Plus que jamais, les circuits courts ont le vent en poupe. Impliquant un seul intermédiaire entre le producteur et le consommateur et une distance maximale de 80 kilomètres entre le lieu de production et celui de consommation, ce mode de distribution répond incontestablement à une demande sociétale croissante. Cela est vrai tant pour le consommateur en recherche de repères et de lien social dans un monde de plus en plus globalisé et anonyme, que pour le producteur estimant ne pas obtenir sa part légitime dans la répartition de la valeur de ses produits.
Un discours à l’unisson
« Les circuits courts de proximité présentent un réel potentiel en matière de consommation durable », confirme une étude de l’Ademe publiée en juin dernier, tandis que le ministère de la Transition écologique et solidaire en a fait l’un des axes forts de sa politique agricole. Même son de cloche du côté des syndicats. Après le « consommons français », devenu à la mode depuis l’instauration d’un étiquetage sur l’origine des produits, les circuits courts figurent dans la palette de solutions défendues par l’ensemble de la profession agricole. Ce sera d’ailleurs l’un des thèmes abordés dans la seconde phase des Etats généraux de l’alimentation, prévue entre septembre et décembre. Le chef de l’Etat a en effet confirmé son souhait d’instaurer dans la restauration collective un objectif de 50 % d’approvisionnement en circuits courts, en agriculture biologique ou « écologique ». « S’agissant de la commande publique, la réforme du Code des marchés au printemps 2015 a permis de sécuriser les achats locaux », a-t-il rappelé lors de son intervention au Lycée agricole de Limoges-Les Vaseix (Limousin), le 9 juin dernier.
Enfin,un ouvrage intitulé Et si on mangeait local ?, présenté comme « manuel de survie pour le consommateur néophyte perdu dans le flot des solutions de circuits courts » par le journal 20 minutes, vient de paraître aux éditions Quae. Préfacé par Nicolas Hulot, ce livre a été rédigé par le journaliste Patrick Philipon, aidé par Yuna Chiffoleau et Frédéric Wallet, respectivement sociologue et économiste à l’Inra (Institut national de recherche agronomique). Il fait le point sur l’état actuel des différents circuits courts, qui vont des Amap, avec leurs 250000 adhérents, à la Ruche qui dit oui et leurs 130 000 clients réguliers, en passant par les magasins de vente directe mis en place par les magasins de vente directe mis en place par des collectifs de producteurs.
Selon les auteurs, les circuits courts ne seraient plus l’apanage d’une frange aisée de la population. Une enquête de l’Inra de 2013 relevait que « 42% des Français avaient acheté un produit en circuit court dans le mois précédant l’enquête, pour un budget moyen de 25 euros par semaine », indique Patrick Philipon. Un chiffre étonnamment élevé lorsqu’on le compare à celui d’une étude Sofinco/OpinonWay conduite la même année. « 87% des Français privilégient la grande distribution pour faire leurs courses (37 % en supermarché, 36% en hyper et 14% en harddiscount). Preuve que ces canaux de distribution classiques séduisent davantage que les circuits courts : seuls 5% des Français s’approvisionnent au marché et 2 % directement auprès des producteurs », notaient alors les auteurs.
Comme l’indique l’Ademe, il n’existe pas de données consolidées et ables à l’échelle nationale sur la part de l’alimentation de « proximité ». Mais en tout état de cause, elle reste très marginale (moins de 7%).
En réalité, comme l’indique l’Ademe, il n’existe pas de données consolidées et fiables à l’échelle nationale sur la part de l’alimentation de « proximité ». Mais en tout état de cause, elle reste très marginale (moins de 7%).
Rien d’automatique
Paradoxalement, utiliser ce mode de distribution ne revient pas forcément à faire « un geste pour la planète ». Contrairement à une idée simple et très répandue, l’impact environnemental positif des circuits courts n’est absolument pas automatique. C’est ce qu’admet volontiers l’Ademe dans son Avis d’avril 2012 : « La diversité des circuits courts de proximité ainsi que le manque d’études complètes ne permettent pas d’affirmer qu’ils représentent systématiquement un meilleur bilan
environnemental que les circuits longs, notamment en matière de consommation d’énergie et d’émission de gaz à effet de serre. (…) Ramenées au kilogramme de produits transportés, [les émissions de GES] peuvent même être parfois plus élevées » dans le cadre des circuits de proximité, constate l’Ademe, qui rappelle que les émissions par kilomètre parcouru et par tonne transportée sont environ « 10 fois plus faibles pour un poids lourd de 32 tonnes et 100 fois plus faibles pour un cargo transocéanique que pour une camionnette de moins de 3,5 tonnes ».
