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Quand les magistrats font de la science citoyenne

Le 14 mai dernier, la Cour d’appel du tribunal de Colmar a confirmé le caractère délictueux de l’opération de destruction d’une parcelle de vignes transgéniques, conduite le 15 août 2012 par 54 militants proches de la Confédération paysanne. Comble de l’absurde, elle a dispensé ces derniers de toute peine !

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Alors que les prévenus ont bel et bien été reconnus coupables de « violation de domicile », le président de la Cour d’appel, Bernard Meyer, et les deux magistrats présents à ses côtés, ont justifié leur décision en suivant à la lettre la logique développée par l’avocat des Faucheurs, Maître Tumerelle. Condamnés pour « délit de destruction d’une parcelle de culture OGM autorisée » lors du précédent procès, les prévenus ont convaincu ces derniers de « l’illégalité réglementaire » de l’expérimentation. Impossible donc de les condamner pour destruction d’un essai autorisé, a plaidé Maître Tumerelle. Logique implacable, reprise par la Cour…

Certes, comme le rappelle Christophe Noisette, militant anti-OGM et responsable de l’association Inf’OGM, « la Cour n’a pas dit qu’il y avait un risque. Elle s’est bien gardée d’un tel jugement. » Elle aurait simplement estimé « qu’un certain nombre d’études d’impact n’étaient pas dans le dossier. Et que les données fournies par l’Inra dans son dossier ne sont pas étayées. » Qu’Inf’OGM vienne à la rescousse du juge de Colmar n’est pas très surprenant : l’association est actuellement présidée par Bénédicte Bonzi, qui fait partie des 54 prévenus ! Aujourd’hui, non moins de cinq des onze administrateurs d’Inf’OGM sont d’ailleurs des Faucheurs d’OGM.

Contrairement à ce que laisse entendre Christophe Noisette, la Cour ne s’est pas contentée de rendre un jugement sur l’aspect réglementaire de l’autorisation : elle a émis un jugement clairement scientifique, estimant que « c’est par une erreur manifeste d’appréciation des risques inhérents à l’opération litigieuse que l’autorité ministérielle a autorisé cette dernière ».

Or, l’appréciation des risques est du ressort du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB), qui a remis ses conclusions le 15 mars 2010 . Le comité scientifique du HCB aurait donc mal apprécié le risque, puisqu’il a validé l’essai. « Dans l’état actuel des connaissances, compte-tenu des caractéristiques des OGM disséminés, de la taille de l’expérimentation et des mesures préventives adaptées, le comité scientifique du HCB considère que l’expérimentation telle qu’elle est décrite dans le dossier ne présente pas de risques identifiables pour la santé humaine ou animale ou pour l’environnement », conclut l’avis que conteste la Cour de Colmar.

Le président Bernard Meyer a-t-il lu ce document ? On peut se poser la question puisque dans l’arrêt de la Cour, il s’inquiète d’un essai effectué en milieu non confiné, « pouvant ainsi générer une dissémination dans son environnement immédiat ». Or, cette question a été traitée par le HCB, qui conclut que l’essai est « conduit de telle façon qu’il n’y ait pas de dissémination hors du site d’expérimentation, pendant et après celle-ci ».

Cette mise en cause directe du travail d’évaluation des risques que fournissent les experts du HCB par les magistrats de Colmar a bien entendu provoqué un véritable tremblement de terre dans la communauté scientifique. Celle-ci l’a clairement manifesté dès le lendemain, le 15 mai, lors du petit-déjeuner hebdomadaire conjoint des patrons des organismes de recherche et de la secrétaire d’État à l’Enseignement, Geneviève Fioraso. La rencontre a « tourné au vinaigre », note un participant. Et lorsque l’un d’eux a interrompu la secrétaire d’État en lui demandant « si désormais toutes les recherches sur les innovations risquaient d’être détruites sans que les auteurs des saccages ne soient condamnés », Geneviève Fioraso n’aurait pas su quoi répondre, relate Irène Inchauspé, journaliste à L’Opinion. On comprend son embarras : la compétence de la justice s’étend-elle vraiment à l’appréciation du travail d’une agence d’évaluation des risques ?

Incompétence évidente

En outre, la lecture de l’arrêt du 14 mai confirme l’incompétence évidente de la Cour d’appel de Colmar en la matière. Ainsi, les magistrats s’interrogent sur « le risque de recombinaison des virus, dont celui produit par la plante trangénique ». Grossière erreur, car la plante ne produit pas de virus. Cette formulation vaudrait un zéro pointé à un étudiant de biologie de terminale. En effet, le porte-greffe génétiquement modifié contient dans chacune de ses cellules des bouts de séquences du virus utilisé, mais en aucun cas le virus entier. Ensuite, la Cour s’interroge sur les risques de recombinaison et de propagation des transgènes par « des insectes piqueurs ou suceurs ». Sauf qu’un tel risque est inexistant. Là encore, le texte témoigne de l’incompétence des juges, visible- ment pas très doués en matière d’entomologie. « Comment peut-on prendre en compte l’argument de la propagation des transgènes par des insectes piqueurs ou suceurs dans un tel débat ? Depuis quand les insectes sont-ils capables de disséminer l’ADN de plantes avec des conséquences néfastes pour l’environnement et la santé humaine ? » ironise Marc Fuchs, un virologue français qui travaille aujourd’hui au département des pathologies des plantes de l’Université Cornell (New York). Le chercheur connaît d’autant mieux le dossier qu’après avoir quitté l’Inra en 2004, il a mis en place une expérimentation sur une vigne transgénique résistante au court-noué, dont les essais – à l’abri des faucheurs – se sont déroulés en toute tranquillité sur plus de 5 hectares en Californie. Avec des résultats particulièrement prometteurs. « L’un des objets de l’essai était d’évaluer certains des risques théoriques pour l’environnement. En exigeant que ces mêmes données –notamment sur les insectes non cibles– soient incluses dans le dossier de demande d’autorisation, les juges montrent qu’ils n’ont rien compris à l’objet même de l’expérimentation », déclare-t-il.

