L’enquête de la journaliste du Point Géraldine Wœssner sur un arboriculteur-pomiculteur de l’Isère, condamné pour avoir répandu un produit phytopharmaceutique dans ses champs de pommiers alors que la floraison débutait, révèle une dangereuse dérive judiciaire dans nos pays.
Les faits remontent au 1er avril 2021, date de l’entrée en vigueur du décret paru le 16 mars 2021. Celui-ci, « passé largement inaperçu », comme le note la journaliste du Point Géraldine Wœssner, a permis la création de pôles judiciaires régionaux désormais habilités à traiter des dossiers en matière d’environnement ainsi que des actions relatives au préjudice écologique.
Interrogé par le site Village-justice.com, Oliver Nagabbo, procureur de la République adjoint du tribunal judiciaire de Grenoble, a joué cartes sur table : « L’objectif est de faire du droit à l’environnement une priorité de politique pénale. La volonté est forte d’en finir avec les atteintes à l’environnement. »
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Une véritable armée d’inspecteurs chargée de lui apporter des affaires a ainsi été déployée, notamment avec l’aide des fonctionnaires de la direction départementale des territoires (DDT), des parc nationaux et régionaux, de la police de l’environnement et de l’Office français de la biodiversité (OFB), résultant de la fusion récente de l’Agence française pour la biodiversité (AFB) avec l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). « Plus de 1 700 inspecteurs se sont vu octroyer des pouvoirs de police judiciaire et peuvent désormais conduire directement des enquêtes, sans avoir à passer par la case “police” », relate Géraldine Woessner, qui déplore que, faute d’une formation scientifique adéquate, bon nombre des agents de l’OFB n’aient pas les compétences nécessaires pour traiter ce genre de cas. Bien pire, précise la journaliste, « parfois, ils ne prennent pas la peine de cacher leur biais militant », comme le démontre magistralement cette première affaire, qui constitue « un triste cas d’école ».
Chasse à l’agriculteur
Poussée par le procureur Olivier Nagabbo, qui assume de faire du zèle – et de vouloir « faire un exemple », ainsi qu’il l’a confié au Point –, la section départementale de l’OFB a décidé de cibler les agriculteurs « pour traquer la faute ». C’est ainsi que trois agents de l’OFB, dès la date de l’entrée en vigueur du décret, ont investi le domaine d’un pomiculteur de l’Isère. Officiellement, il s’agissait d’opérer un « contrôle inopiné ».
Poussée par le procureur Olivier Nagabbo, qui assume de faire du zèle – et de vouloir « faire un exemple », ainsi qu’il l’a confié au Point –, la section départementale de l’OFB a décidé de cibler les agriculteurs « pour traquer la faute »
« C’est en effectuant des contrôles inopinés sur le respect et la protection des insectes pollinisateurs, dans le secteur, le 1er avril 2021, que des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) avaient constaté qu’un employé de l’exploitant agricole procédait à l’épandage de ces produits [sic]. Une visite lors de laquelle ils avaient aussi constaté que des abeilles domestiques et des bourdons se trouvaient dans les vergers. Et que des ruches se trouvaient sur un terrain voisin », explique Stéphane Blézy, journaliste au Dauphiné Libéré.
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L’affaire est alors immédiatement médiatisée, toute la presse ayant été convoquée et l’agriculteur placé en garde à vue ! Entendu comme témoin, l’agent de l’OFB Sébastien Mollet confirme : « Des abeilles se trouvaient bien sur le terrain et la floraison avait bien commencé dans certaines parcelles. » Pour preuve, il en a photographié une, comme le note Stéphane Blézy. « Cet agriculteur a utilisé des pesticides sur des pommiers en fleurs ! On peut estimer que la totalité des insectes sont morts. C’est une certitude ! Notre expert nous l’a confirmé ! », soutient Mollet lors d’un entretien avec Géraldine Woessner.
