Une publication dans une revue scientifique prétend confirmer l’exposition de l’ensemble de la population au glyphosate sur la base d’analyses très controversées. Rien d’étonnant, puisque cet article a été rédigé par des militants antiglyphosate
Le 12 janvier dernier, la revue Environmental Science and Pollution Research a publié dans ses colonnes un article visant à démontrer que la population française ferait l’objet d’« une contamination générale » de glyphosate « avec un taux quantifiable dans 99,8 % des échantillons d’urine ».
Cette publication a ensuite donné lieu à une floppée de titres hautement anxiogènes, comme par exemple : « Glyphosate : une étude confirme la présence de l’herbicide dans l’urine des Français » (Libération), ou encore : « Une étude confirme la forte exposition des Français au glyphosate » (Actu-Environnement).
Du côté politique, c’est Jean-Luc Mélenchon qui s’est montré le plus prompt à récupérer cet article par un tweet bouillonnant: « Glyphosate: assez de polluer les sols et l’eau ! 99% des Français en ont dans leur urine. Il est temps que ça s’arrête. » Il a d’ailleurs fait de l’interdiction du glyphosate l’un des points forts de sa candidature, tandis que la porte-parole de Yannick Jadot, Delphine Batho, promet pour sa part d’orchestrer « la sortie de tous les pesticides ».
De son côté, Reporterre a donné la parole à l’un des auteurs de l’article, le statisticien Daniel Grau, qui se révèle être le coordinateur du « groupement scientifique » de Campagne Glyphosate, une association qui a déposé plus de 5 800 plaintes pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Le coût de l’opération de prélèvements s’élevant à plus de 500000 euros, ainsi que l’a déclaré Arnaud Apoteker, l’un des administrateurs du Criigen, il était indispensable d’étayer cette campagne d’un volet « scientifique ». Ce à quoi l’article s’est employé activement.
Comme le note maître Guillaume Tumerelle, l’avocat accompagnant le collectif, cette publication constitue un élément clé du dossier juridique. Selon ses auteurs, les conséquences de cette contamination seraient alarmantes, puisque le taux moyen de 1,19 nanogramme par millilitre serait « douze fois la norme qui s’applique pour l’eau potable ».
Une méthode contestée
En réalité, comme le souligne la journaliste de Libération Eléonore Disdero, ce taux est à mettre en parallèle avec l’analyse de l’Anses selon laquelle « des quantités de glyphosate de l’ordre de 1 μg/L dans les urines correspondent à une exposition inférieure à 1 % de la dose journalière admissible ». Celle-ci rappelle également que la méthode Elisa utilisée par Biocheck est fortement contestée : « Selon le protocole mis en place par les différents laboratoires, les “valeurs minimales et maximales de concentration en glyphosate pouvant être détectées varient”, explique la société Abraxis, qui a mis au point la méthode Elisa. » Et de conclure qu’« il est difficile de statuer sur les résultats, qui dépendent d’un grand nombre de facteurs ».
Dans les faits, la publication de cet article n’apporte rien de neuf au dossier. Surtout, elle ne répond nullement aux principales critiques que ces analyses ont déjà suscitées. Notamment celles du comité scientifique de l’association Campagne Glyphosate, qui, selon des documents rendus publics très récemment (voir A&E de décembre 2021), avait lui-même émis de très fortes réserves concernant ces analyses, estimant d’une part qu’elles devraient être confirmées par « des doublons à l’aveugle » – recommandation que les responsables de l’association ont préféré ignorer – , et d’autre part que « le test Elisa était correct pour connaître la présence ou non de glyphosate, mais plus contestable pour un dosage précis ».
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Avis partagé par Frédéric Suffert, chercheur à l’Inra, qui suggérait déjà en septembre 2019 dans Libération qu’« il faudrait faire intervenir un huissier constatant qu’une cinquantaine d’échantillons sont bien dédoublés et envoyés en parallèle pour analyse à un labo CHU en chromato et à Biocheck en Elisa ». Autrement dit, aucune conclusion ne peut être tirée des taux relevés par ces analyses, contrairement à ce que laissent entendre les auteurs de l’article.
