AccueilEconomieLa flambée des prix de l’électricité menace de nombreuses filières agricoles

La flambée des prix de l’électricité menace de nombreuses filières agricoles

L’explosion du prix de l’énergie en général et de celui de l’électricité en particulier suscite une très forte inquiétude au sein du monde agricole

Dans une note adressée le 19  juillet au ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, l’Association nationale pommes poires (ANPP) s’inquiète de la hausse vertigineuse du prix de l’électricité sur le marché à terme, qui affecte la rentabilité de nombreuses stations de conditionnement. « En station, une inquiétude majeure est apparue depuis le mois de juin pour l’année 2023 : il s’agit de l’évolution du coût de l’électricité », avertit ainsi l’ANPP, en précisant que pour un tiers environ de ses entreprises, « les contrats de fournitures sont à échéance en décembre 2022 et les nouvelles conditions de contractualisation font apparaître une augmentation brutale de 50 €/MWh à 600 €/MWh ».

« Depuis le mois de septembre, nos coûts de production ont augmenté de plus de 30% avec le gros poste électricité en augmentation de 400%», alertait ainsi Claire Messean »

Alors que la conservation d’une pomme coûtait jusqu’alors à peu près 1,5 ct d’€/kg, son prix devrait exploser à environ 18 cts d’€/kg, selon les estimations de l’ANPP, qui prévient que « sans aide dédiée, une telle hausse ne manquerait pas de faire disparaître certaines entreprises ».

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C’est le cas, par exemple, d’une station située en Pays de la Loire, qui conditionne 10 000 tonnes de pommes par an. Son contrat étant arrivé à échéance, celle-ci vient de recevoir de la part de son fournisseur d’électricité une nouvelle offre avec une hausse de presque… 400 % ! Soit un budget de 700 000 euros contre 143  000 pour 2022. Inutile de préciser que, sans une intervention de l’État, elle ne sera pas en mesure d’assumer une telle augmentation.

D’autres filières également concernées

Et la filière pomme n’est pas la seule en péril. Les producteurs d’endives, qui recourent également au stockage à froid, notamment pour conserver les racines d’une année sur l’autre, sont tout autant concernés. À la veille du Salon international de l’agriculture qui s’est tenu en février dernier, les endiviers des Hauts-de-France, région où se concentrent 95 % de la production française, tiraient déjà la sonnette d’alarme sur l’état de santé de leur filière : « Depuis le mois de septembre, nos coûts de production ont augmenté de plus de 30 % avec le gros poste électricité en augmentation de 400 % », alertait ainsi Claire Messean, productrice à Aizecourt-le-Haut (Somme) et coprésidente de l’Union des endiviers. Et Vincent Ringeval, cultivateur à Boursies, petit village du Nord en bordure du Pas-de-Calais, s’avouait lui aussi « atterré » : « On est passés d’un contrat à 5,834 centimes le kilowattheure pour 2020 à un nouveau contrat annuel 2022 à 22,201 centimes, soit une hausse de 380 % », expliquait cet agriculteur qui cultive 15 ha d’endives et en produit 450  tonnes par an.

Des inquiétudes auxquelles fait écho Philippe Brehon, un important endivier de la région, qui produit environ 3  000 tonnes par an et emploie 50  salariés : « Jusqu’à 2021, mon budget électricité s’élevait autour de 80 000 euros. Pour 2022, la facture est passée à 280 000 euros et le contrat pour 2023, que je viens de recevoir, avec la nouvelle tarification, va littéralement entraîner la faillite de mon entreprise. »

En effet, EDF lui propose un contrat au tarif de… 70 centimes le kilowattheure, ce qui ferait monter son budget électricité pour 2023 aux alentours de 700 000 euros ! « À ce prix, impossible de garder mon exploitation, d’autant plus que le plan de résilience mis en place par le gouvernement est totalement inadapté pour la profession agricole », alerte Philippe Brehon.