Or, à l’audience, le voilà qui déclare « ne pas être entré sur la parcelle par peur pour sa propre sécurité, des pesticides ayant été épandus ». Et d’assurer ne pas avoir constaté la présence du moindre insecte mort ! Quant à l’expert, un certain Marc-Édouard Colin, « vétérinaire écarté du CNRS en 2002 en raison de ses positions militantes et antiscientifiques », selon plusieurs de ses anciens collègues interrogés par Le Point, il ne s’est tout simplement pas rendu sur les lieux. « Son rapport a été produit depuis son bureau, quelques jour plus tard », comme l’établit Géraldine Woessner. Premier souci de taille pour le procureur : hormis la photo d’une abeille, il n’y a aucune trace de victime… Mais peu importe, puisqu’il lui suffira de se fier aux dires de « l’expert », qui écrit dans son rapport que « la probabilité pour qu’une butineuse soit tuée mortellement [sic] avoisine les 100 % ». Une affirmation qui constitue une aberration scientifique mais qui n’ébranlera pas le moins du monde le procureur, dont le parti pris militant apparaît de plus en plus clairement dans ce dossier : « Je ne suis pas naïf, j’ai vu sur Arte que les études sur les pesticides sont payées par l’industrie », rétorque-t-il au Point. Qu’un fonctionnaire d’État puisse ainsi ignorer le travail de l’Anses et l’Efsa, deux agences indépendantes chargées de l’évaluation de ces produits, n’est malheureusement plus une surprise…
Aucune trace d’abeille morte
La suite de l’histoire est proprement hallucinante : « Sur place, dans le champ de l’accusé, les constatations ne feront état d’aucun insecte mort. Un apiculteur, qui installe depuis 10 ans des ruches au centre des parcelles de pommiers de l’exploitant pour aider la pollinisation, attestera au contraire au tribunal n’avoir observé aucun trouble dans ses colonies d’abeilles… Pas plus qu’un voisin apiculteur, dont les ruches jouxtaient les parcelles le jour J », explique Le Point.
Certes, le pomiculteur a bien pulvérisé sur ses parcelles le fameux Judoka Gold – dont la substance active est l’esfenvalérate, un insecticide de la famille des pyréthrinoïdes considéré comme « dangereux pour les abeilles », mais au demeurant autorisé, y compris en période de floraison, sous réserve de l’absence d’abeilles – afin de protéger ses cultures d’une attaque de pucerons cendrés. Mais, comme il le souligne, phénologie des plantes à l’appui, seuls 7 % de ses arbres présentaient alors un début de floraison, au stade de l’éclosion de bourgeons, les autres variétés étant d’une floraison plus tardive.
« J’avais décidé de faire ce traitement car 276 ruches devaient ensuite arriver pour que les abeilles procèdent à la pollinisation […] J’ai anticipé leur arrivée, sachant qu’ensuite, après leur arrivée, je n’aurais plus pu le faire », s’est justifié le prévenu, qui soutient « ne pas avoir constaté la présence d’abeilles ». « Quand vous avez des pucerons dans votre verger, vous ne rigolez plus. Ce ravageur-là est dangereux pour la récolte », a déclaré pour sa part le conseiller agricole du prévenu, entendu comme témoin.
Qu’importe que rien de tout cela n’ait été contesté au tribunal, « il faut faire un exemple », répétera au Point le procureur Nagabbo, « dont les observations seront reprises quelques mois plus tard par son collègue », qui reprochera à l’agriculteur d’avoir… une BMW ! « C’est curieux… Un agriculteur peut-il se payer cela ? », dira- t-il au prévenu, à l’audience, avant de requérir 100 000 euros d’amende et six mois de prison ferme. Celui-ci sera finalement condamné à 10 000 euros en son nom propre et 40 000 pour son entreprise. Une lourde amende, qui confirme parfaitement le caractère « d’exemple » que la justice adresse ainsi au monde agricole, qui commence en l’espèce – et avec raison – à se poser quelques questions existentielles…
« Cet exemple, c’est la porte ouverte à toutes les dérives », s’alarme Pierre Venteau, député LREM de Haute-Vienne
« Cet exemple, montre l’arbitraire de certaines décisions et surtout, c’est la porte ouverte à toutes les dérives » s’alarme Pierre Venteau, député LREM de Haute-Vienne.
Le cas de Lucas Crosnier, directeur du Domaine de Fontorbe du Tarn dont les vergers sont certifiés « Vergers écoresponsables », qui a été placé en garde à vue pendant 24 heures pour avoir pulvérisé un insecticide, vient confirmer les craintes de la profession : « Je suis stupéfait après cette nuit en cellule. Notre verger est équipé de trois sondes pour vérifier la force du vent. Sur les parcelles de Giroussens et Ambres, nous avons stoppé les traitements dès lundi matin. Sur la parcelle de Lavaur, le vent soufflait à 15 km/h, soit en deçà des normes autorisées.» Et pourtant, les agents de l’OFB affirment avoir « ressenti » un vent à 19 km/h, mais sans rien mesurer. Malgré la levée de la garde à vue, le parquet indique que les investigations sont toujours en cours au sujet de cet épandage « présumé interdit ».
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Redoutant la multiplication des contrôles due au « plan pollinisateurs » mis en place par le gouvernement, la filière s’inquiète de « la promesse d’une foule de poursuites », tant les règles sont devenues complexes, tandis que se poursuivent, en toute impunité, les intrusions dans des élevages, les destructions de bassins de rétention d’eau ou encore le saccage de 1 500 tonnes de blé, comme on l’a vu récemment en Bretagne…