Depuis quelques mois, certains médias s’interrogent sur la montée en violence des militants écologistes. « Écolos ultraradicaux : jusqu’où la violence ? », peut-on lire à la une du Point, tandis que Paris Match titre sur les « Écolos ultras : génération coup de poing ». Pour sa part, Reporterre publie une enquête sur « le grand retour du sabotage », estimant que « le temps de la protestation polie est peut-être définitivement révolu ». Analyse d’un mouvement parti pour durer
Le recours à la violence, utilisé aujourd’hui comme une nouvelle forme d’action politique, repose sur une longue tradition. Comme le rappelle le journaliste du Monde Stéphane
Foucart, en citant une étude publiée en 2005 par la revue English Historical Review sur les suffragettes : « Pour la seule année 1913, les militantes britanniques ont revendiqué près de 340 actions, principalement des incendies volontaires et des attentats à la bombe, dont les cibles étaient des maisons, des bureaux, des bâtiments agricoles, des gymnases, des hangars, des églises, des écoles. Soit près d’un attentat par jour. » Le journaliste aurait pu faire également référence aux luddites, ces fameux artisans du textile briseurs de machines qui sévirent au début du XIXe siècle.
Plus récemment, l’écosabotage a été employé dans les années 1970 en France par le mouvement antinucléaire français qui, sous l’appellation de « nuits bleues », a multiplié les vagues d’attentats visant l’industrie du nucléaire et ses exploitants. La première « nuit bleue antinucléaire » a eu lieu dans la nuit du 19 au 20 novembre 1977, avec des attaques à l’explosif contre des bâtiments d’EDF, des usines et entreprises sous-traitantes ainsi que des centres de recherche. Des attaques perpétrées en écho à l’action de Françoise d’Eaubonne, l’une des pionnières de l’écoféminisme, qui, en 1975, avait déposé une bombe dans le futur réacteur de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), retardant ainsi les travaux de plusieurs mois. Mais l’action la plus spectaculaire demeure sans nul doute l’attaque au lance-roquettes de 1982 contre le chantier de la centrale nucléaire de Creys-Malville (Isère), où était en construction le surgénérateur Superphénix.
Une petite vingtaine d’années plus tard, à partir de la fin des années 1990, la Confédération paysanne a lancé ses premiers commandos de destruction de champs d’OGM ou d’expérimentations en biotechnologies végétales. Et s’il est vrai que ces opérations de saccage ont fortement diminué depuis l’interdiction de cultiver des plantes transgéniques en France, elles n’ont jamais vraiment cessé.
Cependant, ce qui les différencie des actions actuelles, c’est certainement la question de l’acceptabilité sociétale de la violence comme moyen d’expression politique. En effet, selon une enquête réalisée en octobre 2021 par Harris Interactive pour le magazine Challenges, presque un tiers des Français estiment qu’il est compréhensible que certains aient recours à des actes violents contre une décision du gouvernement ou d’élus. Une opinion qui monte à 47% chez les 18-24 ans, et à 53% chez les sympathisants LFI. En clair, plus d’un militant mélenchoniste sur deux est complaisant au recours à la violence !
Symptomatique de cette tendance, l’influence grandissante du militant écologiste suédois Andreas Malm constitue désormais une référence incontournable au sein de la nébuleuse écologiste, comme en atteste sa présence dans le dernier documentaire de Cyril Dion, Un monde nouveau, diffusé sur Arte le 15 novembre 2022.
Andreas Malm et la thèse du « flanc radical »
En rupture avec l’écologie de José Bové, qui s’est toujours proclamé disciple de Gandhi, l’auteur de Comment saboter un pipeline (La Fabrique, 2020) affirme pour sa part que « les idéaux gandhiens de non-violence – souvent défendus comme des dogmes absolus, même s’ils sont cruellement incohérents – ne peuvent plus servir d’unique point de référence au mouvement ».
Le militant écologiste suédois défend la théorie du « flanc radical » : le militantisme « radical » permettrait aux militants « modérés » d’obtenir finalement gain de cause. Pour preuve, il cite volontiers l’exemple de Martin Luther King – le modéré – et Malcolm X – le radical. « Lorsque ce flanc radical est apparu, [les pouvoirs publics] ont dû admettre que s’ils ne faisaient pas de concessions à Martin Luther King, ils auraient un jour ou l’autre à traiter avec les groupes révolutionnaires », explique ainsi Malm.
