Le report annoncé par l’Efsa de son avis concernant le dossier de réhomologation du glyphosate a suscité dans la presse française une série d’articles aux propos alarmistes trompeurs.
« L’Union européenne tente de s’emparer du scandale autour du glyphosate, désherbant décrié, malgré le report d’une étude essentielle », observait un article du Figaro daté du 10 mai, tandis que, le même jour, Libération s’interrogeait sur le « report d’une étude clé attendue pour prolonger ou non l’usage du glyphosate ». Ouest France, à l’unisson avec d’autres journaux de la presse régionale, indiquait pour sa part que « le report d’une étude cruciale sur les effets pour la santé inquiète l’Union européenne ».
À l’origine de cet éventail d’articles, on trouve une simple dépêche de l’AFP publiées ce jour-là, suggérant qu’une étude « essentielle », « clé », « cruciale », et surgie de nulle part, aurait soudainement mis à mal l’expertise européenne sur le glyphosate.
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La réalité est, comme souvent, bien différente, ainsi que l’établit de façon plus précise le journaliste du Monde Stéphane Foucart, deux jours plus tard. Celui-ci note en effet que « l’expertise européenne nécessaire à la réautorisation [du glyphosate] ne parviendrait à son terme qu’en juillet 2023, et non dans le courant du second semestre 2022 comme prévu initialement ». Et de préciser que ce retard n’est pas la conséquence d’une « étude » mais bien du « grand nombre de commentaires formulés par les experts des États membres et la société civile à l’endroit du rapport d’évaluation préliminaire », comme l’avaient d’ailleurs clairement indiqué, dans un communiqué commun, les deux agences chargées de la réévaluation – l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et l’Agence européenne des produits chimiques (Echa). Bien conscient qu’il n’y a rien d’extraordinaire dans la prise d’un tel retard, Foucart poursuit : « Sauf nouveau coup de théâtre, cet imprévu devrait conduire l’Europe à permettre, en 2023, l’utilisation dérogatoire de l’herbicide controversé, son autorisation arrivant à échéance le 15 décembre 2022. »
Une consultation largement commentée
Certes, il est vrai que la consultation publique du rapport préliminaire de l’Efsa – qui, rédigé par les quatre États rapporteurs (France, Hongrie, Pays-Bas et Suède), avait conclu que le glyphosate ne remplit aucun des critères d’interdiction (cancérogénicité, mutagénicité, reprotoxicité, perturbation endocrinienne) – a généré son lot de commentaires : plus de 350 émanant de la société civile et d’institutions scientifiques, et quelque 2 400 de la part d’experts des États membres, selon les dires de l’Echa et l’Efsa. Un nombre étonnamment important pour une matière active aussi largement étudiée et connue. « L’ensemble de ces contributions constitue à présent un dossier d’environ 3 000 pages », insistent les deux agences, estimant que ce dossier doit être soumis aux industriels et aux agences des quatre États rapporteurs chargés de l’évaluation préliminaire. En clair, ainsi que le précisent l’Echa et l’Efsa, « le retard découle de l’obligation d’étudier en détail tous les commentaires reçus ».
Dès lors, faut-il s’inquiéter d’un tel retard ? Et surtout, ce retard constitue-t-il la preuve, comme le prétend Stéphane Foucart, que « ces dernières années, le nombre d’études publiées sur le glyphosate s’est envolé, mais la plupart sont ignorées par le processus réglementaire » ? Ce n’est en tout cas pas ce que suggèrent les propos de Stella Kyriakides, la commissaire européenne à la Santé, qui a pris note « du grand intérêt suscité par le processus d’évaluation ». « Le niveau élevé d’engagement dans la consultation publique montre à quel point votre travail est important et je vous demande d’examiner attentivement toutes les nouvelles preuves, commentaires et remarques », écrit-elle dans un courrier à l’attention de l’Efsa. Elle ajoute: « Garantir un processus d’examen par les pairs objectif et solide dans lequel toutes les informations, commentaires et opinions sont soigneusement examinés et documentés de manière transparente est essentiel pour garantir que le résultat de votre évaluation est accepté par les parties prenantes et que la décision de la Commission est fondée sur des avis scientifiques de haute qualité. » C’est précisément là ce que contestent les militants antiglyphosate.
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Par ailleurs, la commissaire européenne à la Santé insiste sur la nécessité que, « si, à n’importe quel stade du processus d’examen par les pairs en cours, des preuves solides devaient apparaître montrant que les critères d’approbation établis dans le règlement ne sont plus remplis », cela soit notifié à la Commission sans délai, « afin de permettre un suivi réglementaire immédiat ». Nul besoin par conséquent d’un moratoire, puisqu’il est clair que, à la moindre alerte sérieuse, la Commission ne tarderait pas à agir.
Aucune alerte probante
Aucune indication allant dans ce sens n’ayant été formulée, on peut raisonnablement en déduire qu’à ce stade, l’Efsa a considéré que, contrairement aux affirmations de la nébuleuse antiglyphosate, aucune de ces fameuses « nouvelles études » n’est suffisamment crédible pour mettre en difficulté les conclusions actuelles des quatre États rapporteurs.
D’ailleurs, l’expertise de l’Inserm, qui fait désormais autorité dans les articles de Foucart, consolide un certain nombre d’études qui ont pour l’essentiel déjà été versées au dossier dès la soumission de 2020 de l’Efsa. C’est le cas, notamment, des fameuses études épidémiologiques citées par l’Inserm. « L’expertise collective n’a, par conséquent, analysé aucune nouvelle donnée au regard de celles soumises dans le dossier de réapprobation du glyphosate en 2020 », explique un expert qui suit le dossier de très près. En effet, ce que l’Inserm qualifie de « nouvelles données » dans ses commentaires au projet d’évaluation, correspond ni plus ni moins à celles publiées après la précédente expertise collective de l’Inserm en 2013, mais bien antérieures à 2020.
Et surtout, comme omet de le préciser Foucart, l’étude conduite par l’Inserm ne conclut qu’à une présomption faible de lien entre l’exposition au glyphosate et un certain nombre de pathologies, et à une présomption moyenne d’un lien entre exposition professionnelle au glyphosate et lymphomes non hodgkiniens. En somme, il s’agit d’une présomption, et non pas de la démonstration de l’existence d’un lien, puisque tel n’est pas l’objet des études épidémiologiques. Ce qui, on s’en doute, n’est pas suffisant pour procéder à l’interdiction d’une molécule.
En conclusion, avec Foucart comme avec la dépêche de l’AFP, on assiste à une pratique typique de contestation, consistant à sortir de son chapeau de « nouvelles étude préoccupantes » qui, une fois analysées, se révèlent sans fondement, et sont alors remplacées par d’autres « nouvelles études » tout aussi « préoccupantes », auxquelles succéderont d’autres études encore. Cela s’appelle : fabriquer du doute… et l’entretenir.