Dans un rapport rendu public en décembre dernier, l’Anses met en cause quelques considérations scientifiques concernant la proposition de la Commission européenne sur les NGT
Dans un communiqué de presse publié le 12 janvier 2024, la Confédération paysanne enjoint au ministre de l’Agriculture de refuser le projet « inacceptable » de la Commission européenne sur les nouvelles techniques génomiques (NGT) au motif que l’Anses aurait, dans un rapport publié le 21 décembre 2023, « lancé un pavé dans la mare ».
Dans ce dernier rapport, d’une trentaine de pages, les experts du groupe de travail « Biotechnologie » contestent en effet la légitimité scientifique de la répartition en deux catégories pour les plantes issues de ces nouvelles techniques de modifications génétiques, d’après les critères retenus par la Commission européenne. Constituée de végétaux ayant subi moins de vingt modifications génétiques, la première catégorie (dite NGT-1) serait considérée comme équivalente aux végétaux conventionnels, tandis qu’a contrario, les plantes NGT de catégorie 2 resteraient soumises à la législation OGM, dans la limite de dispositions et dérogations spécifiques.
Une surprenante autosaisine de l’Anses
L’Anses s’est donc autosaisie le 6 novembre 2023 pour se demander « dans quelle mesure les plantes [NGT-1] peuvent-elles être effectivement considérées comme équivalentes à des plantes conventionnelles » et interroger le critère de vingt modifications choisi par la Commission.
Une démarche plutôt surprenante, puisque la réponse est un secret de polichinelle, comme en témoignent les propos du biologiste spécialisé dans les biotechnologies végétales Philippe Joudrier, réagissant à l’annonce de la Commission, en juillet 2023. « Ce seuil n’a aucune base scientifique car on peut parfaitement obtenir un caractère très particulier avec une seule mutation et rien avec 1 000 ! », avait alors précisé l’expert, auteur du livre OGM : pas de quoi avoir peur ! (Le Publieur, 2010), dans les colonnes d’A&E.
— Lire aussi :
NGT ou nouveaux OGM, faut-il s’en inquiéter ?
C’est donc sans la moindre surprise que l’on peut lire dans le rapport de l’Anses, d’une part que « la proposition d’un seuil maximal de modifications génétiques acceptables n’est pas scientifiquement fondée en termes de risques » puisque « le risque associé n’est pas directement proportionnel à un nombre de modifications », et d’autre part que « la proposition d’un seuil maximal pour la taille des insertions ou substitutions acceptées n’a pas de sens biologique », les conséquences fonctionnelles et les risques potentiellement associés à une insertion n’étant pas proportionnels à la longueur de sa séquence nucléotidique. Or, si l’on suit jusqu’au bout la logique de l’Anses, il faudrait réaliser une évaluation des risques pour toutes les nouvelles variétés, y compris celles issues de la sélection conventionnelle, puisque rien ne permet en effet d’affirmer qu’une simple modification, même obtenue par sélection conventionnelle, ne présente aucun risque ! Sauf que cela reviendrait à faire l’impasse sur l’expérience historique, qui a démontré que les risques supposés sont, dans les faits, inexistants. Risques qui sont néanmoins l’objet d’un fantasme collectif depuis que la nébuleuse écologiste s’est saisie de l’arrivée sur le marché de plantes issues de la transgenèse (insertion d’un gène d’une autre espèce) pour en faire un axe de combat contre l’agriculture.
C’est ce qui a d’ailleurs conduit le législateur européen à mettre en place la fameuse directive 2001/18, laquelle, dès son origine, excluait de sa réglementation toutes les techniques autres que la transgenèse, et notamment la mutagenèse (méthode qui consiste à exposer de l’ADN à un agent mutagène). Or, selon les travaux de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (l’Efsa), menés en 2021, il n’existe pas de risque supplémentaire associé à l’utilisation des techniques de réécriture génomique dites SDN-1, SDN-2 ou de mutagenèse dirigée à l’aide d’oligonucléotide par rapport aux techniques de sélection conventionnelles. Certes, les approches SDN-1 et SDN-2 peuvent induire des changements hors cible, comme le rappelle l’Anses, mais, selon l’Efsa, ceux-ci seraient « moins nombreux que ceux survenant avec les techniques de mutagenèse classiques, diminuant ainsi le risque d’altération ou d’interruption des gènes ». « La Commission a regardé combien de modifications pouvaient survenir avec les méthodes de sélection conventionnelles et a fixé la barre significativement au-dessous », précise Georges Freyssinet, président de l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV).
— Lire aussi :
NGT : un chemin encore parsemé d’obstacles
Ce dernier admet que la volonté d’imposer une phase d’évaluation de risques autre que celle déjà imposée par la législation sur les variétés issues de la sélection conventionnelle relève en réalité d’un choix politique, dépourvu de tout fondement scientifique et encore moins sanitaire.
Une nouvelle directive pour évaluer des risques fantasmés
En réalité, le rapport de l’Anses met en évidence toute la difficulté scientifique à vouloir mettre en place une législation spécifique pour ces types de techniques, alors qu’elles ne présentent ni plus ni moins de risques que les méthodes dites conventionnelles.
Ce constat est largement partagé par la communauté scientifique, comme vient encore tout récemment de le rappeler Urs Niggli, ancien directeur de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique suisse (FiBL) et actuel président fondateur de l’Institut pour l’agro-écologie en Suisse. « La communauté scientifique, dont je fais toujours partie, est claire : les techniques modernes de sélection ne sont pas plus risquées que n’importe quelle méthode de sélection classique. J’ai siégé dans des comités européens et suisses où les groupes environnementaux étaient également représentés. Ils n’ont pas été en mesure d’étayer de quelque manière que ce soit leur affirmation selon laquelle ces techniques sont dangereuses », a-t-il indiqué dans une interview accordée à Joost van Kasteren, journaliste scientifique pour l’association WePlanet, une alliance d’organisations environnementales nationales qui promeut « des solutions basées sur la science pour lutter contre le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité et la pauvreté ».
Si la Commission y reste attachée, c’est exclusivement pour des raisons politiques, puisqu’il s’agit de sortir l’Union européenne de l’impasse scientifique où l’a précipitée l’adoption de la directive 2001/18 sur les plantes transgéniques depuis l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de juillet 2018, qui statuait que les variétés issues des nouvelles techniques d’édition du génome étaient des OGM soumis aux contraintes de la fameuse directive. La Commission s’est donc mise au travail pour trouver un moyen d’exclure de cette directive toutes les nouvelles techniques, en leur conférant un cadre spécifique.
Or, comme l’a maintes fois expliqué A&E, la Commission aurait pu agir de façon bien plus simple. En rappelant qu’à l’époque de sa rédaction, il y a plus de vingt ans, il aurait suffi de préciser que cette directive concernait exclusivement les plantes issues de la transgenèse et non les plantes dites génétiquement modifiées, et le tour était joué. En optant pour une autre voie, la Commission se retrouve désormais aux prises avec un casse-tête chinois aux multiples implications.
Interrogé par Le Monde, Éric Meunier, délégué général d’Inf’OGM, reconnaît que si « la proposition de la Commission européenne n’a aucun fondement scientifique, le “politique” peut choisir d’adopter ces critères, mais il s’agirait alors d’un choix politique, non d’un choix basé sur des considérations scientifiques ». Une analyse d’autant plus pertinente que ce dossier a été dès ses débuts, et demeure aujourd’hui, de nature exclusivement politique.