Censée faire barrage aux fraudes sur les miels, la révision de la directive Miel en cours de débat risque de faillir dans son objectif, faute de mettre en place des mesures adéquates
« C’est la fin du faux miel ! », s’est réjouie l’eurodéputé Irène Tolleret (Groupe Renew Europe) sur les réseaux sociaux le 16 novembre dernier, après le vote unanime de la commission de l’agriculture et du développement rural (Comagri) au Parlement européen validant une modification de la directive 2001/110/CE au sujet des étiquettes des miels d’assemblage, c’est-à-dire constitué d’un mélange de plusieurs type de miel.
Jusqu’à présent l’Union européenne (UE) imposait à ces mélanges conditionnés en Europe uniquement trois mentions sur leurs origines, à savoir « miels originaires d’UE », « miels non originaires d’UE » et « miels originaires et non originaires de l’UE ». Plusieurs pays, dont la France, avaient cependant déjà adopté des lois plus strictes, avec obligation d’indiquer les pays d’origine. Ce qui a conduit à une concurrence déloyale au sein de l’UE, un état de fait qu’une harmonisation devrait enfin permettre d’abolir. Une première étape a donc été franchie par le vote de la Comagri, qui a acté l’obligation de faire apparaître sur l’étiquette une mention de tous les pays d’origine, « dans l’ordre décroissant et avec leurs pourcentages respectifs ».
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« L’indication de l’origine du miel est essentielle pour combattre les pratiques irrégulières », a confié à A&E Irène Tolleret, à l’origine, avec quarante-cinq autres députés européens issus de différents partis, de cette demande de révision, dont le texte peut encore être amendé lors des discussions en trilogue entre les représentants du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne.
« L’obligation de cette mention est une bonne mesure, pour laquelle nous nous battons depuis des années, car elle répond à une demande des amateurs de miel, attachés aux caractéristiques géographiques de ce bon produit », s’est félicité pour sa part Joël Schiro, apiculteur et président du Syndicat des producteurs de miel de France (SPMF). En revanche, il n’est pas convaincu de l’importance de mentionner les pourcentages – selon lui, l’ordre pondéral décroissant suffirait, les pourcentages respectifs étant de toute manière scientifiquement incontrôlables –, et doute que cela fasse réellement barrage aux fraudeurs. « Certes, la mention “Chine” ou “Turquie” ne va pas rassurer l’amateur averti sur la qualité de ce miel, ce qui est une bonne chose », admet avec une pointe de malice l’apiculteur.
Un produit hautement sujet aux fraudes
Pourtant, le sujet de la fraude demeure l’un des problèmes cruciaux qu’affronte la filière. D’autant plus que le miel reste, aujourd’hui encore, avec l’huile d’olive et le vin, l’un des produits alimentaires les plus frelatés au monde, dont l’Europe est le deuxième importateur mondial, juste derrière les États-Unis. « Une étude réalisée par la Commission européenne, rendue publique en 2023, indique que 46 % des 320 échantillons de miel importé dans l’Union européenne dérogeraient aux règles de la directive », rappelle Joël Schiro, précisant qu’il peut autant s’agir d’ajouts de sucres industriels que, plus simplement, d’une fausse mention d’origine ou de qualité sur l’étiquette. « Quelques grands pays exportateurs en ont fait une quasi-industrie », déplore le président du SPMF. C’est en effet le cas de la Chine, dont 71 % des miels analysés par l’enquête ont été jugés suspects, tout comme de la Turquie avec la quasi-totalité des miels importés considérée comme non conforme.
« Si le risque pour la santé humaine est faible, de telles pratiques trompent les consommateurs et défavorisent les producteurs honnêtes face à la concurrence déloyale », note pour sa part l’Office européen de lutte antifraude.
La France également touchée
Et la France n’est pas épargnée, puisque sur une consommation annuelle de 45 000 tonnes, plus de 25 000 tonnes, soit plus de la moitié, proviennent d’importations, notamment d’Ukraine, d’Argentine et, justement, de Turquie et de Chine. « Le miel de France étant l’un des plus chers, la tentation de fraude en mélangeant ce miel avec d’autres origines moins chères, ou en l’adultérant, se développe chez des personnes malintentionnées », a indiqué à A&E Marie Lecal-Michaud, directrice générale de Famille Michaud Apiculteurs, le leader français du miel qui a, comme d’autres conditionneurs, investi dans des systèmes d’analyse via la technologie RMN (résonance magnétique nucléaire), afin de garantir la conformité des miels importés qu’il met sur le marché. « Nous sommes en mesure de produire une carte d’identité complète de nos miels, avec leur origine florale, géographique et l’absence de contaminants ou d’adultération », précise Marie Lecal-Michaud.
