AccueilPesticidesÉcophyto : un rapport d’évaluation resté dans les tiroirs

Écophyto : un rapport d’évaluation resté dans les tiroirs

Un rapport terminé en mars 2021, qui vient d’être rendu public par le ministère de l’Agriculture, démontrait déjà l’impossibilité d’atteindre les objectifs initiaux d’une réduction de 50 % de l’usage des produits phytosanitaires 

Alors que la Première ministre Élisabeth Borne envisage de confier le suivi de sa nouvelle mouture du plan Écophyto au Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) – piloté vraisemblablement par Patricia Blanc  –, le ministère de l’Agriculture a discrètement rendu public, le 4  juillet dernier, un rapport d’évaluation des actions financières du programme Écophyto, resté dans les tiroirs des bureaux de la rue de Varenne depuis mars 2021. Or, parmi les recommandations de ce rapport de mission interministérielle, figure justement la proposition d’une « gouvernance interministérielle resserrée du plan Écophyto, coordonnée par le délégué interministériel ». 

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Des objectifs irréalistes

« La mise en œuvre opérationnelle du programme annuel [d’Écophyto] est fragilisée par l’absence d’un véritable “chef de projet” », déplorent ainsi les auteurs (Mireille Gravier-Bardet et Louis Hubert pour le CGEDD, Anne Dufour et Claude Ronceray pour le CGAAER, et Pierre Deprost pour l’IGF 1), qui constatent, dès 2021, que « douze ans après le premier plan, la France n’a pas atteint son objectif chiffré ». En clair, l’objectif d’atteindre une réduction de 50 % à l’échelle nationale n’est pas viable !

Pour preuve, les meilleurs élèves eux-mêmes, à savoir le réseau des fermes Dephy, en restent très éloignés, puisque leur Indice de fréquence de traitement (IFT) affiche à peine moins 14 % dans la filière grandes cultures-polyculture élevage, moins 17 % dans la filière viticulture et moins 25 % dans la filière arboriculture.

Cela n’étant pas vraiment une révélation, le rapport s’interroge tout naturellement sur la pertinence des principaux objectifs et actions du plan, « qui n’ont, jusqu’à présent, pas été évalués ni fait suffisamment la preuve de leur efficacité ». 

En préambule, ses auteurs rappellent que, « bien qu’aucun objectif de réduction de l’usage des PPP ne soit imposé par l’UE », la France s’est engagée à réduire de moitié leur utilisation. Ce qui n’est le cas d’aucun autre pays de l’UE, à l’exception du Luxembourg. « Contrairement aux autres pays européens qui visent la réduction des risques, la France considère que la réduction globale est “le moyen le plus efficace pour réduire l’exposition de la population et de l’environnement face à ces produits dangereux” […] pour les remplacer par des méthodes alternatives dont les résultats sont plus aléatoires », note le rapport. Et de poursuivre : « Sur les 15 plans nationaux communiqués à la Commission au 31 mars 2019,13 pays se concentrent sur la réduction des risques, tandis que la France et le Luxembourg se concentrent sur la réduction globale de la consommation comme moyen de réduire les risques. »

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Les auteurs constatent que, en fixant des objectifs de réduction irréalistes, la France a fait encore une fois cavalier seul… Ce qui est d’autant plus regrettable que cette course au « moins phyto » s’est accompagnée d’une « diabolisation globale des PPP résultant de la communication générale sur le plan Écophyto ».

Les auteurs constatent que, en fixant des objectifs irréalistes, la France a fait encore une fois cavalier seul

Les auteurs du rapport observent que celle-ci, « largement centrée sur les pratiques agricoles, a contribué à dégrader l’image de l’ensemble de la profession agricole, et à mettre également les agriculteurs au cœur d’attentes paradoxales, “avec une demande explicite de produits non traités, et une exigence implicite de fruits d’apparence irréprochable et bon marché dans les rayons des magasins” ».

Un problème d’indicateur

Avant même d’envisager plusieurs scénarios, la première recommandation raisonnable serait donc de prendre acte que ces objectifs de réduction, décidés arbitrairement sous la pression de la nébuleuse écologiste, sont inatteignables, irréalistes et pénalisent le monde agricole. D’autant qu’aucun indicateur pertinent n’a été mis en place. Tel est le deuxième constat du rapport. Le premier indicateur, le QSA (quantité de substances actives) comporte des biais parfaitement identifiés, puisque le remplacement de substances actives moins pondéreuses entraîne une baisse du QSA mais pas pour autant une baisse de la pression phytopharmaceutique. L’indicateur du nombre de doses unités (Nodu), indicateur principal du plan, est censé supprimer ce biais. Sauf qu’il comporte lui aussi des biais, comme l’explique Alessandra Kirsch, directrice des études d’Agriculture Stratégies :  « Avec l’évolution de la législation, le Nodu a tendance à baisser pour une pratique équivalente ayant comme conséquence qu’une même utilisation se traduit par une hausse de cet indicateur. » 

