Dans un rapport rendu public en novembre sur les nouvelles techniques génomiques, le CTPS estime être l’organisme le plus adapté pour l’évaluation des variétés issues des NGT en fonction des services qu’elles apportent aux utilisateurs. Sauf pour certains cas
Alors que la Commission européenne travaille sur une modification de la législation européenne concernant les semences issues de l’édition génomique (NGT, pour New Genomic Techniques), le ministère de l’Agriculture a saisi, en novembre 2021, le Comité scientifique du CTPS (Comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées) pour obtenir un avis éclairé sur le sujet.
Toutes les variétés inscrites au catalogue – à savoir disponibles pour les agriculteurs – doivent en effet être validées par le CTPS, seul organisme d’intérêt public habilité à évaluer la pertinence de l’inscription d’une nouvelle variété qui, par définition, doit apporter une amélioration par rapport aux variétés déjà existantes. Traditionnellement, une série de tests – suivant le « protocole DHS (Distinction, Homogénéité, Stabilité) et VATE (Valeurs Agronomique, Technologique et Environnementale) » – était conduite pendant deux ans afin de démontrer l’existence d’une amélioration agronomique (meilleure tolérance au froid, aux maladies…) ou technologique. Depuis quelques années, les autorités y ont rajouté des critères environnementaux (adaptation aux conditions de milieux et aux itinéraires techniques limitants comme les fongicides, l’azote ou l’eau…). En dépit de cette contrainte, qui n’est appliquée dans aucun autre État membre de l’Union européenne, le secteur semencier français se targue de proposer chaque année une panoplie considérable de nouvelles variétés, preuve de l’efficacité du système en vigueur.
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Une révolution en marche
Rendu public en novembre 2022, le rapport du CTPS intitulé Nouvelles techniques d’édition du génome et évaluation des variétés souligne en introduction l’évolution forte et rapide des techniques d’édition du génome « tant sur la technique elle-même que sur la méthode d’introduction de Crispr/ Cas dans les plantes ».
La première évolution notable consiste dans l’élargissement « de la variabilité en motifs PAMs » – ce qui signifie qu’il est désormais possible d’agir sur un éventail bien plus large de séquences cibles de l’ADN. « Les méthodes de base editing et de prime editing permettent d’induire des modifications ciblées et choisies, d’une ou plusieurs bases à la fois », note le rapport, soulignant qu’on peut ainsi « “choisir la base” de façon précise, sans faire appel à une modification aléatoire de l’ADN » et agir directement sur l’expression de gènes ciblés. « Cette méthode permet également d’exercer une action sur l’épigénome en modifiant les marques épigénétiques. La méthode de modification multiplexe permet de cibler plusieurs séquences de l’ADN, et ce, de manière simultanée. Cela ouvre la possibilité de modifier en une seule action plusieurs cibles, et ainsi d’agir sur les voies de régulation, d’augmenter le nombre de traits édités ou d’agir sur l’expression de plusieurs gènes ou de familles multigéniques. Parmi les évolutions en devenir, le système Crispr permet de travailler sur le réarrangement chromosomique, par l’induction d’inversion ou de translocation chromosomiques », précisent les auteurs du rapport.
Bien qu’il ne semble pas y avoir à ce jour de révolution majeure parmi les variétés commercialisées dans le monde, « les perspectives d’innovation qu’offre le multiplexage dans le travail de traits plus complexes pourraient apporter de nouvelles réponses aux problématiques actuelles », note encore le rapport, non sans reconnaître que « les applications de cette méthode nécessitent encore des ajustements ». Et l’introduction se referme sur l’affirmation que « les nouvelles techniques d’amélioration des plantes sont des outils prometteurs, dont on ne cerne pas encore toutes les possibilités sur l’offre variétale ». On saisit, grâce à ces quelques lignes liminaires, la révolution d’ampleur considérable que représente l’édition génomique.
Un dispositif à aménager
Si révolution il y a, le CTPS estime cependant que l’utilisation des techniques d’édition du génome ne remet pas en cause les principes majeurs de l’évaluation des variétés en vue de leur inscription au catalogue. Un bémol, toutefois : ses auteurs souhaitent établir une distinction entre deux familles de caractères, à savoir ceux qui pourraient être obtenus par la sélection conventionnelle, et ceux qui seraient « disruptifs ». « Les NGT permettent également la création d’une variabilité nouvelle pouvant se manifester par des effets nouveaux, encore jamais obtenus par sélection classique, qui se caractériseraient par exemple par un taux de protéines très élevé, la libération de métabolites secondaires très exprimés, une résistance forte à un agent pathogène. Ces innovations disruptives, qui peuvent apporter des solutions à des contraintes majeures, peuvent en revanche être associées à des disservices qu’il convient d’évaluer », mettent en garde les auteurs, qui préconisent pour ces caractéristiques spécifiques « une adaptation des règles d’inscription applicables ».