Enfin, en page 44 de l’arrêt, les magistrats mentionnent des « organismes génétiquement implantés sur des porte-greffes ». Nouvelle erreur : les greffons ne sont pas transgéniques. Ce sont les porte-greffes qui ont été génétiquement modifiés.

On pourrait continuer la liste infernale des contre-vérités contenues dans l’argumentation pseudo-scientifique de l’arrêt… Sans aucun doute, le débat scientifique dépasse le niveau de connaissances de Monsieur le Juge, qui aurait mieux fait d’auditionner de vrais experts plutôt que de se fier aveuglément aux propos des Faucheurs et de leurs soutiens.

Or, il ne l’a pas fait, préférant se lancer dans la « science citoyenne ». C’est-à-dire rédiger un arrêt à partir du seul mémoire de Maître Tumerelle et de l’audition des témoins cités par les prévenus, à savoir Pierre-Henri Gouyon, Claude Bourguignon, Patrick de Kochko et Christian Vélot. Dès le jugement rendu, ce dernier n’a d’ailleurs pas caché sa joie. « C’est exceptionnel, c’est la première fois qu’on est relaxés en appel. La Cour nous a apparemment vraiment entendus », s’est-il exclamé. Il a parfaitement raison. Car contrairement au premier procès, ni le procureur, ni le juge n’ont pris la peine d’auditionner les responsables en charge de l’expérimentation. Exit tout débat contradictoire ! Ce qui était précisément le souhait de l’avocat des Faucheurs, dont la stratégie a fonctionné à merveille.

Il s’agissait d’écarter à tout prix l’Inra du procès afin de diminuer le risque d’une confrontation avec des responsables capables d’apporter les bonnes réponses à la Cour.

Avocate spécialisée dans les questions juridiques concernant les biotechnologies végétales, Maï Le Prat explique que « les Faucheurs avaient fait appel du jugement de Colmar à la fois sur la peine et sur les intérêts civils –c’est-à-dire sur les 57 000 euros qu’ils avaient été condamnés à verser à l’Inra pour réparer, notamment, le préjudice scientifique subi. L’Inra qui, en tant que partie civile, ne peut faire appel que sur les dommages et intérêts, a formé un appel incident et non pas un appel principal. Cela signifie qu’elle a subordonné son appel à celui des Faucheurs. Probablement conscients du fait que le montant des dommages et intérêts pouvait être alourdi en appel et qu’il serait plus facile de convaincre la Cour de leur non culpabilité sans la présence de l’Inra et de ses témoins, les Faucheurs se sont désistés de leur appel sur les intérêts civils. Ce qui a permis d’exclure l’Inra du procès d’appel. Le Parquet Général n’a manifestement pas comblé l’absence de l’Inra puisque seuls les témoins et avocats des Faucheurs ont pu exposer leur point de vue à l’audience. »

En clair, il s’agissait d’écarter à tout prix l’Inra du procès afin de diminuer le risque d’une confrontation avec des responsables capables d’apporter les bonnes réponses à la Cour.

L’idéologie postmoderne et les juges

« La science “normale“ – celle qui anime les experts du HCB et les biologistes de l’Inra de Colmar– avait été suivie en première instance. Le jugement du procès de Colmar résulte en revanche de l’idéologie post-moderne qui considère la science comme une opinion comme une autre, pouvant être contredite par n’importe quelle opinion », résume Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS de Grenoble. « Sans vouloir faire injure aux biologistes de l’Inra de Colmar, dont la technologie utilisée a été développée il y a plus de 25 ans, l’essai s’était surtout distingué par son caractère dit participatif sous la forme d’un “modèle pilote de concertation avec la société civile“ », ajoute-t-il. Le paradoxe, c’est que le procès de Colmar signe le fiasco de cette sociologie post-moderniste dont l’expérimentation de l’Inra se voulait précisément le modèle…

Juste avant d’être guillotiné, le 8 mai 1794, Antoine Lavoisier avait demandé un sursis pour pouvoir achever une expérience. Le président du tribunal révolutionnaire, Jean-Baptiste Coffinhal, lui aurait rétorqué : « La République n’a pas besoin de savants ni de chimistes ». Tout comme Bernard Meyer, Jean-Baptiste Coffinhal faisait déjà de la science citoyenne…

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