Il s’inspire également des propos du penseur Frantz Fanon sur l’importance de l’émancipation pour affirmer « que certaines formes de violence peuvent avoir un potentiel émancipateur ». « À l’aune de l’avancée de la dégradation du climat aujourd’hui, c’est, je crois, particulièrement d’actualité. Le type de biens qui dévastent cette planète et tuent quotidiennement des subalternes – à savoir les machines qui déterrent et brûlent des combustibles fossiles – devraient être physiquement détruits », écrit-il.
Dans un texte intitulé « Théorie et pratique de la violence du carbone », Malm renverse à la faveur de la violence la question du droit moral, affirmant que « la vraie question, par conséquent, n’est pas de savoir si les gens ont le droit moral de détruire les biens qui font planer la mort sur le globe. Il s’agit de savoir pourquoi ils n’ont pas encore commencé ».
Certes, dans un entretien au magazine Exberliner, il fixe des limites à l’usage de cette violence en précisant qu’ « il faut – comme il se doit – éviter de faire du mal à quelqu’un ». « Je ne préconise pas – et je ne connais personne qui préconise – que les activistes climatiques prennent des armes. […] Comme l’utilisation de fusils et d’armes mortelles pour tuer des gens. Je pense que ce serait absolument désastreux pour le mouvement climatique si quelqu’un devait faire cela à ce moment de l’histoire », affirme-t-il, avant de laisser planer le doute sur ce que sera la situation dans cinquante ans : « Si tout s’enflamme et que la mort de masse se produit à une échelle totalement différente, certaines de ces choses pourraient changer. »
Vers l’écoterrorisme
Or, les limites fixées par Malm font déjà l’objet de discussions chez certains adeptes de la violence. Dans une chronique intitulée « Comment désobéir ? », publiée dans Le Monde du 7 novembre 2022, Stéphane Foucart cite « la question provocatrice posée en mars 2007 par John Lanchester dans la London Review of Books s’étonnant du pacifisme des militants environnementalistes ». « “ll est étrange et frappant que les activistes du climat n’aient commis aucun acte de terrorisme’’, écrivait le journaliste et écrivain britannique. Après tout, le terrorisme est de loin la forme d’action politique individuelle la plus efficace du monde moderne, et le changement climatique est un sujet qui tient à cœur des gens », poursuit-il.
Dans ce contexte, on ne peut que s’inquiéter de voir l’humoriste Audrey Vernon, sympathisante active de la nébuleuse écologiste, banaliser l’écoterroriste américain Theodore Kaczynski, aujourd’hui octogénaire, en faisant la lecture d’un de ses ouvrages sur sa chaîne YouTube. Plus connu sous le nom d’Unabomber, Theodore Kaczynski a en effet assassiné trois personnes et en a blessé vingt-trois autres en leur adressant des colis piégés de manière artisanale, au prétexte qu’elles construisaient ou défendaient la « société technologique ». L’une de ses cibles, en 1994, fut un publicitaire, dont il justifia l’assassinat en arguant que la victime développait des techniques permettant la manipulation des gens.
L’analyse de l’époque contemporaine ainsi que trois des principaux postulats de Kaczynski – le progrès technologique nous conduit à un désastre inéluctable ; seul l’effondrement de la civilisation moderne peut empêcher le désastre ; l’impérieuse nécessité d’avoir un mouvement révolutionnaire, voué à l’éradication de la société technologique – sont aujourd’hui largement partagés dans la mouvance écologiste.
À cela s’ajoute une sémantique « révolutionnaire », avec des militants qui s’érigent en « résistants » luttant contre des entreprises « criminelles » et « écocidaires », et dont les actes hors-la-loi violents sont justifiés au nom de la cause défendue, qui promet ni plus ni moins que de « sauver la planète » ou de « sauver l’humanité ». Car, et c’est là certainement le point le plus inquiétant, l’écoterrorisme se nourrit toujours d’une forme d’angoisse ou de désespoir liée à une menace imminente et irréversible. Dans les années 1970-1980, il s’agissait de l’apocalypse nucléaire. Dans les années 1990-2000, c’était l’apocalypse génétique, tandis qu’aujourd’hui c’est l’apocalypse climatique qui est inlassablement invoquée pour justifier les actions de sabotage, dont la dernière en date a été menée le 10 décembre 2022 par quelque 200 militants contre l’usine Lafarge de la Malle à Bouc-Bel-Air, dans les Bouches-du-Rhône, une attaque non revendiquée attribuée par la police au collectif des Soulèvements de la Terre (SLT).
