Selon un article paru le 3 mai dans Le Monde, le Sénat aurait épinglé le « lobby des pesticides », accusé de « chantage à l’emploi mensonger »
Saisi par le sénateur écologiste Joël Labbé à la suite d’un article publié sur le média Le Poulpe, le comité de déontologie du Sénat a conclu que Phyteis (ex-UIPP) aurait « manqué de prudence dans ses contacts avec les sénateurs » dans le cadre de son lobbying.
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L’affaire remonte à l’examen de la loi Egalim du 30 octobre 2018, dont l’article 83 prévoyait d’interdire la production, le stockage et la circulation de produits phytosanitaires à base de molécules interdites dans l’Union européenne et destinées à être exportées dans le reste du monde. Si l’objectif de cette loi semble a priori relever du bon sens, une analyse plus approfondie montre que c’est loin d’être le cas. Bien au contraire, cet article de loi démontre une fois encore l’incompétence d’une partie de nos élus – et en particulier de la nébuleuse écologiste – dès lors qu’il s’agit des bases élémentaires du fonctionnement de l’économie.
La riposte des entreprises
« L’impact économique et social en France de cette mesure sera extrêmement important », avait alors alerté Phyteis (à l’époque UIPP). En effet, les sites de fabrication étant communs pour les produits autorisés en France et pour ceux interdits, la loi en question les priverait donc d’une partie considérable de leurs activités. Pour le syndicat des fabricants de pesticides, pas moins de 2 700 emplois auraient été ainsi « menacés de délocalisation ». Un chiffre qui correspond à la « quasi-totalité des emplois permanents des sites de production situés en France », concède Emmanuelle Pabolletta, la directrice de Phyteis, qui rappelle également qu’à l’époque « jusqu’à deux tiers du volume de production » étaient concernés par le projet de loi. Or, il n’est pas nécessaire d’avoir fait une grande école de commerce pour comprendre que la perte d’une partie essentielle des capacités de fabrication mettait en cause la rentabilité de l’ensemble des sites et, en conséquence, ouvrait la voie à la fermeture et à la délocalisation de toute l’activité. Et la délocalisation totale de cette filière semblait d’autant plus probable que les principales entreprises visées sont des multinationales sans attache particulière en France.
Dans un premier temps, l’interdiction a donc bel et bien été écartée, le Sénat comme le gouvernement ayant été réceptifs aux arguments avancés par Phyteis. Elle est néanmoins entrée en vigueur en janvier 2022, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel. Or, un an et demi plus tard, on ne déplore aucune perte d’emploi. Une excellente nouvelle, qui apparaît cependant aux yeux de la nébuleuse écologiste comme la preuve irréfutable d’un mensonge.
Des emplois de plus en plus précaires
Mais ce laps de temps d’un an et demi est-il suffisant pour conclure que la menace brandie par Phyteis est caduque ? Rien n’est moins certain, car le maintien actuel de cette production hexagonale semble très fragile.
Certes, un décret d’application a modéré l’interdiction en prévoyant dans certains cas des délais, participant ainsi à ralentir les pertes de production. À cela s’ajoute le fait que les entreprises disposant d’usines dans plusieurs pays ont procédé à des substitutions de production. Ainsi, les sites de Syngenta basés en Allemagne produisent désormais les formulations à base d’atrazine exportées vers le reste du monde, tandis que ses sites français ont repris la production d’une petite vingtaine d’autres formulations qui n’entrent pas dans le périmètre de l’article 83. Bref, dans un premier temps, tout a été mis en œuvre pour sauver les emplois. Cependant, ces substitutions ne pourront remplacer l’interdiction programmée de toutes les formulations qui disposent toujours d’une AMM et qui peuvent encore être fabriquées en France. Or, le gouvernement ayant identifié plus de 200 substances qui expireront d’ici la fin 2023, et dont un nombre encore incertain ne pourra plus être produit en France, les conséquences réelles de l’article 83 ne se sont pas encore fait sentir.
En revanche, ce qui est certain, c’est que cette loi n’a en rien diminué la circulation mondiale des pesticides interdits en France, puisqu’ils sont produits ailleurs. Elle a, par contre, adressé un très fâcheux signal à ces mêmes multi-nationales qui, pour comble de l’absurde, sont sollicitées pour « réindustrialiser » la France.