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OGM : le conseil d’État recalé par la CJUE

Après huit années de procédure, la cour de justice de l’Union européenne a finalement rendu son arrêt mettant en difficulté le Conseil d’État

Par leur arrêt rendu le 7 février 2023, les magistrats de la Cour de justice de l’Union européenne ( CJUE ) ont rappelé que les variétés obtenues par les techniques de mutagénèse aléatoire in vivo comme in vitro – qui sont des OGM selon la législation européenne – doivent être exclues de la réglementation qui encadre la culture des plantes génétiquement modifiées dans l’UE.

Cet arrêt récuse définitivement l’interprêtation erronée que le Conseil d’État avait faite d’un précédent arrêt de la CJUE, daté de juillet 2018, selon laquelle les organismes issus de mutagénèse aléatoire in vitro devaient être soumis aux obligations imposées aux OGM par la directive 2001/18. Dans les faits, ce nouvel arrêt ne fait que confirmer ce qui était déjà sous-entendu dans l’arrêt précédent. En effet, dans son arrêt de 2018, la CJUE n’évoquait pas le cas particulier de la mutagénèse aléatoire in vitro. Et cela pour une raison simple : elle n’estimait pas utile d’établir une distinction entre ces deux techniques.

Une erreur flagrante d’interprétation

En revanche, l’arrêt rendu en février 2023 pose un problème grave : comment expliquer que les magistrats de la plus haute juridiction nationale aient pu commettre une telle erreur d’interprétation ? Comment ont-ils été amenés à introduire une distinction entre mutagénèse aléatoire in vivo et mutagénèse aléatoire in vitro, alors que rien de tel ne figurait dans l’arrêt de 2018 de la CJUE ? Était-ce par manque de connaissances scientifiques ? Ou par une sorte de zèle écologiste qui les poussait à vouloir laver plus vert que vert ?

Dans les faits, ce nouvel arrêt ne fait que confirmer ce qui était déjà sous-entendu dans l’arrêt précédent

La réponse est bien affligeante : les magistrats ont tout simplement été dupés par les arguments de Guillaume Tumerelle, l’avocat de la Confédération paysanne et des associations écologistes requérantes.

Dès janvier 2017, dans une tribune publiée sur le site Euractiv, la Conf’ avait en effet donné le ton en affirmant vouloir « faire reconnaître que les plantes issues de la mutagénèse in vitro et brevetées sont des OGM qui doivent entrer dans le champ d’application de la réglementation 2001/18 ».

Et c’est précisément ce qu’a fait le Conseil d’État, suivant à la lettre l’argument principal qui figurait dans un mémoire déposé en janvier 2017 par maître Tumerelle à la CJUE. L’avocat y expliquait qu’« à cette époque [de l’adoption de la directive 2001/18], les variétés de plantes disponibles sur le marché européen et obtenues par “mutagénèse” étaient toutes issues de mutagénèse aléatoire pratiquée in vivo ». Et de conclure : « Seule cette technique de mutagénèse in vivo était alors “traditionnellement” utilisée pour diverses applications en culture agricole. La mutagénèse pratiquée in vitro, à l’échelon cellulaire ou microbiologique, était l’objet de travaux de recherche ou d’expérimentations, mais n’était pas utilisée en routine pour produire des semences commerciales. »

Or, comment le Conseil d’État justifiera-t-il sa position ? Précisément en invoquant pour motif que « les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro […] sont apparues postérieurement à la date d’adoption de la directive 2001/18/CE ou se sont principalement développées depuis cette date ». C’est donc bel et bien la thèse des associations requérantes que les magistrats français ont imprudemment reprise.

Une question déjà abordée

Imprudemment, car cette question avait été abordée dans des contributions remises également en janvier 2017 à la CJUE par certains États membres et par la Commission européenne. Ainsi, la note de la Commission clarifiait la question de l’antériorité des techniques in vitro : « Il convient de préciser que, contrairement à ce qui est indiqué dans l’ordonnance de renvoi, la mutagénèse in vitro est antérieure à l’adoption de la directive 2001/18/CE. » Et sa conclusion était sans appel : « Dès lors, bien que l’application de ces techniques sur des cellules in vitro soit plus récente que leur application in vivo sur les plantes elles-mêmes, la Commission considère que les organismes produits par ces méthodes sont tout à fait couverts par l’exemption. » L’avocat général avait, pour sa part, aussi souligné qu’« en ce qui concerne la mutagénèse conventionnelle, aucun problème particulier n’a été rapporté depuis que cette technique a été utilisée pour la première fois, dans les années 60 ». Selon lui, « il n’y a pas de réelle différence entre les mutagénèses in vitro et in vivo ».

