Mise en cause suite à sa proposition d’interdiction d’un herbicide, l’Anses se retrouve accusée par le monde agricole de favoriser une concurrence déloyale. Analyse d’un dysfonctionnement structurel de l’agence française
L’interdiction programmée du S-métolachlore, herbicide mis en cause en raison de la non-conformité de sa présence dans les eaux, a mis en évidence un dysfonctionnement structurel de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), dont la mission consiste à la fois à réaliser une évaluation des risques et à délivrer ou non des autorisations de mise sur le marché (AMM) aux formulations disponibles pour les agriculteurs.
Un projet d’interdiction totalement assumé
Dans un entretien accordé à Agrapresse, son nouveau directeur, Benoît Vallet, justifie cette décision : « Nous suivons avant tout la réglementation européenne, et sur le S-métolachlore, le règlement sur les eaux souterraines ne laisse pas de marges en cas de présence au-delà des limites autorisées. »
Selon lui, si le ministre avait été en charge du dossier, il n’aurait pas eu d’autre choix que de proposer lui-même cette interdiction. En théorie, il n’a pas tort. Or, dans la pratique, cette rigidité administrative peut avoir des conséquences dramatiques sur certaines productions agricoles nécessitant justement un arbitrage, parfois audacieux, qui ne peut être assumé que par un élu de la nation, et non par un fonctionnaire d’État. Dans une nation démocratique, c’est en effet aux élus que revient la tâche difficile de mettre en balance la réalité des risques encourus avec l’ensemble des bénéfices qu’une autorisation apporte. L’Union européenne ne déroge pas à cette règle, avec l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments) qui réalise l’évaluation, la Commission qui propose un avis et les États membres en charge de la décision finale.
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S’agissant des produits phyto-sanitaires, ce fut d’ailleurs le cas en France jusqu’en juillet 2015, date à laquelle Philippe Mauguin, à l’époque directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, obtint que cette compétence soit transférée à l’Anses. Même si l’argument alors mis en avant était de vouloir « rationaliser le dispositif de délivrance des AMM », il est de notoriété publique qu’il s’agissait surtout de mettre le ministre à l’abri de toutes poursuites judiciaires consécutives aux potentiels recours déposés devant la justice par certaines ONG. Le spectre de l’affaire du sang contaminé et celui, plus récent, du chlordécone hantent encore tous les esprits de la rue de Varenne…
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Une agence sous pression
Or, l’Agence se trouve soumise à une très forte pression. Notamment depuis qu’elle a dû se défendre devant les tribunaux pour des litiges concernant certaines AMM qu’elle a accordées. Comme, par exemple, le 15 janvier 2019, lorsque le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision de mise sur le marché du Roundup Pro 360, un jugement que l’Agence a formellement critiqué, contestant « toute erreur d’appréciation dans l’application de la réglementation nationale et européenne ». Ou encore en décembre de la même année, quand le tribunal administratif de Nice a jugé également illégales les AMM des insecticides Transform et Closer à base de sulfoxaflor, alors que cette substance active était homologuée par la Commission européenne.
Cette dérive de la justice, à prétendre mieux connaître le processus complexe d’une évaluation scientifique que les 1 400 experts travaillant pour l’Agence, explique certainement pourquoi le nouveau directeur de l’Anses s’impose une prudence excessive, et éclaire par conséquent sa décision d’interdire le S-métolachlore, due en définitive à des raisons purement réglementaires. Nul doute que, désormais, seront de rigueur parapluie et imperméable, quitte à mettre en difficulté des pans entiers de notre agriculture.
À cette pression juridique vient en effet s’ajouter la pression permanente de la nébuleuse écologiste, qui n’hésite pas à mettre en cause la crédibilité de l’Agence. « Au cours des dernières années, les expertises produites par l’Anses (et dans certains cas les experts y ayant contribué) ont été contestées, voire violemment attaquées, directement ou par médias interposés », déplore un rapport récent du Conseil scientifique de l’Agence, en précisant que, dans certains dossiers – comme celui des SDHI –, il a été impossible d’avoir un débat serein, en raison de « pressions répétées, parfois à la limite du tolérable ».
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Le traitement médiatique du cas du glyphosate opéré par Le Monde, remettant systématiquement en cause l’avis de l’Anses, a aussi largement contribué à semer des doutes sur le sérieux de l’évaluation de l’Agence. Benoît Vallet a beau répéter qu’« une agence critiquée ou faisant l’objet de contentieux n’est pas forcément une mauvaise agence », il n’en demeure pas moins que cela place l’Agence dans une position extrêmement sensible, son directeur étant pénalement responsable des décisions d’autorisation. Aussi, la prudence qui l’anime est-elle parfaitement compréhensible.
L’élément manquant
Comment donc sortir de cette situation et assurer davantage de quiétude aux processus d’homologation des produits qui, par définition, comportent des facteurs de risques ?
Deux décisions s’imposent. Premièrement, redonner la compétence d’autorisation au ministère de l’Agriculture pour laisser l’Anses réaliser son expertise en toute sérénité. Étant entendu que la responsabilité pénale du ministre doit être correctement encadrée par la Cour de justice de la République afin que celui-ci dispose d’une protection juridique suffisante, tout en évitant toutes dérives, dès lors que ces décisions concernent l’intérêt général et sont prises dans le cadre de son mandat de ministre.
Deuxièmement, et afin de permettre au ministre d’établir sa décision sur des bases pertinentes, il est indispensable que l’évaluation des risques, fournie par l’Anses, soit accompagnée d’une évaluation aussi robuste des bénéfices. Or, dans les faits, on constate que cette dernière n’est pas réalisée, puisqu’elle ne relève pas explicitement du champ d’action de l’Anses. C’est pourquoi il est indispensable de rééquilibrer le travail d’expertise par la création d’une nouvelle agence – complémentaire à l’Anses – dont la mission serait exclusivement d’éclairer le législateur sur les bénéfices d’un produit sous ses aspects économiques, environnementaux, sociétaux et sanitaires. Laquelle agence pourrait bien entendu être consultée sur d’autres sujets de controverses qui agitent la société.
Riche de ces deux avis complémentaires, l’un sur les risques et l’autre sur les bénéfices, et à l’abri de poursuites pénales abusives, le ministre retrouverait alors toute sa force de décision. En outre, cela permettrait à la nation de s’affranchir des continuels recours abusifs au principe de précaution, ce principe instrumentalisé par la sphère écologiste pour bloquer tout progrès scientifique.