Même scénario inquiétant chez les irrigants, qui ont reçu au début de l’année 2022 des factures d’électricité avec des augmentations allant de 300 à 800 %, en fonction des différences entre les structures départementales. « Si rien n’est fait afin de garantir des prix raisonnables de l’électricité, ce sont toutes les filières irrigantes qui sont mises en péril », prévient Éric Frétillère, président d’Irrigants de France.

La conjonction de deux crises

Comme l’établit un rapport de la Commission de régulation de l’énergie rendu public au mois de juillet, les prix à terme de l’électricité pour l’hiver 2022-2023 ont en effet connu en Europe une hausse record, qui s’est encore accélérée fortement depuis la mi-juin 2022. « Cette situation reflète la conjonction de deux crises d’une ampleur inédite, qui affectent le secteur énergétique européen et français depuis le deuxième semestre 2021 », analyse le rapport.

Au premier chef, la crise consécutive à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui menace l’UE d’un arrêt complet des importations de gaz russe. « L’accélération récente des prix à terme du gaz s’explique par la crainte de voir l’Europe faire face à des pénuries cet hiver », note ainsi le rapport. Or, les prix du gaz entrent directement dans la formation du prix de l’électricité en raison des règles européennes instaurées pour constituer un marché unique de l’énergie, censé favoriser les consommateurs.

« Aujourd’hui, les prix de l’électricité à terme sur le marché français sont supérieurs à ceux du reste de l’Europe, affichant même un écart considérable avec les prix allemands »

Pourtant, alors même que la France, grâce à ses approvisionnements plus diversifiés, bénéficie, sur le marché de gros, d’un prix du gaz parmi les plus bas d’Europe, et même bien inférieur à celui de l’Allemagne, les prix de l’électricité à terme sur le marché français sont supérieurs à ceux du reste de l’Europe, affichant même un écart considérable avec les prix allemands.

Trop de centrales nucléaires à l’arrêt en même temps

Comment expliquer ce paradoxe, d’autant plus étonnant que, historiquement, la France a longtemps été exportatrice d’électricité ?

Tout simplement en se référant à l’état du parc nucléaire français, lourdement affecté par l’arrêt simultané de 32 réacteurs sur les 56 que compte le parc nucléaire. Et ceci pour différentes raisons. D’une part, un calendrier de maintenances particulièrement chargé en raison du retard accumulé par la période Covid, et qui nécessite la mise à l’arrêt des centrales ; et d’autre part, la découverte, à la fin 2021, de phénomènes de corrosion localisés sur le système de sécurité, qui ne présentent rien d’alarmant mais nécessitent une attention particulière. « Ce type de corrosion se traduit par des très fines fissures de quelques millimètres pour une épaisseur de la tuyauterie de 25  mm et qui ne sont pas visibles à l’œil nu », note Benoît Réaux, le directeur délégué de la centrale nucléaire de Penly, en Normandie. Bien que ce phénomène de corrosion soit très lent et ne remette pas en cause la sûreté des réacteurs, EDF a tout naturellement décidé de réaliser des mesures de contrôles et de réparations supplémentaires et inédites, donnant ainsi lieu à une plus grande incertitude quant à sa capacité à remettre en service les centrales concernées avant l’hiver.

Le prix élevé de l’électricité reflète donc la crainte des marchés face à un risque de déséquilibre entre l’offre et la demande sur les marchés de l’électricité en France à l’hiver prochain, qui génère par conséquent une explosion du prix pour la fourniture de cet hiver 2022-2023. Alors qu’EDF annonçait maintenir ses objectifs de production, à fin août le mégawattheure (MWh) s’échangait ainsi à plus de 1 500 euros sur la bourse EEX (European Energy Exchange) pour le 1er  trimestre 2023, contre environ 50  euros avant la crise.

Dans ce contexte, la fermeture de Fessenheim, opérée sous la pression du lobby écologiste anti-nucléaire, se révèle une décision désastreuse. Et tout aussi dommageable est le retard pris dans la construction de nouvelles centrales, qui auraient permis d’éviter de telles inquiétudes sur le marché français de l’électricité.

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