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Le Lierre entend verdir la fonction publique

Peu connue du grand public, l’association Le Lierre organise un réseau d’influence au sein de la fonction publique pour imposer la cause écolo-décroissante

À l’occasion de l’édition 2024 du Salon international de l’agriculture, certains hauts fonctionnaires ont fait l’objet de vives critiques, notamment en raison du projet d’invitation des Soulèvements de la Terre au grand débat censé se tenir le jour de l’ouverture.

Dans le collimateur, on trouve en particulier le conseiller agriculture du président Macron, Matthias Ginet, et son supérieur direct, aux commandes du pôle écologie, agriculture, énergie, transports, logement de l’Élysée, Benoît Faraco. Cette malheureuse initiative relève « d’un cynisme intolérable », a déclaré le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, estimant que cette faute politique témoignait du fait que l’exécutif « n’a rien compris aux problématiques agricoles ».

Le troisième homme

Depuis leur nomination, ces deux conseillers apparaissent en effet aux yeux des responsables agricoles comme des obstacles au nécessaire virage politique affiché récemment par le Premier ministre Gabriel Attal.

On leur reproche, entre autres, leur proximité avec l’ancien élu EÉLV et ancien directeur général du WWF France, Pascal Canfin. Il est vrai que Matthias Ginet a fait ses classes auprès de Pascal Canfin, et que Benoît Faraco, ancien administrateur du Réseau Action Climat et porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot, a été son conseiller, lorsque Canfin était ministre délégué au Développement dans le gouvernement de François Hollande. 

Un troisième homme, qui n’a pas été mis sous les feux des projecteurs médiatiques, suscite également la méfiance du monde agricole. Il s’agit d’Antoine Pellion, qui fut le conseiller technique Énergie de Ségolène Royal avant de devenir « l’homme de l’ombre de la planification écologique » de l’actuel président de la République. À l’origine de la version écolo-compatible du programme du candidat Macron, ces trois éminences vertes du président se retrouvent aujourd’hui en porte-à-faux avec la nouvelle feuille de route agricole élaborée par le chef de l’État et le Premier ministre.

Un réseau écologiste de fonctionnaires

De façon plus générale, il existe, au sein du milieu agricole, le sentiment que des blocages administratifs freinent ou empêchent la mise en œuvre des mesures nécessaires au bon fonctionnement de ses activités. Des blocages qui, de toute évidence, dépassent largement la sphère d’influence des trois conseillers en question. De fait, l’idéologie écolo-décroissante a progressé au cours de ces dernières années à tous les niveaux de l’administration. En octobre 2022, Stanislas Guerini, alors ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, a d’ailleurs lancé la formation à la transition écologique de l’ensemble des 5,6 millions d’agents de la fonction publique jusqu’à la fin du quinquennat. En s’aidant de certaines personnalités, comme le climatologue Christophe Cassou, qui n’a pas hésité à apporter son soutien aux Soulèvements de la Terre, l’hydrologue Emma Haziza, connue pour son opposition radicale aux retenues d’eau, ou encore Laurence Tubiana, directrice de l’influente Fondation européenne pour le climat (ECF).

En outre, sont apparues plusieurs structures ayant l’objectif affiché de convertir la fonction publique à l’écologie politique. C’est le cas de l’association Le Lierre, « réseau écologiste des professionnels de l’action publique », bénéficiant d’une aide financière substantielle de l’ECF, qui a été créée en 2019 autour d’un manifeste écologiste dénonçant « l’impasse du modèle industriel, consumériste et productiviste ». Les membres du Lierre sont ainsi convaincus que « le dépassement de la société productiviste passe notamment par une réinvention du service public » et rêvent de « faire grandir l’écologie politique et mettre en œuvre la transition vers un monde post-productiviste ». Cette révolution visant à promouvoir un État écologique consiste notamment à combattre les « technosolutions » afin de mieux imposer la sobriété. 

Quoique Le Lierre s’affirme « ouvert, indépendant et transpartisan », ses affinités avec le parti écologiste semblent assez évidentes. Ses deux fondateurs, Wandrille Jumeaux et Raphaël Yven, ont été militants au sein des Jeunes Écologistes et se sont croisés lors de la campagne présidentielle d’Eva Joly, en 2012. Plus récemment, en 2020-21, Wandrille Jumeaux a été secrétaire général du groupe écologiste au Sénat.

