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Agriculture bio : quatre scénarios pour un futur incertain

Face aux interrogations sur le futur de l’agriculture biologique, le ministère de l’Agriculture a commandé une étude prospective, qui dresse quatre scénarios possibles

Alors que l’agriculture biologique traverse depuis 2022 une crise d’une ampleur inédite, qui se traduit par une réduction considérable de l’offre bio dans la grande distribution et une désaffection de nombreux restaurants pour le bio, les pouvoirs publics commencent à s’interroger sérieusement sur l’avenir de ce secteur.

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Consommation stable mais surfaces en baisse

Du côté de l’Agence Bio, on joue, bien évidemment, la carte de l’optimisme, comme en témoigne son communiqué de presse du 12 juin dernier relevant qu’« après deux années difficiles, 2024 présente des signes encourageants pour la filière biologique française côté consommation ». Même si la part du bio dans les achats alimentaires des Français reste stable à 6 %, l’Agence fait valoir que « les dépenses des ménages en bio sont en croissance de 0,8 % en valeur par rapport à 2023, à 12,2 milliards d’euros ».

Toutefois, du côté production, elle ne peut qu’admettre une deuxième année de baisse des surfaces bio : « Le bio a reculé de 56 197 hectares en 2024, à 2,7 millions d’hectares, après un recul de 54 248 hectares en 2023, soit une perte d’environ 110 000 hectares en deux ans, un phénomène concentré notamment sur les grandes cultures. » Mais elle se veut rassurante, en soulignant qu’« en dépit de la baisse des surfaces cultivées, la dynamique de recrutement dans la bio reste positive avec un solde net de producteurs bio de 1 % et 4 431 nouvelles fermes bio », certaine de réussir à « raviver l’envie de bio, notamment en lançant une seconde vague de communication », dès la rentrée.

Une initiative qui ne rassure nullement le député UDR Vincent Trébuchet, auteur d’un rapport d’information sur le financement de l’agriculture biologique en France, qui met en question la pertinence de soutenir l’AB sans prendre en considération la réalité du marché. « Croyant sauver l’avenir de l’agriculture biologique, les parlementaires ont acté dans la LOA, et sous la pression de la gauche et du centre, un nouvel objectif de 21 % de surfaces en bio en 2030. Or, cela ne fait qu’encourager une politique profondément dysfonctionnelle menée depuis dix ans, en ce qu’elle refuse catégoriquement de se connecter à une logique de marché et d’adapter ses dispositifs au réel », analyse Vincent Trébuchet, en notant que « depuis le Plan de développement de l’agriculture biologique à horizon 2012, présenté en septembre 2007, les objectifs ont toujours été largement surestimés et n’ont jamais été atteints, même en période de forte croissance de la demande ». Et il n’a pas tort.

Quatre scénarios d’ici 2040

D’où l’urgence d’entreprendre enfin une étude prospective sur le futur de la filière bio ! Deux bureaux d’études (le Crédoc et Ceresco) se sont attelés à la tâche, sous la houlette du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Rendue publique le 13 août, cette étude, qui explore les trajectoires d’évolution probables de l’agriculture biologique d’ici 2040, présente quatre scénarios possibles. Dans les deux premiers, est envisagée « la question d’une possible marginalisation de l’AB », notamment si les enjeux économiques restent prioritaires (commerce international, compétitivité, réduction des prix alimentaires), ou dans le cas où une « troisième voie » qui reprend des démarches mettant, elles aussi, en avant des promesses environnementales, détrônerait le secteur du bio. « Grâce à une communication et un marketing efficaces, la part de marché des produits de la “3e voie” augmente rapidement. En quelques années, elle devient la démarche de référence en matière de bienfaits pour l’environnement. Parallèlement, l’AB perd petit à petit sa capacité d’influence auprès des consommateurs et des pouvoirs publics. Moins bien structurés et peu unis, les acteurs du secteur ne savent pas démontrer la plus-value environnementale de leurs produits. Les soutiens publics à la bio sont réduits et en partie redirigés vers la “3e voie” », supputent les auteurs.

