Les impasses techniques provoquées par les interdictions de produits phytosanitaires entraînent des difficultés dans de nombreuses filières, menaçant même l’existence de certaines d’entres elles. C’est notamment le cas de la noisette
En tête de la longue liste des filières en danger, figurent les producteurs de noisettes. Quelque 350 producteurs sont concernés, pour un rendement d’environ 12 000 tonnes, soit à peine 1 % de la production mondiale, et à peu près le quart de la consommation domestique. Car l’essentiel du marché mondial de la noisette est détenu par la Turquie qui, à elle seule, représente 75 % de la production. Il n’est donc pas étonnant que 80 % des noisettes consommées en France proviennent de ce pays, les États-Unis et l’Italie en étant les deux autres principaux fournisseurs.
Or, malgré la protection de leur solide coquille, les noisettes sont menacées par deux ravageurs majeurs, à savoir la punaise diabolique et le balanin de la noisette, qui peuvent causer jusqu’à 30 % de perte quantitative pour la première et 80 % pour le second. « Depuis le retrait des néonicotinoïdes, nous constatons une incidence sur les rendements historiques en perte de 21 %, avec en plus des cas de dégâts par les piqûres de punaises en augmentation de 264 % », explique Thierry Descazeaux, président de la coopérative Unicoque. « Désormais, une noisette française sur deux ne peut plus être utilisée pour le marché du fruit entier dans sa coque compte tenu de la qualité exigée par ce dernier », précise Jean-Luc Reigne, directeur de la coopérative.
Interdictions sans réflexion
« On a interdit une famille de molécules sans réfléchir aux conséquences économiques. Et après, on nous a accordé une dérogation pour 2017 et 2018, l’État ayant reconnu son usage essentiel en noisettes. Mais depuis, c’est terminé, alors que les pertes sont multipliées par huit et le coût de production a augmenté de 68 % », déplore Thierry Descazeaux.
Dans un courrier adressé au président de la République, au Premier ministre et au ministre de l’Agriculture, le président de l’Association nationale des producteurs de noisettes, Jean-Charles Cazalé, interpelle les pouvoirs publics, en rappelant que Marc Fesneau a lui-même estimé que l’interdiction des néonicotinoïdes et apparentés « était une erreur ». « Depuis des années, nous vous alertons sur la situation intenable de notre filière vis-à-vis de la distorsion de concurrence intra et extra-européenne, en particulier liée au fait que partout dans le monde, partout en Europe, les productions de noisettes sont protégées contre leurs ravageurs majeurs, la punaise diabolique et le ver de la noisette, notamment grâce à l’utilisation de l’acétamipride. […] Nous vous alertons sans relâche sur ce problème majeur de distorsion de concurrence qui va mener la production française de noisettes à sa perte. Vous êtes restés sans réponse, sans action », peut-on y lire.
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Du pain bénit pour la concurrence
Et pendant ce temps, nos concurrents, qui ne sont pas du tout logés à la même enseigne, se frottent les mains. Le cas de la Turquie est sidérant, comme le dénonce le courrier : « La Turquie possède une vingtaine de substances actives mais interdites en France : l’indoxacarbe interdit depuis 2021 en Europe, la béta-cyfluthrine interdite en 2020, l’alpha-cyperméthrine interdite en 2021, la zéta-cyperméthrine interdite en 2021, le malathion, interdit en France de tout usage depuis 2008, et bien sûr l’acétamipride autorisé partout en Europe sauf en France. » Au total, la Turquie dispose de 244 molécules pour protéger ses noisettes, dont un très grand nombre est interdit en Europe depuis plus de quinze ans. Pourtant, ses noisettes se retrouvent partout en métropole…
Il en va de même des États-Unis, où les producteurs de noisettes peuvent utiliser 38 substances actives. Et, sur les 14 substances interdites en Europe depuis plus de dix ans, 8 sont considérées comme des perturbateurs endocriniens majeurs, et 3 comme hautement cancérigènes. Enfin, l’Italie, troisième fournisseur de la France, autorise l’usage de 4 substances actives, dont l’acétamipride, autorisé partout en Europe – sauf en France – jusqu’en 2033 au moins.
Compté au nombre des néonicotinoïdes, l’acétamipride a en effet été banni du territoire français en 2018 sur décision de Ségolène Royal, avec l’appui de l’essentiel de la classe politique, qui y voyait un moyen de sauver les abeilles. Or, paradoxalement, la toxicité de cette molécule sur les abeilles est inférieure à un grand nombre de substances encore autorisées, dont certaines en agriculture bio, comme par exemple le spinosad. Une grave erreur, qui met en péril plusieurs filières, aujourd’hui mobilisées pour ramener le gouvernement à la raison, avec l’espoir qu’on pourra encore fredonner en France « Ce petit chemin qui sent la noisette »…