Mais surtout, le développement du Lierre a débuté à la suite du succès historique d’EÉLV remporté lors du scrutin européen de 2019 avec plus de 13 % des voix. À l’époque, le candidat Yannick Jadot, qui croit très fort en son destin présidentiel, s’efforce de muscler son programme en faisant appel à un groupe d’énarques et de hauts fonctionnaires. Pour y parvenir, il peut compter sur son vieil ami Pascal Brice, ancien conseiller de Pierre Moscovici et Premier président de la Cour des comptes. Dans un article daté de 2021, le JDD explique que « si Yannick Jadot cherche d’autres grands commis de l’État, il pourra regarder du côté du Lierre ». Ce que confirme Wandrille Jumeaux au même journal : « Il faut un vivier pour accompagner l’arrivée aux responsabilités des écologistes. Il y a un vrai sujet : comment les écolos montent en gamme, se préparent à l’exercice des responsabilités et gagnent en crédibilité. »

L’association, qui fonctionne comme une sorte de « Franc-maçonnerie verte », selon termes de l’hebdomadaire La Gazette des communes, organise des formations pour ses adhérents — dont la majorité préfère garder l’anonymat

Autrement dit, Le Lierre propose ses services aux écologistes, qui peuvent « déjà compter sur un petit noyau ». « On se prépare à la prise du pouvoir, en plantant les graines d’un réseau qui nous permettrait de diriger », confie Wandrille Jumeaux dans un entretien à L’Obs. « Avant, les gens se cachaient. Maintenant, c’est moins honteux », se félicite-t-il aussi, en ajoutant : « Les écologistes pourront aussi compter sur les hauts fonctionnaires qui ont travaillé avec eux quand ils étaient ministres et sur ceux qui travaillent désormais dans les grandes villes qu’ils dirigent (Grenoble, Marseille, Lyon et sa métropole…). »

Force de lobbying

Le lamentable échec du candidat Jadot au scrutin présidentiel de 2022 n’a pas pour autant découragé Le Lierre, qui poursuit son travail d’influence et de lobbying, notamment grâce aux bonnes relations que certains de ses adhérents entretiennent avec le pouvoir macroniste. 

Ainsi, Lucas Manetti, coordinateur du groupe local Le Lierre à Rennes, affirme que « Le Lierre a porte ouverte au gouvernement ». « Tout ce qui a pu être pensé autour du cycle de formation [lancé par le ministre Stanislas Guerini], ça a été conçu en partie avec des gens du Lierre », précise Manetti, tandis que l’on a pu apercevoir Antoine Pellion et Jean-François Collin, qui a été directeur de cabinet de plusieurs ministres, à la conférence « La planification écologique, stop ou encore ? », organisée en novembre 2022 par l’association. 

En quatre ans, Le Lierre a ainsi vu le nombre de ses adhérents passer le cap des 1 500 fonctionnaires et dirigeants publics. L’association, qui a organisé huit journées de formations et vingt-cinq conférences ouvertes à tous publics, est centrée autour de quinze groupes thématiques (Énergie, Finance verte, Formation, Culture, Agriculture-Alimentation, Éducation, etc.) et revendique onze groupes locaux répartis dans toutes les régions de France, ainsi qu’à Bruxelles et même à Washington. Comme le note le site Contexte, « à Bruxelles, depuis décembre 2022, ils sont près d’une trentaine à se retrouver une fois par mois, en général autour d’un verre. Ce sont des agents de la Commission ou du Conseil de l’UE (contractuels ou experts nationaux détachés), des collaborateurs d’eurodéputés, des membres d’ONG ou encore des universitaires, pour la plupart français, qui se disent “convaincus qu’une transformation profonde de l’action publique est indispensable pour répondre aux urgences écologique et sociale” ». 

L’association, qui fonctionne comme une sorte de « franc-maçonnerie verte », selon les termes de l’hebdomadaire La Gazette des communes, organise des formations pour ses adhérents – dont la majorité préfère garder l’anonymat – et publie également une newsletter, des notes (une petite vingtaine jusqu’à présent, dont deux sur l’agriculture), ainsi que des tribunes dans des quotidiens nationaux. Les deux notes agricoles, respectivement datées de juin 2023 et juillet 2023, ont été supervisées par un certain Matthieu Combaud, membre de la commission agricole d’EÉLV, et leur rédaction a mobilisé plus d’une dizaine de personnes, principalement des membres des fonctions publiques d’État et territoriale.

Quant à la tribune intitulée « Toute l’agriculture française doit passer à l’agroécologie et, partout où c’est pertinent, au bio », parue dans Le Monde en novembre 2023, elle a également été rédigée par Matthieu Combaud, avec la collaboration de Marc Pascal, porte-parole d’EÉLV Savoie et aussi membre des Soulèvements de la Terre. Des affiliations nullement mentionnées dans la tribune, où les signataires sont simplement présentés comme « écologue et économiste » et « agro-socioéconomiste ». Dans cette tribune, dont l’objectif est de venir au renfort de l’agriculture biologique, les auteurs proposent par exemple de « réorienter dès 2024 les aides de la politique agricole commune (PAC) en France, pour soutenir davantage le bio et réduire les aides aux systèmes intensifs en intrants de synthèse ». Bref, un copié-collé du programme de Marine Tondelier, la patronne des Verts.

Ces tribunes ont participé à faire sortir de l’ombre Le Lierre, qui reste cependant discret sur son implantation dans les différents services de l’État, que ce soit au niveau national ou local. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à recruter activement, comme en témoigne une vidéo, publiée en février 2024, où l’association appelle les agents publics à la rejoindre « pour faire que l’État, les collectivités et les services publics deviennent le fer de lance de la transformation écologique de notre société ».

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