Yves d’Amécourt, viticulteur en Gironde et ancien secrétaire général du syndicat des AOC Bordeaux et Bordeaux supérieur, est référent ruralité, agriculture, forêt, pêche du parti Nouvelle Énergie fondé par David Lisnard. En excusivité pour A&E, il revient sur les causes de la crise que traverse la viticulture et propose quelques pistes pour en sortir
Le 10 mai, le vigneron Christophe Blanc, âgé de 59 ans, s’est donné la mort au milieu de ses vignes, à Saint-Magne-de-Castillon. Vous lui avez rendu hommage dans une tribune poignante. Quels enseignements tirez-vous de ce drame ?
Ce drame est bouleversant. Christophe Blanc n’est pas un cas isolé, il est le symbole d’un monde qui vacille. Comme moi, il avait repris la propriété familiale il y a trente ans. Il s’est battu. Mais il a fini par céder, seul, étranglé par les dettes, les charges, les normes, les non-réponses. Il faut savoir que chaque semaine, en France, plusieurs agriculteurs mettent fin à leurs jours. C’est une statistique effrayante, à laquelle nous ne devons pas nous habituer. Car il ne s’agit pas de faits divers, ce sont des appels à l’aide, des drames de vies humaines, d’engagements, de familles.
On a même vu en vente, en grande distribution, des Bordeaux à 1,50€ la bouteille. Qui peut croire qu’un tel prix rémunère la production du vin qu’il y a dans la bouteille ?
La viticulture subit depuis dix ans une succession d’épreuves : grêle, gel, mildiou, baisse de consommation, chute des cours, fermetures de restaurants, guerre en Ukraine, surcoûts énergétiques, pression normative… Le marché du vin est saturé, le foncier perd de la valeur, l’espoir d’une transmission s’amenuise. Les exploitations sont devenues invendables. On a même vu en vente, en grande distribution, des Bordeaux à 1,50€ la bouteille. Qui peut croire qu’un tel prix rémunère la production du vin qu’il y a dans la bouteille ? Tout cela est vraiment indécent !
Dans ce contexte, le moral s’effondre. Quand l’horizon est bouché, que les créanciers vous harcèlent, que les assurances ne couvrent plus rien, que la société vous montre du doigt, il ne reste plus alors que le silence des dimanches, quand le facteur ne passe pas et que le téléphone se tait. Le silence des chais. Un silence définitif, parfois.
En tant que référent agricole du parti Nouvelle Énergie, que proposez-vous pour sortir la viticulture de cette crise ?
Comme dans bien d’autres filières, nous constatons qu’en viticulture des moyens énormes ont été investis depuis trente ans dans la normalisation, les contrôles, la réglementation, la certification. On a même voté des lois sur le jour et l’heure où un acheteur doit rencontrer un vendeur, et la date à laquelle ils doivent se mettre d’accord sur le volume des marchandises échangées et sur leur prix ! Récemment, les gouvernements y sont allés de leur loi Égalim 1,2,3,4…Qui dit mieux ? Et ça ne marche pas !
Avec David Lisnard et notre groupe de travail constitué au sein de Nouvelle Énergie, nous avons le sentiment qu’il va falloir changer de méthode, de braquet, en libérant au lieu de contraindre, en instaurant la confiance au lieu de multiplier les contrôles, en rendant leur dignité et leur responsabilité aux agriculteurs. Ce ne sont pas de nouvelles dérogations moyennant de nouvelles contraintes dont nous avons besoin, mais de liberté ! Aussi ne réclamons-nous pas de nouvelles « mesures », mais un changement de cap radical, à Paris comme à Bruxelles.
Cependant, à court terme, il faut s’occuper d’éteindre l’incendie. Pour la viticulture, il convient de prendre en compte une réalité : il y a trop de vin pour la consommation actuelle. La France boit deux fois moins de vin qu’en 1991. La consommation de vin rouge a diminué de 30% en dix ans et on prévoit une diminution de 60% pour les dix ans qui viennent.
Alors, quand la demande chute et que la vigne ne peut s’arrêter de pousser, il faut bien se résigner à arracher. En Gironde, 18 000 hectares ont déjà été arrachés, ce qui correspond à 1 800 emplois directs (et 10 200 emplois indirects). L’objectif est d’arracher 100 000 hectares au plan national, soit de porter atteinte à 10 000 emplois directs (et 55 000 emplois indirects). Imaginez un plan social de cette ampleur dans une filière ! Quelque dramatique que ce soit, c’est néanmoins le seul remède possible pour ajuster l’offre à la demande, et faire ainsi remonter les prix et les rémunérations des viticulteurs.