Lettre ouverte à l’éditeur
Il est donc surprenant qu’aucun de ces avertissements n’ait été pris en compte par le comité de relecture de la revue Environmental Science and Pollution Research, alors que, comme le met en évidence une lettre ouverte, signée par plusieurs experts 1 et destinée au rédacteur en chef de la revue, Philippe Garrigues, cette « campagne de mesures avait déjà fait l’objet de multiples critiques ». On en retiendra quatre principales.
Premier point : utilisé pour les recherches de glyphosate dans l’eau, avec une bonne sensibilité, le test Elisa d’Abraxis « n’a jamais été validé pour des recherches dans l’urine ».
Deuxième point : les auteurs de la lettre ouverte soulignent « la légèreté de la partie méthodologique ». Il expliquent : « Pour la justification de méthodologie appliquée aux analyses d’urine, les auteurs de l’étude disent simplement avoir respecté le protocole recommandé par Abraxis, et citent pour seule validation scientifique “indépendante” un article (Krüger et al., 2014) comme démontrant pour le test Abraxis des résultats équivalents à ceux du couplage chromatographie/ spectrométrie de masse. Or, cette publication fait certes état d’une corrélation entre les deux méthodes, mais comprend deux lacunes inacceptables pour publication dans une revue scientifique du niveau de Environmental Science and Pollution Research. »
Ainsi, pour les tests dans l’urine humaine, « elle ne présente la comparaison entre les deux méthodes que pour 14 échantillons sur plus de 300 analysés dans l’étude » et « rien n’indique sur quel critère ces 14 échantillons ont été choisis ». Aussi est-il impossible d’écarter l’hypothèse d’un « cherry picking », à savoir une sélection des seuls résultats favorables à la thèse des auteurs. Ensuite, comme tous les échantillons humains présentés dans cette comparaison étaient positifs au glyphosate en chromatographie, « ils ne permettent donc absolument pas de lever la principale inquiétude que l’on peut avoir par rapport au test Elisa, c’est-à-dire le risque qu’ils produisent des résultats positifs sur des échantillons ne contenant pas de glyphosate ».
Troisième point : les concentrations obtenues dans cette comparaison étant en moyenne presque deux fois plus élevées avec le test Elisa qu’avec la chromatographie, « ces résultats sont donc parfaitement compatibles avec l’hypothèse selon laquelle les résultats du test Abraxis seraient entachés par un bruit de fond généré par d’autres molécules que le glyphosate, ce qui expliquerait parfaitement que ses résultats soient à la fois bien corrélés avec la teneur en glyphosate quand il y en a réellement, et nettement supérieurs à la concentration réelle ».
D’évidents conflits d’intérêts
Enfin, quatrième étapes, les auteurs soulèvent un point capital : « Monika Krüger, l’auteur principal de cette étude, est la fondatrice du laboratoire Biocheck, qui réalise les analyses commandées par Campagne Glyphosate. » Il y a donc un flagrant conflit d’intérêts, qui n’est évoqué nulle part dans l’article. Et elle n’est pas la seule dans ce cas : trois des huit auteurs – Daniel et Nicole Grau ainsi que Quentin Gascuel – sont membres de l’association Campagne Glyphosate. Comme le soulignent les rédacteurs de la lettre ouverte, « ces auteurs jouent un rôle fondamental, puisqu’ils représentent l’association qui a défini le protocole de prélèvement et le choix de la technique analytique utilisée, sur laquelle repose entièrement la crédibilité des analyses statistiques réalisées par les autres auteurs ».
À cela s’ajoute le fait que, parmi les autres signataires de l’étude, on trouve Cécile Stratonovitch, qui est administratrice de l’association Alerte des médecins sur les pesticides, Christian Paroissin et Julie Di Cristofaro, qui ont été candidats sur des listes écologistes aux régionales de 2021, et enfin, Denis Lairon, expert pour la Fondation d’entreprise Ecotone, leader européen de l’alimentation bio.
On conçoit aisément qu’une publication admettant que la méthode n’est pas valide serait fortement préjudiciable à leur campagne contre le glyphosate. Pire, cela les « exposerait à des plaintes pour tromperie des volontaires qui ont payé une analyse et déposé une plainte sur la foi de leurs affirmations », estiment les auteurs de la lettre ouverte. On ne peut donc que s’interroger sur la légèreté qui a permis à un tel article d’être publié dans une revue ayant jusque-là plutôt bonne réputation…