait devenir un piège fatal pour le monde agricole, si les moyens destinés à lutter contre les grands pollueurs sont employés pour harceler des producteurs qui tentent de protéger leurs cultures pour continuer à assurer l’autonomie alimentaire de notre pays.