Publié lors du Salon de l’agriculture, le 21e baromètre de l’Agence Bio apporte un éclairage nouveau sur les causes du désamour des Français pour les produits bio
Si l’on a pensé un temps, à tort, que le marché permettrait automatiquement à l’agriculture biologique de se développer, force est de constater qu’il n’en est rien aujourd’hui. Après plusieurs années de ralentissement, les acteurs les plus engagés dans ce système de production reconnaissent désormais que le bio traverse une grave crise structurelle.
Et le choc est rude: en 2022, les surfaces en première année de conversion ont diminué de 40 %, tandis qu’en 2023 les pertes économiques pour les agriculteurs en AB ont été estimées de 250 à 300 millions d’euros, en raison notamment du déclassement de certaines productions biologiques en productions conventionnelles. « Aujourd’hui, l’agriculture biologique est en danger », alerte ainsi Philippe Camburet, président de la Fnab (Fédération nationale d’agriculture biologique). « Le bout du tunnel n’est pas encore visible », s’inquiète ce céréalier bio dans l’Yonne, qui voit la situation s’aggraver de jour en jour. À un point tel que certains producteurs sont allés jusqu’à mettre en ligne des cagnottes pour sauver leur exploitation.
La jungle des labels et le prix
Dans un premier temps, il a été de bon ton de faire porter la responsabilité de ce renversement de tendance sur la « jungle des labels », pour reprendre le terme de Stéphane Bellon, ingénieur agronome à l’Inrae.
« Si le bio a été jusqu’à la fin du XXe siècle le principal modèle alternatif construit et référencé en France, il est aujourd’hui concurrencé par d’innombrables allégations mieux-disantes sur des performances précises : “zéro résidu de pesticides”, “sans sulfites ajoutés”, “sans nitrites”, “vegan”, etc. », constate le chercheur, qui expliquait il y a encore quelques mois que « les préoccupations environnementales et de santé restent les principales raisons qui conduisent les consommateurs à acheter des produits bio ». À ce titre, l’étiquetage Nutriscore lui-même affecterait le bio, selon Stéphane Bellon, qui admet cependant que « d’autres attentes, parfois concurrentes, guident ou déterminent aussi l’acte d’achat ». À savoir : la proximité (circuits courts), une juste rémunération des producteurs, la réduction des émissions de GES et de l’usage de plastique, le bien-être animal, etc. L’autre argument souvent avancé pour expliquer le manque d’attractivité de la filière bio est le prix. « Dans un contexte de hausse générale des prix, l’alimentation bio devient par ailleurs une variable d’ajustement dans l’arbitrage des dépenses alimentaires des ménages », déplore ainsi Stéphane Bellon.
Certes, sauf que « l’inflation a été deux fois moins importante en bio qu’en conventionnelle (6 % contre 12%), ce qui a permis de fortement tasser l’écart de prix », tempère Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, qui, pour la première fois, apporte une nuance à ce discours sur les origines de la crise en parlant d’un désamour lié à une décroissance dans les préoccupations environnementales et sanitaires des consommateurs.
La transition écologique en pause
C’est en effet ce qu’a révélé le 21e baromètre annuel de l’Agence Bio, présenté à l’occasion du Salon de l’agriculture.
Contre toute attente, celui-ci note l’existence d’un basculement d’une l’alimentation axée sur des préoccupations santé (– 6 points par rapport à 2022) et environnement (– 9 points) vers une alimentation plaisir (+15 points). Et Laure Verdeau le confirme à A&E : « Pour la première fois, nous avons des consommateurs qui nous disent être saturés d’informations [93 % des personnes interrogées connaissent le label AB], et même vouloir mettre la transition écollogique en pause.»
Et ce n’est pas tout. Toujours selon le baromètre de l’Agence Bio, les Français sont de moins en moins convaincus par les allégations sanitaires ou environnementales du bio.
« Un Français sur deux exprime des doutes sur la véracité du bio », indique l’enquête, qui constate que seulement 41 % estiment avoir assez d’informations concernant l’impact du bio sur la santé (en baisse de 4 points) et 39% concernant l’impact environnemental (également en baisse de 4 points).
En clair, la communication adoptée depuis des années par les principaux acteurs du bio, qui consiste à mettre en avant les prétendues vertus pour la santé et l’environnement de la consommation bio, fonctionne de moins en moins. Et c’est valable aussi pour les clients réguliers des enseignes bio, qui ne sont plus aujourd’hui que 30 % à déclarer manger bio au moins une fois par semaine, alors qu’ils étaient plus de 50% il y a encore trois ans.
Le succès du prêt-à-manger
Enfin, l’Agence Bio évoque un autre problème : l’image des produits bio est associée à celle des produits bruts. Or, plus de 60% des Français privilégient aujourd’hui l’aspect pratique pour leurs achats alimentaires. « 34 % d’entre eux estiment que cuisiner est une corvée, ce qui représente une hausse de 4 points », déplore Laure Verdeau, qui explique que « les produits bio pâtissent de cette image de manque de praticité dans la recherche du consommateur du “vite préparé”, synonyme de gain de temps, et du “portionné” pour limiter les pertes ».
Comme pour le reste de la consommation, les produits bio n’échappent donc pas à cette tendance structurelle marquée du marché alimentaire vers le « prêt-à-manger », pourtant très éloignée de l’ADN de la filière bio, qui a toujours privilégié la consommation faite maison. Contrairement à ce que laissent entendre les beaux discours, on cuisine de moins en moins, car si Martine n’est pas à la ferme, elle n’est plus si souvent à la cuisine.
Forte de cette analyse, l’Agence Bio escompte que la restauration hors domicile (restauration collective et restaurants) va devenir le principal levier pour offrir des débouchés aux agriculteurs bio. « Les consommateurs sont 69 % à être intéressés par le bio à la cantine ou au restaurant d’entreprise et ce chiffre monte à 71 % pour les restaurants », indique Laure Verdeau. L’offre de bio serait pour 40 % d’entre eux insuffisante à la cantine et dans les restaurants et pour 44% pour les plats à emporter dans les restaurants, comme l’établit le baromètre. Soit un virage radical et nécessaire pour sauver une filière en détresse.