Le Conseil d’État a choisi de s’aligner sur la position des anti-OGM, prenant ainsi un sérieux risque de voir sa décision retoquée

S’ils avaient été quelque peu pers- picaces, les magistrats du Conseil d’État auraient pu déduire que, dans la mesure où la CJUE ne mentionne aucune distinction entre in vitro et in vivo, c’est bien le signe qu’elle récuse les arguments de la Conf’ et des autres associations anti-OGM, et que, sur ce point, elle partage l’avis de la Commission et de l’avocat général.
Le Conseil d’État a pourtant choisi de s’aligner sur la position des anti- OGM, prenant ainsi un sérieux risque de voir sa décision retoquée. C’est ce qui explique certainement pourquoi il a commis une autre erreur, à savoir de ne pas ressaisir la CJUE pour cla- rifier cette question précise.

L’intervention de la FOP rebat les cartes

Cette erreur a conduit la Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux (FOP) à déposer en juin 2021 un recours auprès du Conseil d’État, lui rappelant son obligation de se prononcer dans la mesure où cette distinction in vivo/ in vitro concerne de facto l’ensemble des pays de l’UE. Le 8 novembre 2021, le Conseil d’État s’est donc exécuté et a, une nouvelle fois, saisi la CJUE afin de clarifier sa position concernant la mutagénèse in vitro. L’implacable – mais prévisible – sentence est donc tombée le 7 février 2023 : la CJUE a tout naturellement recalé le Conseil d’État. Dans son arrêt, la Cour ne revient pas sur la question de l’antériorité de la mutagénèse in vitro. Plus précise, elle explique que « le législateur de l’Union n’a pas estimé que les modifications génétiques inhérentes aux cultures in vitro […] justifiaient que les organismes touchés par de telles modifications constituaient nécessairement des “OGM” soumis aux procédures d’évaluation des risques visées par la directive 2001/18 ».

Autrement dit, la culture in vitro n’est pas considérée comme un critère pour soumettre un organisme aux contraintes de la directive OGM. Pour preuve, la CJUE relève que « d’autres techniques ne sont pas soumises au régime de surveillance des OGM prévu par la directive 2001/18 alors même qu’elles impliquent ou peuvent impliquer le recours à des cultures in vitro ». Elle mentionne notamment l’exemple des plantes OGM issues de fusion cellulaire, lesquelles sont bien exemptées de la réglementation OGM alors que cette technique est nécessairement appliquée in vitro sur des cellules isolées. Rien de surprenant dans ces propos, qui, comme le souligne un communiqué de l’Union française des semenciers, sont « conformes à vingt ans d’interprétation de la réglementation par l’en- semble des États membres de l’Union européenne ». Il n’y avait en somme que la petite clique de militants anti-OGM s’agitant autour de Guy Kastler et de maître Guillaume Tumerelle pour penser différemment…

En faits, les seules variétés d’OGM qui seraient «cachés» aux consommateurs sont les OGM non réglementés utilisés en AB

Ce camouflet pourrait d’ailleurs coûter fort cher aux Faucheurs Volontaires d’OGM, qui avaient grand besoin de cette distinction pour légitimer auprès des juges leurs multiples destructions de parcelles de colza et de tournesol VRTH. En effet, le seul argument qu’ils étaient en mesure de présenter était précisément d’affirmer que ces cultures étaient illégales, car issues de la mutagénèse aléatoire in vitro. L’arrêt de février 2023 de la CJUE met par conséquent un point final à ce discours pathétique sur les fameux « OGM cachés ». Toutes les parcelles de variétés détruites par les Faucheurs étaient bel et bien cultivées dans le strict respect de la réglementation.

En fait, les seules variétés d’OGM qui seraient « cachés » aux consommateurs sont les OGM non réglementés utilisés en agriculture biologique. À savoir toutes ces variétés issues de la mutagénèse aléatoire in vivo et de la fusion cellulaire, à la base de denrées alimentaires estampillées de façon trompeuse… « sans OGM ».

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