Alors que la récolte de miel s’annonce plutôt en forte hausse par rapport à l’année dernière, la communauté scientifique s’alarme de l’émergence d’un nouveau variant du virus de l’aile déformée
Au moment où les apiculteurs se félicitent d’une excellente récolte de miel de printemps en raison d’une météo chaude et ensoleillée ayant permis, grâce aux floraisons abondantes, le butinage des abeilles, voici que pointe à l’horizon une nouvelle menace, qui pourrait bien inverser cette tendance satisfaisante.
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C’est en tout cas l’avertissement lancé tout récemment par le Pr Robert Paxton de l’université Martin-Luther (MLU) de Halle-Wittenberg, en Allemagne. En effet, le directeur du département de zoologie générale de cette université, qui est l’un des meilleurs experts mondiaux des maladies touchant les abeilles, estime que « le virus de l’aile déformée [DWV pour Deformed wing virus] est à l’heure actuelle sans aucun doute la plus grande menace pour les abeilles ». Ce virus de type ARN présente comme symptôme des ailes complètement rétrécies et paralysées, qui empêchent l’abeille de voler. Et à l’état asymptomatique, le virus provoque cependant déjà des dégâts dans le système nerveux de l’abeilles, notamment sur sa capacité de retour à la ruche. Lorsque la charge virale dépasse un certain seuil, les abeilles atteintes ont une durée de vie considérablement réduite, en général moins de 48 heures, et sont expulsées de la ruche. Un faisceau convergent de résultats suggérant que le DWV était déjà présent chez Apis mellifera bien avant les premières infestations de varroa, il est très vraisemblable qu’il s’agisse d’un virus ancien, qui se transmettait principalement d’abeille à abeille par la voie orale et vénérienne via la reine ou le faux-bourdon, ou bien par le pollen.
Des charges virales accentuées par la présence du varroa
La situation a cependant radicalement évolué avec l’introduction, dans les années 1980, du varroa, puisque celui-ci est devenu son principal foyer de multiplication. « L’aptitude de l’acarien à transmettre le DWV est liée à sa capacité à perforer la cuticule et à inoculer le virus directement dans l’hémolymphe de l’abeille », explique Éric Dubois, virologue de l’Anses.
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Il précise : « Cette voie de transmission est très efficace ; seulement une centaine de particules virales inoculées ainsi suffisent à infecter des nymphes, et l’infection n’est plus limitée au tube digestif de l’abeille mais elle est généralisée avec des charges virales dans le cerveau des abeilles particulièrement élevées. » Avec des charges virales par insecte qui sont 10 à 10 000 fois supérieures à celles mesurées chez des colonies d’abeilles sans varroa, la présence de cet acarien a largement amplifié la propagation du virus, même si en l’absence de varroa, le virus peut persister dans des populations d’abeilles en tant qu’infection à bas bruit.
Jusqu’à présent, trois souches principales étaient connues, à savoir le DWV-A, le DWV-B (également connu sous le nom de « Varroa destructor virus ») et le DWV-C. Mais des virus recombinants entre le DWV-A et le DWV-B ont été signalés comme des variantes majeures dans certaines localités du Royaume-Uni, d’Israël et de France.
Toutefois, après avoir examiné 3 000 ensembles de données différentes, les dernières recherches de la MLU ont révélé que la souche DWV-B, présente sur le territoire européen depuis plusieurs années, a désormais largement remplacé la souche qui l’a précédée en Europe. « La souche B a été identifiée pour la première fois par une équipe néerlandaise en 2000 », explique le Pr Paxton. Et Éric Dubois de noter : « En France, une étude rétrospective sur des échantillons d’abeilles montre l’émergence du type B en 2014, tandis qu’en 2016, en Angleterre, le DWV-B était encore dominant sur le DWV-A dans 95 % des colonies prélevées, alors qu’il était absent en 2007. » Et la transition du type A vers le B en Amérique du Nord entre 2010 et 2016 a été documentée par l’équipe du chercheur Eugene Ryabov « Nos analyses confirment que ce variant est dominant en Europe, et il n’y a plus une seule ruche en Allemagne qui en soit exempte. Nous craignons que ce ne soit qu’une question de temps avant qu’il ne se fraye un chemin partout dans le monde », poursuit le Pr Paxton. Aujourd’hui, la prévalence de ce virus en France également semble se confirmer, comme l’avance Alain Viry, du Laboratoire départemental d’analyses du Jura, qui constate l’absence de DWV-A dans toutes ses analyses.
Une souche bien plus létale
Or, selon le Pr Paxton, associée au varroa, cette souche, qui est beaucoup plus létale que les autres, aurait le potentiel nécessaire pour éliminer les populations d’abeilles « partout dans le monde ». Des essais datant de 2016 ont en effet démontré que, si la souche A demeure assurément létale pour les abeilles, la souche B est capable de décimer une colonie encore plus rapidement. « Ce nouveau variant est un véritable défi pour les apiculteurs », alerte ainsi le Pr Paxton. Propos confirmés par Éric Dubois, qui annonçait déjà en 2020 que la combinaison varia/DWV-B « serait la cause principale des mortalités hivernales ». « Nous travaillons sur des traitements à base de RNAi et également sur la sélection de variétés d’abeilles résistantes à ce virus, mais ces solutions ne sont pas aujourd’hui disponibles », regrette encore le Pr Paxton. D’où l’impérieuse nécessité de lutter contre son principal vecteur, le varroa – seule solution dont on dispose actuellement pour lutter contre ce virus.
Sauf que, comme le reconnaît Philippe Lecompte, président-fondateur du réseau Biodiversité pour les abeilles, « la pandémie du varroa est devenue totalement hors de contrôle ». « Alors que les récoltes de miel sont bien au rendez-vous, on constate dans l’est de la France 50 % de mortalité en moyenne à la sortie de l’hiver, avec des variations qui vont de 20 à 80 % », note ainsi l’apiculteur, déplorant qu’« en réalité, presque personne n’est aujourd’hui en mesure de maîtriser le varroa, notamment en raison de produits de contrôle pas suffisamment efficaces ou mal utilisés ».
Ainsi donc, la propagation du virus DWV-B dans une population d’abeilles contaminée par le varroa constitue une bombe à retardement pour l’apiculture française, que semblent continuer à ignorer superbement les instances en charge de ce secteur.