En retirant l’AMM de dix-neuf fongicides contenant du cuivre utilisés pour lutter contre le mildiou, l’Anses plonge la filière viticole AB dans la tourmente
En refusant la quasi-totalité des renouvellements de spécialités commerciales à base de cuivre, l’agence nationale de sécurité sanitaire Anses a provoqué, le 15 juillet dernier, un véritable séisme dans la filière viticole bio, qui, à juste titre, s’interroge sur son avenir. « La filière, qui n’a rien vu venir, est sur le choc », confie à A&E Alain Camus, directeur général de Coopazur, coopérative agricole située dans le Var, qui fournit plus de 1 000 professionnels. « Cette décision va avoir un impact immédiat sur la viticulture en général et bio en particulier », note-t-il. Une inquiétude qui s’est traduite par la participation de plus de 800 personnes à un webinaire organisé sur ce sujet par la commission viticulture et œnologie bio de l’Institut technique de l’agriculture biologique et de l’Institut français de la vigne et du vin (IFV), le 8 octobre.

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« Jusqu’à présent, les viticulteurs en bio disposaient de 47 spécialités à base de cuivre. Aujourd’hui, il leur en reste 17, dont 15 qui sont suspendues à une prochaine réévaluation par l’Italie. Au final, seules deux spécialités réévaluées par l’Anses ont été maintenues en usage vigne », explique Éric Chantelot, responsable du secteur agroécologie de l’IFV.
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Certes, les spécialités commerciales dont les AMM n’ont pas été renouvelées pourront encore être achetées jusqu’au 15 janvier 2026 et utilisées pendant un an, c’est-à-dire jusqu’au 15 janvier 2027, et les spécialités en cours d’évaluation en Italie sont toujours utilisables selon les conditions d’usage indiquées sur l’étiquette actuelle. « Il n’y a donc pas vraiment de pression pour la campagne 2026 », rassure Éric Chantelot.
Le signal adressé par l’Anses ne fait aucun doute : à terme, l’usage du cuivre – indispensable à la filière bio – est menacé
Des retraits lourds de signification
Mais le signal adressé par l’Anses ne fait aucun doute : à terme, l’usage du cuivre – indispensable à la filière bio – est menacé. Or, le retrait total du seul fongicide autorisé en bio mettrait un terme à la production de vin labellisé AB, comme le suggère d’ailleurs une étude publiée en août dernier par l’Anses.
Il suffit d’analyser les contraintes imposées aux deux seules formulations maintenues, à savoir l’Hélio-cuivre et le Champ Flo Ampli, pour s’en rendre compte clairement : augmentation de la zone de non-traitement aquatique jusqu’à 50 m, ajout d’un dispositif végétalisé permanent de 20 m et, surtout, ajout d’une distance de sécurité vis-à-vis des personnes présentes et des riverains (distance entre un randonneur sur un sentier qui se trouve à côté d’un champ de vigne, par exemple) de 10 m. Ce qui va priver de protection toutes les vignes situées dans ce périmètre.
En outre, fin du lissage du cuivre – c’est-à-dire qu’il sera désormais interdit d’utiliser plus de 4 kg de cuivre par an pour ces deux produits – avec une dose maximale par application de 500 g et une cadence d’utilisation entre deux traitements de sept jours minimum. Enfin, ces deux spécialités devront porter l’ajout de la mention « SPe8 » concernant la protection des pollinisateurs, ce qui laisse supposer que l’Anses considère que le cuivre présenterait un danger pour les abeilles ! « Ces modifications d’usage sont applicables tout de suite, avec cependant un délai d’écoulement de ces deux spécialités avec l’ancienne étiquette jusqu’au 15 janvier 2026 », précise Philippe Kuntzmann, responsable technique VitiVina, la filière viticulture du Comptoir agricole. Et Éric Chantelot de préciser : « Concernant les spécialités commerciales évaluées prochainement en Italie, et dans le cadre de la reconnaissance mutuelle, on sait que la France les réévaluera selon sa propre grille d’évaluation. » Autrement dit : indépendamment des conditions d’autorisation qui seront décidées par l’Italie, en France, elles seront, au mieux, assujetties aux mêmes conditions d’usage que les deux formulations autorisées récemment. Comme le déplore Pauline Lagarde, consultante viticole chez Derenoncourt Vignerons Consultants : « Sur le terrain, ces nouvelles règles sont pratiquement inapplicables et signent l’arrêt de mort de la viticulture biologique. Sous climat océanique ou humide, ces contraintes représentent une impasse technique pure et simple. »
Dans la pratique, cependant, les vignerons bio disposent encore de quelques moyens pour contourner certaines des contraintes, en toute légalité. Notamment la cadence de sept jours entre deux traitements pour la même formulation, puisque rien ne les empêche d’alterner plusieurs produits, qui, pour comble de l’absurde, contiennent tous… du cuivre ! L’usage d’engrais foliaires à base de cuivre, qui n’est pas considéré comme un produit phytosanitaire, constitue une autre solution, certes à la limite de la légalité, à laquelle certains vignerons ont déjà recours. « Peut-on vraiment reprocher à ces viticulteurs de faire tout ce qui est possible pour sauver leurs raisins lors de fortes infestations de mildiou, alors qu’ils disposent de ces solutions ? », interroge Philippe Kuntzmann.
