Suite au décret du 28 novembre relatif à l’encadrement de l’utilisation de produits phytosanitaires, une instruction a été publiée le 12 décembre 2023 enjoignant aux préfets de préciser la mise en œuvre du décret
Alors que les principaux acteurs du monde agricole se sont réjouis du rejet prononcé par les eurodéputés, le 22 novembre dernier, du règlement sur l’usage durable des pesticides (SUR), se profile une nouvelle menace qui pourrait mettre en difficulté une partie de notre agriculture. Et cette fois-ci, il s’agit bien d’une initiative franco-française, en réponse à une injonction européenne.
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En effet, le 12 décembre, une instruction visant à préciser la mise en œuvre du décret du 28 novembre 2022 relatif à l’encadrement de l’utilisation des pesticides dans les sites Natura 2000 a été rendue publique. Il est ainsi demandé aux préfets d’examiner les mesures existantes, « pour faire en sorte que celles-ci soient au besoin complétées », « de façon à atteindre les objectifs de conservation ou de restauration des habitats naturels et des espèces, en préservant dans toute la mesure du possible la dynamique actuelle fondée sur une approche contractuelle conjuguant les activités agricoles et la protection des milieux ».
En clair, il revient aux préfets de prendre des mesures d’encadrement ou d’interdiction de l’usage des pesticides là où les contrats et les chartes Natura 2000 ne le font pas. Cette instruction s’inscrit dans la suite logique d’une décision du Conseil d’État en date du 15 novembre 2021, qui pointait l’insuffisance de l’encadrement des pesticides dans ces sites naturels, donnant lieu au fameux décret du 28 novembre 2022.
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Au départ, le Conseil d’État avait été saisi par France Nature Environnement (FNE), qui estimait que les dispositions réglementaires en vigueur ne restreignaient pas suffisamment l’utilisation des pesticides. Les sages du Palais Royal avaient donné raison à l’association, enjoignant aux ministres concernés de prendre les mesures adéquates « dans un délai de six mois ». Une belle victoire pour FNE, qui s’était alors félicitée par le biais d’un communiqué de presse : « Les pesticides dans les sites Natura 2000, c’est terminé ! »
Il a cependant fallu attendre encore plus d’un an, soit le 28 novembre 2022, pour que l’État se manifeste en publiant son décret d’application, qui, d’ailleurs, avait déjà alors suscité de nombreuses réactions, autant du côté des ONG que du côté des agriculteurs.
Estimant que ce décret n’offrait aucune garantie de réduction drastique de l’usage des pesticides dans les sites Natura 2000, FNE, accompagnée de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), a à nouveau saisi le Conseil d’État, tandis que l’Association nationale pommes poires (ANPP) avertissait les autorités que ce projet de décret portait « en son sein au moins deux injonctions paradoxales majeures », à savoir « la non-prise en compte de l’impact potentiel de telles mesures sur la productivité du verger français et par voie de conséquence sur la souveraineté alimentaire », et « le non-respect, évident dans les délais impartis, de la nécessaire concertation locale, élément fondateur de toute la démarche Natura 2000, puisque les décisions seront prises dans les 6 mois par la voie administrative ».
Le risque d’une baisse de productions
Car, pour la filière du verger français, cela représente près de 9 000 ha de vergers (soit 7,5% du verger national toutes espèces confondues) situés en zone Natura 2000, majoritairement dans les régions Paca, Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes.
Une restriction trop stricte de l’usage des produits phytosanitaires allait inévitablement engendrer une baisse de production, voire un arrêt total de production pour certains arboriculteurs, faute de compétitivité, prévenait l’ANPP. « Une étude de veille concurrentielle 2020 réalisée par France Agrimer pour la filière française de pommes démontre son déficit flagrant de compétitivité, avec notamment des exigences phytosanitaires nationales identifiées comme le facteur principal qui dégrade la compétitivité », rappelle le directeur de l’ANPP Pierre Venteau, qui craint qu’une lecture trop restrictive du décret, surtout sous la pression de certaines ONG, « ne ferait qu’aggraver encore plus une situation qui met déjà en danger une grande partie de nos vergers ».
Un comble au regard des beaux discours que tient le ministre de l’Agriculture sur la souveraineté et la sécurité alimentaires ! Rappelons en effet que, pour chaque hectare qui disparaît faute de pouvoir être correctement mis en production, ce sont en moyenne 35 tonnes de pommes qui ne seront pas produites…