Les Soulèvements de la Terre
Peu connu du grand public, ce collectif est né au début 2021 d’une réunion d’une centaine de militants écologistes à Notre-Dame-des-Landes.
Sans structure légale, il est adossé à l’Association pour la Défense des Terres, dont l’objectif consiste à récolter des fonds pour financer des actions. Le 24 janvier 2021, un appel a été lancé par les SLT pour « défendre le monde vivant grâce à une agroécologie paysanne et solidaire, à la protection des milieux de vie et à une foresterie respectueuse », par « trois gestes » : d’abord, « enclencher le frein d’urgence, à concentrer nos forces pour cibler, bloquer et démanteler trois des industries toxiques qui dévorent la terre : celles du béton, des pesticides et des engrais de synthèse » ; ensuite, « remettre la terre entre nos mains et l’arracher des griffes des accapareurs » ; enfin, « s’introduire en masse […] dans les diverses institutions et lieux de pouvoir où se décide sans nous le de- venir de la Terre. Nous ne pouvons laisser plus longtemps ce pouvoir entre les mains de la FNSEA et de l’agro-industrie, des aménageurs et des bétonneurs ».
La question agricole est donc au cœur des préoccupations des SLT ( Soulèvement de la Terre ) ! Ce qui est somme toute logique, au regard des habituelles associations écologistes et altermondialistes qui soutiennent le collectif, et de la présence de la Confédération paysanne dès le « 1er acte » de la « Saison1 », sur un projet d’écoquartier qui aurait constitué une menace pour une quarantaine d’hectares à proximité de Besançon. Depuis lors, les actions se sont multipliées, dont certaines spectaculaires, comme celles menées contre les « mégabassines », aux côtés de l’association Bassines Non Merci, membre des SLT, et toujours avec la Confédération paysanne au premier rang.
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Ainsi, le 22 septembre 2021 à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), 600 militants sont intervenus pour bloquer le chantier d’une future réserve d’eau, et le 6 novembre 2021, entre 1 500 et 2 000 activistes étaient à nouveau présents sur les lieux. « Nous voulons porter des gestes de blocage, de désarmement de ces armes de destruction du vivant que sont les bassines », confiait alors à Reporterre Dimitri, membre des SLT et coorganisateur de la mobilisation.
Le 29 octobre 2022, nouvelle démonstration de force, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) cette fois, où pas moins de 4000 activistes se sont déchaînés contre un chantier de retenue d’eau. La violence de leur action fut telle que les forces de l’ordre ont déploré 61 gendarmes blessés, dont 22 sérieusement. Cette action, illégale car interdite par la préfecture, a reçu le soutien de personnalités politiques, comme les eurodéputés Europe Écologie-Les Verts Marie Toussaint (devenue depuis lors la patronne du parti écologiste), Yannick Jadot et Benoît Biteau, le député La France insoumise Loïc Prud’homme, ou encore le responsable du Parti communiste des Deux-Sèvres, Frédéric Giraud. Cette caution apportée par des élus de la République à une opération violente et interdite témoigne d’une dérive certaine dans la nébuleuse de l’écologie politique, entraînée vers une radicalisation extrême.
Enfin, ce tour d’horizon ne serait pas complet sans la mention de l’« Acte 4 » de la « Saison 2 », qui s’est déroulé les 4 et 5 mars 2022, avec pour objectif « d’assiéger Bayer- Monsanto » à Lyon. L’appel a le mérite d’être clair sur les intentions des militants : « Ceci est un ultimatum. Le siège social France de Bayer-Monsanto, installé à Lyon, doit partir. Nous leur laissons trois mois pour faire leurs cartons et déguerpir de leur tour de verre, et d’ici là nous saurons le leur rappeler. »
Pour ces militants, « l’industrie de la chimie est la pièce maîtresse du complexe agro-industriel […] Désormais, notre subsistance alimentaire dépend d’une industrie biocidaire qui ravage tout sur son passage ».
Rien n’arrêtera cette nouvelle violence écologique, si profondément ancrée dans le paysage politique actuel, à moins que la République n’emploie les moyens nécessaires – notamment judiciaires – pour stopper cette dangereuse dérive.