Exemple : un agriculteur soucieux de minimiser son usage d’un produit et qui va l’utiliser à 1 L pour une dose maximum à 4 L aura un Nodu de 0,25. Mais dès lors que la réglementation évolue et fixe la dose maximum de ce produit à 2 L, la même utilisation de 1 L entraînera un Nodu de 0,5, soit une augmentation théorique de 100 % alors que l’usage n’a pas changé ! Or, en ce qui concerne le glyphosate, en 2020, la dose annuelle maximale autorisée est passée de 2880 à 1080 g /an et /ha, soit une réduction de 60 % par rapport à la dose maximale précédente. Dans ce cas précis, un agriculteur qui aura légèrement diminué sa dose ne verra pas son Nodu baisser. 

« Les deux indicateurs, QSA et Nodu, mesurent les quantités de substances achetées et, indirectement, en mettant en relation ces quantités avec les surfaces agricoles, la pression d’usage des PPP, et non pas les risques associés à l’usage des PPP », admettent volontiers les rapporteurs. Or, l’un des problèmes majeurs du QSA ou du Nodu consiste dans le fait que c’est davantage la météo – et donc la pression des ravageurs – que l’agriculture qui conditionne l’usage des PPP : « Faute de pouvoir labourer du fait d’une pluviométrie importante en fin d’automne et au début du printemps, les exploitants ont un recours accru les années pluvieuses au désherbage chimique » avec un effet négatif sur les indicateurs. « La mission recommande donc de retravailler la question des indicateurs consolidés à l’échelle nationale pour en faire une boussole crédible du plan, et surtout de déterminer des objectifs moins agrégés, assortis d’indicateurs robustes, faciles à calculer, opérationnels. »

Les avantages économiques et sociaux des pesticides

Enfin, les auteurs reconnaissent que « dans beaucoup de cas, le choix du recours à la molécule chimique autorisée permet d’optimiser le temps passé et le coût, et donc assure une double performance économique et sociale ».

Autrement dit, les avantages économiques et sociaux de l’usage des pesticides constituent la principale raison de leur usage, « ce qui n’est pas assez pris en considération dans le plan ». « Cela a été rappelé : le recours aux PPP n’est pas une fin, mais un moyen pour protéger les cultures et les récoltes et donc sécuriser les rendements. Pour les exploitants confrontés à une menace, l’enjeu est d’agir au moindre coût et avec la meilleure performance », précisent les auteurs. En fin de compte, il ressort du rapport que ses auteurs estiment nécessaire une reformulation de l’objectif d’Écophyto visant plutôt à diminuer les risques : « La réduction des PPP est un moyen. Les finalités sont la protection des cultures, d’une part, la santé humaine et la biodiversité, d’autre part. Même si les évolutions sont lentes, l’amélioration de la santé humaine, de la qualité de l’eau ou de la biodiversité peut être mesurée. Certes, il sera plus difficile d’établir la responsabilité des activités agricoles et a fortiori des PPP dans ces évolutions. Mais 13 pays sur les 15 ayant produit un plan du type Écophyto ont choisi un indicateur d’évolution des risques. »

Le Danemark a radicalement modifié sa façon d’évaluer l’utilisation des pesticides, en remplaçant l’indicateur basé sur les quantités utilisées par le « Pesticide Load », afin d’évaluer la réduction des risques et de l’impact des pesticides

C’est le cas, notamment, du Danemark, qui a radicalement modifié sa façon d’évaluer l’utilisation des pesticides. Ce pays a en effet remplacé l’indicateur basé sur les quantités utilisées qu’il avait adopté par le « Pesticide Load », lui-même basé sur « trois sous-indicateurs sur la santé humaine, l’écotoxicologie et le devenir environnemental », afin d’évaluer la réduction des risques et de l’impact des pesticides. Ce qui permet de réaliser que la suppression des molécules les plus à risque pour l’environnement et la santé du consommateur conduit tout naturellement les agriculteurs à utiliser des produits certes moins agressifs, mais également moins efficaces, et nécessitant par conséquent davantage de passages et des quantités épandues plus importantes.

On ne peut donc qu’espérer que le futur plan Écophyto 2030 tiendra compte de ces remarques pour, d’une part, modifier son objectif – diminution des risques et non des quantités   –, et d’autre part, mettre en place un indicateur pertinent. Faute de quoi, ce nouveau plan sera, comme les précédents, voué à l’échec.

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