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Plan de souveraineté alimentaire : toujours sans indicateurs de production

Le 8 avril, les services du ministère de l’Agriculture ont rendu publique une note d’une dizaine de pages concernant les indicateurs liés au plan de souveraineté alimentaire. Avec cependant un grand absent: les indicateurs de production

Dans sa conférence de presse du 21 février dernier, à quelques jours du Salon de l’agriculture, le Premier ministre Gabriel Attal rappelait l’objectif de son gouvernement : garantir la souveraineté agricole de la France. « Et pour atteindre ce cap, on doit produire plus, et on doit protéger mieux », martelait-il, en insistant sur la nécessité d’avoir des indicateurs « pour poser les fondements d’une véritable souveraineté alimentaire ».

Parmi les 62 engagements pris alors par le Premier ministre, figurait donc en très bonne position « la définition d’indicateurs et d’objectifs ». Difficile, en effet, de mesurer notre degré de souveraineté alimentaire si l’on ignore les quantités produites et consommées filière par filière. « Les premiers résultats sont encourageants. Ils montrent que la France demeure une grande nation agricole, la première européenne et qu’elle exporte l’équivalent de deux fois ce qui serait nécessaire pour nourrir les Français », rassurait alors Gabriel Attal. Sauf qu’un coup d’œil avisé sur la note d’une dizaine de pages du ministère de l’Agriculture rendue publique le 8 avril dernier invite à relativiser les propos hâtivement optimistes du Premier ministre.

— Voir aussi :
Projet de loi agricole et de l’avenir agricole

Réalisé sur la base des données de FranceAgriMer et d’Agreste, avec l’appui méthodologique du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), ce petit document doit permettre « de suivre, année après année », l’évolution de l’agriculture française, indique le ministère. En résumé, il établit le constat que la France consacre 20 % de sa production agricole en volume à l’export et que sa balance commerciale agro- alimentaire reste globalement positive, sauf vis-à-vis de l’Union européenne.

Difficile de mesurer notre degré de souveraineté alimentaire si l’on ignore les quantités produites et consommées filière par filière

La dégradation du taux d’auto-approvisionnement de plusieurs filières

Cependant, « plusieurs filières ont vu leur taux d’auto-approvisionnement particulièrement se dégrader de manière inquiétante (volailles, colza, blé dur et produits associés) ou restent structurellement dépendantes des importations (fruits et légumes, notamment bio, produits de la pêche ou de l’aquaculture, riz, soja grains et tourteaux, fruits tropicaux et agrumes, ovins) ». Par ailleurs, les auteurs s’inquiètent de la très forte dépendance de la France aux importations d’azote et de protéines (engrais et tourteaux).

En clair, la France reste autosuffisante (avec un taux d’auto-approvisionnement supérieur à 95 %) pour 19 filières, qui représentent 76 % de sa consommation totale en volume, tandis que 6 filières ont un bon taux d’auto-approvisionnement (compris entre 75 et 95 %) et 6 filières souffrent d’une situation de dépendance aux importations (taux d’auto-approvisionnement inférieur à 75 %). « Cette répartition est globalement stable sur la période 2010-2020: le nombre de filières “dépendantes” étant passé de 5 à 6 en 10 ans », note encore le rapport. Ces conclusions n’ont cependant rien de surprenant, puisqu’elles figuraient déjà dans un précédent rapport de FranceAgriMer publié en février dernier sous le titre « Souveraineté alimentaire : un éclairage par les indicateurs de bilan ».

Le cas des produits transformés

La note du ministère de l’Agriculture souligne cependant un point essentiel, qui n’a pas fait l’objet d’une attention suffisante : la France est généralement exportatrice de produits bruts et importatrice de produits transformés. « Notre balance commerciale en valeur est excédentaire sur les produits bruts (céréales, animaux vivants) ainsi que sur les vins et spiritueux, mais est globalement déficitaire sur les produits transformés hors produits laitiers (produits de la pêche et de l’aquaculture, fruits et légumes transformés, pâtes, produits à base de viandes et charcuteries) », y lit-on ainsi. Étonnamment, ce constat concerne aussi les produits issus de l’agriculture biologique.

balance commercale des produits AB

« Le rapport du ministère révèle en effet qu’il y a, sur le secteur bio, une nette augmentation des importations avec une dégradation de la balance commerciale, alors que des producteurs bio jettent l’éponge et se déconvertissent faute de débouchés », remarque Alessandra Kirsch, directrice générale du think tank Agriculture Stratégies. « Cela témoigne du manque de compétitivité de cette filière, et de notre incapacité à répondre à la demande du consommateur sur un segment où le consentement à payer faiblit », poursuit l’économiste, en insistant sur le fait que la filière bio n’est pas la seule concernée. « La France est de plus en plus mauvaise sur les produits transformés toutes filières confondues. Ainsi, on exporte des poulets entiers et on importe des poulets découpés et désossés ; on exporte du blé, alors que, faute d’avoir des usines de transformation compétitives, on importe de la semoule, des biscuits et des pâtes. De même, on exporte des pommes de terre, pour importer ensuite des chips », explique Alessandra Kirsch, qui met l’accent sur la nécessité de regarder les ratios d’autosuffisance en termes de production brute tout en intégrant l’aval avec la transformation. « Raisonner en termes de souveraineté alimentaire implique de considérer la production, mais aussi de prendre en compte l’aval : la capacité de transformation et sa compétitivité font partie intégrante du sujet », conclut la spécialiste. Ce point est d’autant plus essentiel que le décalage flagrant observé entre exportation de matières premières et importation de produits transformés se traduit par une perte de valeur ajoutée pour la Ferme France.

Un manque d’objectifs clairs

La seconde remarque qui s’impose à la lecture du rapport du ministère a trait à l’oubli flagrant des objectifs de production, sujet abordé de façon très vague dans les conclusions, qui mentionnent simplement « un quadruple enjeu ». D’une part, « regagner en souveraineté pour les filières dont le taux d’auto-approvisionnement est le plus bas » et « limiter notre dépendance en intrants amont essentiels à notre production agricole », et d’autre part, « améliorer la résilience de nos exploitations agricoles en renforçant leur solidité économique » et « élargir l’enjeu de la souveraineté alimentaire à une notion de souveraineté agricole ».

Aucun objectif chiffré n’étant cependant proposé, il est impossible de savoir de combien le gouvernement souhaiterait réduire ses importations de protéines végétales, de fruits et de légumes, de viande, afin de renforcer sa souveraineté alimentaire. Souhaite-t-il également poursuivre nos exportations de blé, de maïs, d’orge ou de sucre ? Et si oui, vers quelles destinations et en quelles quantités ? Enfin, le gouvernement veut-il favoriser l’émergence d’usines de transformation afin de réduire nos importations de produits transformés?

Bref, dresser un état des lieux est bien entendu une étape indispensable, mais cela demeure insuffisant pour définir une politique agricole et pour donner au monde agricole un véritable horizon.

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