Le transport de la tomate bio nécessite jusqu’à 650 geCO2/kg lorsqu’elle est achetée au marché contre à peine 120 geCO2/kg pour un achat de tomate au supermarché local.
Dans le domaine du transport, les premiers et derniers kilomètres parcourus sont de loin ceux qui importent le plus. Or, la logistique autour des circuits courts représente un véritable handicap. Le cas des émissions de GES pour la tomate bio distribuée en Limousin a fait l’objet d’une étude réalisée par l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS). « Les circuits courts observés sont pénalisés par les très faibles quantités vendues qui induisent des émissions importantes rapportées au kg de produit vendu », constatent les auteurs. Ainsi, le transport de la tomate bio nécessite jusqu’à 650 geCO2/kg lorsqu’elle est achetée au marché contre à peine 120 geCO2/kg pour un achat de tomate au supermarché local, et ce en raison du transport routier (voir figure 1).
Un second élément joue en défaveur des circuits de proximité : celui du déplacement du consommateur. « La vente directe n’implique pas systématiquement un moindre déplacement du consommateur, qui peut même être amené à se déplacer davantage en cas de dispersion des points de distribution », indique l’Avis de l’Ademe. L’exemple de la tomate le montre clairement : une vente à la ferme – de loin le circuit le plus court – produit 60gep/kg (exclusivement en raison du transport de l’acheteur) contre 55 gep/kg pour l’achat du même produit dans un supermarché (voir figure 2).
Les pratiques agricoles
La question se complique encore lorsque sont prises en compte les pratiques de production, bien plus déterminantes en matière de bilan environnemental que le transport. C’est vrai pour les fruits et les légumes. « Comparés aux impacts du transport, les impacts environnementaux de la production d’une tomate sous serre sont 75 fois plus grands que les impacts environnementaux du transport de cette tomate depuis la Belgique jusqu’en France », note l’étude de l’INRETS. Une analyse partagée par l’Ademe qui prend l’exemple de la salade : « Une salade cultivée en Allemagne, sous serre, en hiver aura un bilan en termes de CO2 émis (de la production à la consommation) deux fois plus élevé que le même légume importé d’Espagne où il a été cultivé en plein air (510 gr eqCO2/ salade contre 240 gr eqCO2/salade). »
Même constat pour la viande d’agneau qui a fait l’objet d’une étude sous la direction d’Elmar Schlich, chercheur à l’Université Justus Liebig (Allemagne). Pour la même quantité de viande, il constate que la consommation de carburant est sept fois supérieure lorsque la production et la livraison sont effectuées par camionnette locale (dans un rayon de 100 km) que dans le cas d’une viande importée de Nouvelle-Zélande qui a parcouru 20 000 km par bateau (1,5 kWh/kg contre 0,2 kWh/kg). « L’élevage et le transport en Nouvelle-Zélande consomment une énergie finale relativement faible du fait que le bétail reste toute l’année au pâturage, qu’il n’est pas engraissé et que les troupeaux se déplacent généralement eux-mêmes », notent les auteurs. Ils poursuivent : « En raison des conditions climatiques (besoin de stabulations en hiver) et géographiques (garde des troupeaux), la consommation d’énergie des exploitations allemandes est supérieure à celles de Nouvelle-Zélande. De façon surprenante, elle n’est pas compensée par le transport à longue distance. » Un résultat similaire aurait sans aucun doute été obtenu avec la viande de bœuf argentine.
Vouloir ainsi généraliser les circuits courts en évoquant le respect de l’environnement, comme le fait Nicolas Hulot, relève donc d’une tromperie.
Cette étude, comme bien d’autres, confirme que la seule indication de la distance de transport des produits ne permet pas d’en déduire leur exemplarité énergétique et environnementale. Vouloir ainsi généraliser les circuits courts en évoquant le respect de l’environnement, comme le fait Nicolas Hulot, relève donc d’une tromperie. D’autres arguments plaident cependant en leur faveur, notamment en ce qu’ils permettent une meilleure répartition de la valeur ajoutée et la reconnaissance du travail du producteur. Mais là, il s’agit d’un tout autre débat…