Même s’il affirme que le CTPS reste aujourd’hui « le dispositif le plus adapté à l’évaluation des traits des variétés en fonction des services qu’elles apportent aux utilisateurs », le rapport juge que celui-ci n’est pas compétent pour évaluer les « risques de disservices potentiels » dans le cas de modifications disruptives : « Ainsi il faudra veiller à faire une distinction entre les caractères édités : un caractère semblable ou proche de ce qui peut être obtenu par la sélection conventionnelle, ou un caractère nouveau très modifiant, afin d’adapter les règles applicables. Dans le cas de création de caractères disruptifs et potentiellement très impactants, il conviendra de bien caractériser les services qui pourraient être rendus et d’être transparent sur les disservices qui pourraient apparaître […] Si la technique est soumise à des règles spécifiques, il faudra mettre en place des procédures d’évaluation préalable, de traçabilité et de surveillance après l’inscription des variétés. »
En clair, si le CTPS suggère de maintenir son dispositif pour l’évaluation de variétés aux caractères « conventionnels », en revanche les variétés dites « disruptives » nécessiteraient un nouvel aménagement législatif.
L’inutilité d’une filière NGT-free
En outre, le rapport souligne les difficultés à distinguer, sur le marché, entre variétés issues de NGT et celles non issues de NGT, en raison notamment des limites liées à la détection. Car, contrairement aux plantes obtenues par transgénèse, il n’existe pas de solution facile pour la détection des variétés porteuses de traits édités via l’édition du génome. La création d’une filière « NGT-free » reposerait donc « sur un processus lourd et coûteux (séquençage et engagement de l’ensemble des acteurs, en l’absence de méthodes de détection spécifique) », rendant de facto la coexistence des filières compliquée. « Dans l’hypothèse d’une mise en place de filière “NGT- free”, le support du coût de la certification de ces filières sera une question à traiter en priorité », signalent les auteurs, en observant que « l’acceptabilité sociétale d’une offre alimentaire issue pour partie de produits de filière NGT doit être clairement prise en compte ».
En réalité, on voit difficilement quel serait l’intérêt pour le consommateur – et pour la communauté en général – de la mise en place d’une telle filière, sachant qu’elle n’apporterait aucun avantage de nature sanitaire ou environnementale. Bien au contraire, puisque ces variétés auront été inscrites au catalogue ! Hormis pour des questions idéologiques, l’obligation d’un étiquetage ne serait donc aucunement justifié, contrairement aux indications, par exemple, sur la teneur en gluten, en sucre, en sel ou en allergènes. À moins, bien entendu, de vouloir s’en servir comme d’un argument marketing.
L’appel du CTPS au sujet des brevets
Enfin, le rapport mentionne la question liée à la propriété intellectuelle des traits édités, soulignant l’importance de l’accès à ces variétés pour les programmes de sélection.
« La question de la propriété intellectuelle est très prégnante dans la réflexion sur les NGT », insistent ainsi les auteurs. En effet, entre le concept de Certification d’obtention végétale (COV), qui s’applique en Europe sur la base de la caractérisation phénotypique d’une variété et permet une libre utilisation à des fins de sélection, favorisant ainsi l’accès à la diversité génétique, et celui des brevets utilisés pour protéger une technologie d’invention industrielle, s’ajoute ici la possibilité de déposer des brevets sur des gènes édités. Or, comme le spécifient les auteurs du rapport, « le brevet sur le vivant est une des causes de la non-acceptabilité sociétale de certaines technologies d’amélioration des plantes ». D’où l’appel lancé par le Comité scientifique du CTPS à l’ensemble des opérateurs, pour qu’ils décident de ne pas déposer de brevets sur les traits édités : « Ceci permettrait de maintenir le fonctionnement en innovation ouverte qui caractérise le COV.»
Cette question reste cependant encore ouverte, car, comme le note le rapport, un consensus n’a pas pu s’établir au sein du CTPS en raison d’une divergence d’opinions, principalement parmi les entreprises semencières. Ce point sera sans nul doute exploité par le lobby décroissant et anti-NGT pour essayer de saborder l’ensemble du dossier, vu qu’il ne lui reste pas grand-chose d’autre à se mettre sous la dent…