Depuis les fortes mobilisations du monde agricole, l’heure n’est plus à la transition décroissante mais au réarmement industriel et agricole. Pour saper cette nouvelle tendance, Générations Futures et le biobusiness s’activent, accompagnés de certaines mutuelles
Le vert n’est plus à la mode, comme en témoigne le journaliste décroissant Stéphane Foucart du Monde, qui déplore dans sa chronique hebdomadaire « la quasi-disparition de la thématique environnementale de l’agenda politique ». Et pour cause ! À l’instar du monde agricole, d’autres secteurs d’activités commencent désormais à être fortement impactés par diverses contraintes environnementales. Zones à faibles émissions, taxes sur les emballages des boulangers et des bouchers, annulations de projets industriels : la décroissance écologiste entrave de plus en plus la vie des citoyens et des acteurs économiques.

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Loin de baisser les bras, la nébuleuse écologiste entend redoubler d’énergie pour inverser cette tendance. En attestent les mobilisations accrues du lobby antipesticides au cours de ces derniers mois. Ainsi, du 20 au 30 mars, Générations Futures (GF) a fêté les 20 ans de la Semaine pour les alternatives aux pesticides. Chaque année, en effet, l’association incite à organiser tous types d’événements (conférences, projections de films, buffets bio, etc.) pour dénoncer les pesticides de synthèse et défendre l’agriculture biologique, en conformité avec le cahier des charges de ses principaux sponsors, à savoir Biocoop, Ecocert, Ekibio, Ecotone et Léa Nature, sans oublier les aides financières fournies par le ministère de l’Écologie ou l’Office français de la biodiversité.
À l’instar du monde agricole, d’autres secteurs d’activités commencent désormais à être fortement impactés par diverses contraintes environnementales
Cette année, François Veillerette, le patron de Générations Futures, a tenu à exprimer ses inquiétudes : « Alors que les reculs depuis un peu plus d’un an sont forts sur le dossier des pesticides et que la mobilisation des tenants d’un modèle agrochimique sont à l’action, il est plus important que jamais de se mobiliser pour contrer ces menaces. » Dans son viseur, la proposition de loi des sénateurs Laurent Duplomb et Franck Menonville visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », que GF a qualifiée de « texte rétrograde ».
D’où l’idée d’investir l’Assemblée nationale pour y organiser un colloque le 19 mars, sur le thème « Bilan et défis pour une révolution du modèle agricole – 20 ans d’actions (et d’inactions) », en collaboration avec la députée socialiste Chantal Jourdan, avec la participation de son collègue Dominique Potier. Le lobbying de GF a ensuite consisté à inciter ses sympathisants à interpeller, via sa plateforme « Shake ton politique », les élus EPR, MoDem, Horizons, Droite Républicaine, afin « de ne pas inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ». Une stratégie qui a visiblement eu certains effets.
La campagne « Tous exposés »
En amont de ce lobbying, au moment du Salon international de l’agriculture, GF a participé au lancement de la campagne « Tous exposés », visant à s’assurer que la psychose autour des pesticides reste bien prégnante. Comme son nom l’indique, l’objectif est de marteler que toute la population serait exposée « à l’usage des pesticides chimiques », en produisant à l’appui, sur une plateforme interactive, des cartes censées prouver l’utilisation des phytos, ou encore en pointant du doigt la présence de résidus dans l’eau et l’alimentation.
Cette campagne anxiogène, qui a été largement couverte par les médias, a été menée principalement par GF et Secrets Toxiques, avec le soutien d’acteurs du biobusiness, en l’occurrence La Maison de la Bio (« la voix des acteurs économiques des filières bio ») et Ecotone, leader européen de l’alimentation biologique. Outre cette alliance familière entre ONG écologistes et entreprises bio, « Tous exposés » revendique aussi comme partenaires des « mutuelles engagées ».
De fait, un certain nombre de mutuelles sont devenues des acteurs importants dans la croisade antipesticides (voir à ce sujet « Qui monte les mutuelles de santé contre les pesticides ? », A&E, n°236, juin 2024).