Un manque d’échanges entre l’industrie et l’Anses
Mais comment expliquer ce nombre important de retraits de produits ? « Comme les entreprises qui ont déposé leur demande ne disposaient pas des conditions d’exclusion fixées par l’Anses, il est fort probable, par exemple, que toutes les formulations avec un usage supérieur à 500 g/ha de cuivre métal aient systématiquement été exclues », indique Philippe Kuntzmann. « Dans un tel cas, l’Anses ne va pas demander à la firme de modifier son usage pour que le produit rentre dans ses critères, mais l’agence va simplement supprimer l’AMM », confirme Éric Chantelot, interloqué par ce manque de dialogue entre l’Anses et les firmes. Et il n’a pas tort.
« Sur le terrain, ces nouvelles règles sont pratiquement inapplicables et signent l’arrêt de mort de la viticulture biologique. Sous climat océanique ou humide, ces contraintes représentent une impasse technique pure et simple », déplore Pauline Lagarde
Pour sa part, Daniele Ruccia, président de l’European Union Copper Task Force, groupe de douze entreprises européennes possédant des AMM pour des formulations à base de cuivre, souligne que « la motivation des retraits, pour l’essentiel des cas, est justifiée par l’Anses en raison de la non-disponibilité de données permettant d’exclure un risque d’effet nocif pour le travailleur ». Il poursuit : « Il y a de la part de l’Anses une interprétation très différente de la nôtre sur les données d’absorption cutanée. Or, d’autres pays membres partagent plutôt nos conclusions, notamment l’Italie et l’Espagne, deux pays très concernés par la viticulture. »
L’ironie de toute cette affaire, c’est qu’après des années d’activisme des associations antipesticides pour renforcer le système d’homologation car ne le jugeant jamais assez sévère, la filière bio doive en subir à son tour les conséquences
Au bout du compte, le premier enseignement à tirer de cet épisode est le cruel rappel que toutes les filières, conventionnelles comme bio, ont un besoin impératif d’avoir accès à la protection de leurs cultures. Ensuite, que le cuivre, selon l’Anses, n’est pas un produit anodin : ni pour ceux qui l’utilisent ni pour les abeilles, comme en témoigne l’ajout de la mention SPe8. Enfin, que même s’il existe un risque, il serait imprudent de tout interdire, et qu’il est toujours plus raisonnable de prendre des décisions après avoir eu une concertation avec les protagonistes – entreprises et utilisateurs – plutôt que d’imposer une décision hors-sol.
Quoi qu’il en soit, l’ironie de toute cette affaire, c’est qu’après des années d’activisme des associations antipesticides pour renforcer le système d’homologation car ne le jugeant jamais assez sévère, la filière bio doive en subir à son tour les conséquences. Peut-être qu’à force d’être traînée devant les tribunaux par lesdites associations, où siègent souvent des magistrats perméables à l’alarmisme des militants antipesticides, l’Anses a tout simplement choisi de privilégier l’extrême prudence, au risque de mettre en difficulté des secteurs entiers de notre agriculture, conventionnelle ou bio, et de les soumettre à une distorsion de concurrence par rapport à des pays voisins plus pragmatiques…