L’oubli des analyses obligatoires
Si le monde du conditionnement du miel a fini par se ranger du côté des partisans de l’étiquetage, estimant qu’une harmonisation sur l’indication des pays d’origine était indispensable – notamment pour des raisons de concurrence déloyale –, ils sont cependant rares à penser, dans la profession, que cela permettra d’éliminer les fraudes. « Ce n’est certainement pas en posant une étiquette sur un pot de miel qu’on va éliminer les fraudes et les non-conformités, ni avec le système de traçabilité proposé », martèle encore la dirigeante de l’entreprise béarnaise, qui poursuit : « Les seules armes efficaces pour garantir la qualité du miel et lutter contre les fraudes restent les analyses systématiques des miels mis sur le marché avec ensuite, des contrôles efficaces et réguliers. »
Même discours de la part d’Ingrid Kragl, la directrice générale de l’association Foodwatch, qui affirme qu’une amélioration de l’étiquetage ne suffira pas à enrayer les fraudes : « Il faut allouer des moyens publics à la hauteur des enjeux de la fraude avec un besoin d’harmonisation des tests. » D’autant que la fraude peut rapporter gros pour une prise de risque faible : « En moyenne, un miel importé en Europe coûte 2,17 euros par kilo alors que les sirops de sucre fabriqués à partir de riz coûtent entre 0,40 et 0,60 euro au kilo », note ainsi Ingrid Kragl.
Pour sa part, Joël Schiro estime que « le moyen le plus simple pour savoir s’il y a une fraude ou pas, c’est en effet de regarder son prix d’achat ». « Il est notoire que les exportateurs chinois demandent à leurs acheteurs s’ils veulent un prix de miel avec ou sans analyse RMN, et le prix varie du simple au double », poursuit le président du SPMF.
Reste à savoir si, en France, tout ce battage médiatique autour de la fraude – certes nécessaire – ne va pas plutôt nuire à l’image de la profession, en donnant l’impression d’une filière peu fiable, alors qu’elle a déjà des ventes en chute libre, avec des stocks considérables de miel français invendus. « Contrairement à la Grande-Bretagne, ou la Pologne, des pays comme la France et l’Allemagne ont une tradition concernant la culture du miel qui rend, en réalité, les fraudes compliquées. Il ne faudrait pas que le consommateur se trompe », relativise Joël Schiro. Les nécessaires garde-fous ont ainsi déjà été mis en place par les principaux conditionneurs qui, compte tenu des risques encourus avec la grande distribution, qui serait impitoyable si une association de consommateurs mettait au jour une supercherie, se montrent très précautionneux. « Depuis ces vingt dernières années, il n’y a eu aucun cas signalé d’adultération sur des pots de miels de la grande distribution », précise Joël Schiro.
En revanche, on peut s’interroger sur le marché de la vente directe. L’enquête réalisée en 2017 par la DGCCRF sur une sélection de 317 établissements (123 apiculteurs, 116 commerces, 24 transformateurs et 19 sites Internet ou de vente à distance) a révélé une non-conformité des miels de 43% ! Comme l’indique l’enquête, « les fraudes les plus importantes concernaient les circuits courts », avec principalement des cas de miels importés d’Espagne, de Belgique ou d’Italie, et des faux miels chinois, revendus sous la mention « mis en pot par l’apiculteur, producteur miel de France ».
« En 2022, 27 % des miels conventionnels et 85% des miels bio qui nous ont été proposés n’étaient pas conformes, et ils se sont ensuite retrouvés commercialisés dans les circuits courts », révèle Marie Lecal-Michaud. D’où cette insistance marquée pour l’obligation systématique des analyses. Y compris parmi les apiculteurs. « C’est la seule mesure qui pourrait rassurer le consommateur et purger le marché du miel des fraudes » estime la patronne des miels Michaud, en déplorant que les parlementaires aient précisément écarté cette mesure de la révision de la directive.