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GIEE : une version collectiviste des anciens CTE

Sans aucun doute, la création des Groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE), décrite dans l’article 3 de la Loi d’avenir agricole, constitue la mesure-phare du projet porté par Stéphane Le Foll. Approuvée en première lecture par les députés, elle est également la plus clivante. En substance, la création d’un GIEE devrait déclencher l’attribution d’une subvention publique. Ce mécanisme permettrait de canaliser des aides du second pilier, au mieux vers des projets collectifs considérés par l’administration comme « politiquement corrects», au pire vers des structures d’animation et d’études, dirigées par des associations écologistes locales.

«La création des GIEE, c’est ouvrir la voie du futur», s’est réjoui Dominique Potier, député PS de Meurthe-et-Moselle. « L’article 3 dont nous allons débattre est le plus novateur du projet de loi», a poursuivi Mme Dominique Orliac, députée PRG du Lot, qui estime toutefois que « la souplesse de la définition [des GIEE] et les décrets prévus par le texte, que nous ne connaissons pas encore, leur donnent aujourd’hui un contour flou, une portée juridique et une applicabilité peu lisibles ». Ce manque de lisibilité a également été souligné par Nicolas Dhuicq, député UMP de l’Aube : « Et, comme dans certains ouvrages de Lewis Carroll, surgit l’article 3, objet quasiment quantique que personne n’a jamais vu ni ne connaîtra, et qui est extrêmement flou, en particulier l’alinéa 3, fourre-tout absolu qui ne sert qu’à satisfaire idéologiquement les partenaires Verts [du gouvernement]».

Des projets plus bobo qu’agro

Le député de la droite populaire n’a pas entièrement tort. Ainsi, un projet en agro-foresterie limousin comprenant une production de châtaignes et de viande bovine « plaît beaucoup » au ministre. Tout comme l’idée d’associer une trentaine d’exploitants, les uns élevant des animaux nourris avec la luzerne produite par les autres. Cette «autonomie fourragère, à ne pas confondre avec l’autarcie», serait, selon les propos du ministre, « d’une grande modernité ». Bigre ! Mieux encore, Brigitte Allain, députée EELV et ancienne porte-parole de la Conf’, s’est réjouie de la décision d’une poignée d’agriculteurs de Dordogne qui, séduits par « les témoignages du professeur Bourguignon», ont prévu «de mettre en application, sur leur exploitation, ce qu’ils avaient appris, et de partager leur savoir avec leurs voisins». Impressionnant…

Pour rassurer l’immense majorité des agriculteurs qui ne se retrouveraient pas dans des innovations aussi avant-gardistes que la « réappropriation des savoir-faire en sélection paysanne pour des variétés-populations de céréales panifiables » (coût : 103 000 euros pour 15 agriculteurs du Tarn, tous membres du Réseau Semences Paysannes), Stéphane Le Foll a sorti son joker : «Sur les 103 projets sélectionnés, 23 sont issus des chambres d’agriculture, soit pratiquement le quart». Il est vrai que de nombreuses chambres n’ont pas hésité à cautionner le projet du ministre, l’appât du gâteau financier n’y étant pas pour rien.

La somme de ces initiatives – aussi sympathiques puissent-elles être – ne les transforme pas pour autant en grande politique agricole.

Pourquoi pas? Sauf que la sélection de ces projets – dont l’évaluation dépend du bon vouloir arbitraire des pouvoirs publics– ne répond pas à un renforcement de la compétitivité des filières, et qu’elle garantit encore moins la pérennité financière des exploitations. La liste des 103 projets déjà actés en est la preuve. Si chacun d’eux, pris individuellement, peut avoir son intérêt propre, la somme de ces initiatives – aussi sympathiques puissent-elles être – ne les transforme pas pour autant en grande politique agricole.

Un sombre avenir

«Une loi qui s’affranchit de la question de la rentabilité des exploitations et du contexte concurrentiel dans lequel se situe aujourd’hui l’agriculture, ne peut pas être considérée comme durable », résume Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines. Pour le président du Parti chrétien-démocrate, « plutôt que de donner un coup de booster à l’agriculture française afin de lui permettre de reprendre la place qu’elle a abandonnée au profit de l’Allemagne, nous avons une loi qui fragilise de manière insupportable le secteur agricole et qui affaiblira l’appareil productif français ». En effet, les technostructures animatrices des futurs GIEE seront financées par les fonds du Compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural, au détriment des instituts techniques professionnels, qui sont pourtant les vrais lieux d’expérimentation, de recherche et d’innovation.

Dans ces conditions, il est difficile de croire que la version collectiviste des anciens contrats territoriaux d’exploitation (les fameux CTE, imaginés par Bertrand Hervieu) puisse suffire à relancer l’agriculture française ! En revanche, on peut sans grande difficulté prédire aux GIEE un avenir aussi éphémère que celui des CTE, abandonnés dès 2002. Douze ans plus tard, Bertrand Hervieu en a redéfini les contours à l’initiative de Stéphane Le Foll, mais toujours sans prendre en compte la réalité économique de la société, et de l’agriculture en particulier. Au discours de simplification administrative du président de la République, il répond par une nouvelle usine à gaz, dont seule la France a la recette.

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