Dans les deux premiers scénarios, est envisagée « la question d’une possible marginalisation de l’AB », notamment si les enjeux économiques restent prioritaires

Le troisième scénario, peu probable, se base sur un hypothétique accord international qui serait « conclu en 2032 pour relever les défis planétaires majeurs », suite à l’émergence d’une mobilisation « sans précédent de la société civile (militants, scientifiques, etc.), largement reprise par les médias et les réseaux sociaux ».

Autrement dit, les auteurs imaginent un revirement politique radical, entraînant, au niveau mondial, des traités conclus « pour fixer des normes commerciales permettant de moduler les droits de douane en fonction des impacts environnementaux des produits, à l’image du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières », et au niveau européen, « un nouveau Green Deal » qui fixe des objectifs environnementaux ambitieux, telle la sortie totale des produits phytosanitaires en 2040. « Pour les atteindre, la multiplication des conversions est jugée prioritaire et la transition vers l’AB s’accélère fortement », décrivent les deux bureaux d’études. L’agriculture bio retrouverait ainsi le chemin de la croissance, non sans assouplir son cahier des charges européen afin de réduire les coûts et limiter l’inflation alimentaire. Cela supposerait que « la sensibilité des consommateurs aux enjeux environnementaux et de santé [soit] grande, et que la parole scientifique sur ces aspects [soit] présente dans les médias ». Encore faudrait-il s’accorder sur ladite « parole scientifique », aucune étude sérieuse n’ayant permis à ce jour de conclure à un quelconque bénéfice sanitaire de l’AB par rapport à l’agriculture conventionnelle. Ni d’ailleurs à sa supériorité pour la protection de l’environnement, dès lors que la quantité produite reste l’indicateur de référence.

Enfin, le dernier scénario repose sur la « démondialisation » de l’économie. À savoir le triomphe de l’écologie politique, avec l’AB incarnant « la norme à atteindre en matière de production agricole ». « Une sécurité sociale de l’alimentation est mise en place et une taxation spécifique est créée pour les produits ayant le plus d’impacts négatifs en matière de santé et d’environnement. La loi Egalim 5 impose un taux de présence des produits bio dans les commerces alimentaires (25 % en 2035) », conjecture le rapport, qui poursuit : « Pour renforcer l’adhésion du consommateur, un nouveau “score” s’applique à tous les aliments à l’échelle européenne. » Conséquence : « La part de l’alimentation dans le budget des ménages augmente notablement et s’établit à 25 % en moyenne en 2040, contre 15 % en 2020. » Pourtant, même dans ce scénario, « l’agriculture conventionnelle reste néanmoins majoritaire en 2040 ». Ainsi, « la “transition” semble être un processus sans fin. Les moyens budgétaires mobilisés ne suffisent pas à accompagner l’ensemble du système alimentaire. Malgré la multiplication des critères à respecter, la hausse de la fiscalité et la baisse des volumes à traiter, certains acteurs des filières conventionnelles (coopératives, producteurs pour lesquels la conversion est difficile) refusent toujours de participer au développement de l’AB. Ils contestent les nouvelles orientations politiques et ne souhaitent pas changer de modèle de production ».

Conclusion

« Les scénarios formulés dans le cadre de l’étude montrent que la question d’une possible marginalisation de l’AB se pose », soulignent les auteurs, qui pensent « que des voies existent néanmoins pour stimuler le secteur bio à l’avenir », à la condition que « la compréhension des impacts environnementaux de l’agriculture se développe au-delà des cercles d’acteurs convaincus ».

D’où la nécessité d’une « éducation environnementale » ou encore de « chocs exogènes […], tels ceux mentionnés dans les différents scénarios : aléas climatiques, crises économiques ou sanitaires, mobilisations citoyennes ». Vaste programme…

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