Cette campagne anxiogène, qui a été largement couverte par les médias, a été menée principalement par GF et Secrets Toxiques, avec le soutien d’acteurs du biobusiness
Depuis le début de l’année 2024, des mutuelles se sont en effet engagées dans différentes initiatives pour dénoncer l’impact sanitaire des pesticides. Cette mobilisation, qui s’est traduite par la publication de tribunes, l’organisation d’un colloque au Sénat et d’un autre au Parlement européen, a été orchestrée par Martin Rieussec-Fournier, administrateur de La Mutuelle Familiale et par ailleurs cofondateur du collectif antipesticides Secrets Toxiques. Pour rappel, Secrets Toxiques est un collectif qui a vu le jour à la demande de Gilles-Éric Séralini, en mai 2020, afin de dénoncer les « failles » dans l’évaluation des pesticides. Porté aujourd’hui par plus de 80 associations, avec un budget de 240 000 euros en 2023 financé notamment par Léa Nature, Ekibio et la Fondation pour le progrès de l’homme, le collectif Secrets Toxiques a été constitué par GF, Nature et Progrès France et Campagne Glyphosate, et son premier directeur fut… Martin Rieussec-Fournier. Cela explique peut-être qu’en 2023 Secrets Toxiques ait reçu une subvention de 35000 euros… de la part de La Mutuelle Familiale.
Création de Mutuelles pour la santé planétaire
Pour mieux structurer cette mobilisation contre les pesticides, une association a été fondée en septembre 2024 – Mutuelles pour la santé planétaire –, présidée par le même Martin Rieussec-Fournier. Le 4 février 2025, l’association a publié une tribune sur le site de France Info, signée « par plus de 1 500 personnes (mutualistes, scientifiques, responsables politiques, d’entreprises, d’associations et de syndicats, agriculteurs, victimes de pesticides et de l’amiante, artistes, médecins et professionnels de santé) ». Cet appel, adressé au Premier ministre et au président de la République, établit une comparaison entre l’amiante et les pesticides et exige « un nouveau cap agricole ».
Sur son site, Mutuelles pour la santé planétaire détaille son plan d’action pour 2025-2027, avec un budget prévisionnel estimé à 630000 euros. Au programme de ces trois années, il est prévu la « réalisation de 30 étapes d’un Tour d’Europe des solutions », parcourues par une quinzaine de cyclistes, afin de « médiatiser l’engagement des mutuelles pour dire au revoir aux pesticides », de « projeter le film Secrets Toxiques », et de rencontrer 2000 élus politiques. Et dès 2025, la réalisation « d’un film documentaire sur les enseignements de la bataille gagnée pour interdire l’amiante » censé inspirer les responsables politiques « pour sortir l’agriculture de la dépendance aux pesticides en une génération ». Doté d’un budget de 100 000 euros, le film sera réalisé par Andy Battentier qui a été lui-même directeur, de 2021 à 2024, de… Secrets Toxiques.
Inconnu du grand public, Andy Battentier est certainement l’un de ceux qui ont mis sur orbite l’association des Mutuelles pour la santé planétaire
Inconnu du grand public, Andy Battentier est certainement l’un de ceux qui ont mis sur orbite l’association des Mutuelles pour la santé planétaire, puisqu’il dit haut et fort avoir été à la fois le conseil en stratégie et « l’assistant plaidoyer » (traduction : « l’assistant lobbyiste »), par la production de contenus, d’argumentaires, de vidéos d’engagement, d’appels à contributions et de tribunes.
Par ailleurs, Andy Battentier a travaillé comme « consultant en stratégie de communication », d’octobre 2024 à janvier 2025, pour l’Ifoam Organics Europe (Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique), le principal lobby bio européen. À ce titre, il a conçu les contenus de la campagne antipesticides « Stop harm », pour « visualiser par des infographies les nombreux impacts de l’utilisation généralisée des pesticides de synthèse, par exemple sur la santé des agriculteurs et de leurs familles, qui sont les premières victimes des pesticides, sur les ressources en eau, avec des coûts massifs de dépollution, et sur la biodiversité ».
Enfin, toujours dans son plan d’action trisannuel, Mutuelles pour la santé planétaire prévoit, en 2026, un « grand colloque au Sénat ou à l’Assemblée nationale, avec 350 acteurs des solutions sur les sujets amiante, pesticides et agroécologie », et pour 2027, l’association compte organiser un « grand rassemblement à Bruxelles pour témoigner de toutes les solutions déjà existantes partout en Europe pour sortir des pesticides et demander à l’UE une stratégie pour les généraliser dans les meilleurs délais ».