Alors qu’il ne se passe pas un jour sans qu’un responsable gouvernemental fustige les surtranspositions, la réalité est bien différente, comme en témoigne la publication récente d’un décret franco-français concernant les emballages plastiques pour les fruits et légumes frais. Explications
« Prendre par avance des décisions contraignantes pour les producteurs français bien avant que l’Europe ne le décide aussi, c’est terminé ! », clamait le président Macron lors de sa visite chahutée au dernier Salon international de l’agriculture.
Néanmoins, force est de constater que cette belle promesse, déjà entendue maintes fois, connaît encore et toujours quelques exceptions notoires. C’est le cas, ainsi, du décret du 20 juin 2023, entré en vigueur le 1er janvier 2024, qui interdit la présentation à la vente des fruits et légumes frais dans des emballages composés pour tout ou partie de plastique, à l’exception d’une liste de vingt-neuf produits (tels les endives, les asperges, les brocolis, les champignons, différentes variétés de salades et de petits fruits fragiles).
L’ANPP n’est pas la seule à réclamer du gouvernement un peu de cohérence, ce troisième décret d’application étant non seulement en flagrante opposition avec les promesses gouvernementales, mais également non conforme aux règles communautaires
« Nous sommes nombreux à avoir sommé les membres du gouvernement et les élus de tout bord de passer des paroles aux actes en retirant illico fissa ce décret », s’agace Daniel Sauvaitre, le président de l’ANPP (Association nationale pommes poires), qui n’a toujours pas été entendu.
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Un décret jugé non conforme au droit communautaire
Pourtant, l’ANPP n’est pas la seule à réclamer du gouvernement un peu de cohérence, voire même de retrouver le chemin de la légalité, car ce troisième décret d’application, qui résulte de la loi AGEC (anti-gaspillage pour une économie circulaire) du 10 février 2020, est non seulement en flagrante opposition avec les promesses gouvernementales, mais également non conforme aux règles communautaires. Ce qui était d’ailleurs déjà le cas des deux précédents décrets !
Comme l’indiquait la Commission européenne le 15 décembre dernier en invitant la France à l’abroger, ce décret a été adopté « avant la fin du délai d’attente prévu à l’article 6 de la directive (UE) 2015/1 535 », c’est-à-dire pendant qu’un projet de réglementation européenne était en cours de discussion. Pour l’instant, la Commission n’étant pas alignée sur l’accord signé le 5 mars dernier entre le Parlement et le Conseil, les discussions sont toujours en cours, et quoi qu’il en soit, ce projet ne devrait pas prendre effet avant le 1er janvier 2030. Autrement dit, malgré la promesse réitérée du président Macron, il semblerait que son gouvernement ait décidé de jouer en solo, imposant aux filières des fruits et légumes des contraintes supplémentaires spécifiques à la France, au détriment de la compétitivité de ses entreprises. « Puisque leurs lignes de production ne servent pas que le marché français, mais aussi bien d’autres, toujours demandeurs des emballages actuels, les industriels devront procéder au doublage des équipements provoquant un coût qui, in fine, pèsera sur le maraîcher ou l’arboriculteur », déplore Daniel Sauvaitre.
Contesté au Conseil d’État
Voilà pourtant un dossier emblématique qui permettrait au Premier ministre Gabriel Attal de fournir la preuve que ses engagements pris lors du Salon de l’agriculture n’étaient pas des paroles en l’air.
Il lui suffirait ainsi de retirer immédiatement ce décret pour laisser aux entreprises le temps d’investir dans de nouvelles chaînes d’emballages capables de substituer le carton au plastique. Ce serait d’autant plus habile que le décret en question, contesté devant le Conseil d’État par le syndicat Plastalliance, pourrait parfaitement être annulé dans les semaines à venir. Or, en coulisse, le gouvernement s’emploie plutôt à orchestrer un tour de passe-passe particulièrement révoltant, comme l’explique un proche du dossier.
En coulisse, le gouvernement s’emploie plutôt à orchestrer un tour de passe-passe particulièrement révoltant
Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, aurait ainsi proposé à la Commission un compromis permettant à chaque État de mettre en place, avant 2030, ses propres dispositions, avec de surcroît des listes nationales non harmonisées de produits exonérés. Ce qui permettrait à la France soit de conserver le fameux décret, soit d’en publier un autre similaire si celui-ci était annulé par le Conseil d’État. « Juridiquement parlant, on ne peut pas parler de surtransposition mais d’une anticipation à un futur règlement communautaire, ce qui de facto revient au même », insiste le spécialiste. « Cela laisserait les producteurs français dans une situation de distorsion vis-à-vis de leurs concurrents européens pour encore six ans, avec un préjudice de plusieurs dizaines de millions d’euros », avertissent dans un courrier adressé au Premier ministre les présidents des principales organisations professionnelles de la filière. Pour comble d’hypocrisie, interrogé à ce sujet lors d’une réunion avec ces derniers, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a assuré ne pas être au courant de l’initiative de son collègue… Ubuesque !
Une mesure sans effet sur les océans
D’autant que l’effet de ce décret sur la diminution du plastique dans les océans n’est pas franchement évident. « Sachant que les fruits et légumes frais sont déjà présentés à plus de 60% à l’étalage sans être emballés et que la totalité du plastique utilisé sur ce rayon est évalué à 1,5% de l’ensemble présent au rayon alimentaire, on comprend aisément que retirer le plastique des emballages inférieurs à 1,5 kilo de fruits ou de légumes n’aura pas d’impact significatif », soupire Bruno Darnaud, président de l’AOP Pêches et abricots de France.
Pour comble d’hypocrisie, interrogé à ce sujet, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a assuré ne pas être au courant de l’initiative de son collègue Christophe Béchu
De son côté, Salvatore Laudani, président de Freshfel Europe, estime que ces restrictions « sans fondement et sans base scientifique » imposées aux seuls fruits et légumes frais relèvent de l’« acharnement thérapeutique ». « Nous avons maintes fois communiqué aux législateurs le rôle minimal du secteur en tant qu’utilisateur d’emballages et les mesures déjà prises pour s’orienter vers les alternatives les plus durables », poursuit-il, accusant les législateurs d’agir « depuis une tour d’ivoire ».
Et il n’a pas tort, comme le note avec pertinence Daniel Sauvaitre, en se désolant qu’au fil du temps, la pomme se croque de moins en moins. « Les consommateurs du boulevard Saint-Germain, tout autour de l’hôtel de Roquelaure, comme des autres univers urbains artificiels, préfèrent la savourer en compote ou sous d’autres formes, provoquant la prolifération de coupelles et gourdes en plastique », ironise le patron de l’ANPP. Il regrette qu’en voulant interdire « un peu de plastique pour les seuls fruits et légumes frais », le président Macron s’attache à une mesure symbolique qui, même si elle semble relever du bon sens, escamote l’inquiétante réalité de l’explosion des produits transformés recouverts d’emballages multicouches de toutes sortes, dont le statut restera inchangé jusqu’à… 2040 au moins !