Ensuite, il faut retrouver le chemin du bon sens. Savez-vous qu’aujourd’hui, un viticulteur passe jusqu’à 40% de son temps dans des démarches administratives ? C’est un mille-feuille kafkaïen ! Depuis que j’ai repris l’exploitation familiale, toutes les procédures se sont complexifiées : les douanes, la MSA, la DGFIP, le guichet unique de l’INPI, la création des ODG et des OC, de l’Inao, la fusion de l’Onivins dans FranceAgrimer… Les compétences s’entremêlent et se contredisent, même si, à chaque fois, on nous fait la promesse d’une simplification. Tenez, depuis la nomination de François Bayrou à Matignon le 13 décembre 2024, plus de 335 000 mots ont été rajoutés dans les 77 codes législatifs (principalement dans le code du travail, le code de l’environnement et le code de la santé publique) ! Cette inflation des mots nous coûte très cher.
La viticulture subit depuis dix ans une succession d’épreuves : grêle, gel, mildiou, baisse de consommation, chute des cours, guerre en Ukraine, fermetures de restaurants, surcoûts énergétiques, pression normative
En fin de compte, nous avons le sentiment de faire le travail à la place de l’administration, alors que, dans le même temps, les effectifs de l’administration augmentent. On est vraiment face à un immense gâchis, et les gens de bonne volonté qui œuvrent dans tous ces organismes sont les premiers à souffrir de ce qu’on ne peut appeler autrement qu’«un bordel administratif»!
Aussi, David Lisnard propose de redonner aux préfets le pouvoir d’adapter localement les dispositifs. L’épisode que nous venons de vivre à Bordeaux pour mettre en place le dispositif d’arrachage est proprement ubuesque, puisqu’il a fallu quatre ans pour prendre une mesure que tout le monde qualifiait d’« urgente » !
Autre exemple : récemment, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) s’est opposée, sous couvert du concept « des additionnalités », à un plan qui avait été établi avec la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) et sur lequel elle s’était engagée publiquement avec le préfet auprès des viticulteurs. Il a alors fallu recourir à l’arbitrage de Paris, à des réunions interministérielles et à la réécriture d’un article dans la quatrième version d’une méthode de prise en compte des aides, pour permettre aux viticulteurs qui avaient arraché leurs vignes de bénéficier du plan carbone lors du reboisement de certaines parcelles. Grotesque, non ?
En outre, de façon décourageante, tout le travail de simplification que nos représentants avaient mené avec l’un des derniers gouvernements a été réduit à néant avec le changement des équipes gouvernementales…
Et ce n’est pas tout. Dans la viticulture, nous avons inventé les AOC, qui ont permis à la France de structurer ses productions agricoles. Or, aujourd’hui, elles sont devenues un carcan pour notre filière. En témoignent les propos d’un ancien président régional de l’Inao, qui déclarait : « Si les AOC avaient existé à l’époque, on n’aurait inventé ni le Sauternes, ni le Champagne. »
Bien évidemment, il faut garder ce qui est bon. Mais il faut aussi donner libre cours à l’innovation viticole : accueillir de nouvelles expressions, répondre aux goûts des consommateurs, créer de nouvelles « recettes » culturales et gastronomiques. De même, il faut autoriser plus largement les cépages résistants ; ouvrir le dossier de la génétique, de façon à trouver des solutions alternatives à la chimie pour protéger les plantes, et des méthodes plus respectueuses de l’environnement et des cultures ; travailler sur le dossier de la fertilité des sols, pour donner aux sols des capacités de capter et de stocker du CO2, et améliorer nos productions. Et par-dessus tout, il faut remplacer l’écologie de « sanction » par une écologie « d’action »!
Avancer sur la viticulture 3.0, c’est concevoir des têtes de récolte géoréférencées, capables d’analyser la récolte, dont le rôle serait de produire des cartes des exploitations pour permettre d’adapter les pratiques culturales, tout en optimisant les charges pour réduire les intrants.
La défense du patrimoine et l’innovation ne sont nullement contradictoires. On ne peut pas nous dire en même temps « vous n’avez pas su vous adapter » et « vos cahiers des charges sont figés, il faudra dix ans pour les modifier ». « Aujourd’hui, la nouvelle génération de viticulteurs pour produire des innovations, choisit de le faire en dehors des AOC (vins sans indication géographique (VSIG) ou indication géographique protégée (IGP)) pour sortir du carcan. L’AOC ne profite pas de ces innovations et passe pour ringarde. C’est dommage ! »
Il y a quelques années, il a fallu batailler ferme pour obtenir l’autorisation d’utiliser, en France, le chêne œnologique que nos tonneliers commercialisaient dans le monde entier. Il a fallu pour cela attendre un vote des députés. Il y a quelques jours, l’Assemblée nationale s’est autorisée à légiférer sur le bon usage des drones en viticulture en introduisant un cadre réglementaire très restrictif. Au lieu de légiférer sur tout et n’importe quoi, les députés seraient mieux inspirés de travailler à simplifier la loi.
Dans la viticulture, nous avons inventé les AOC, qui ont permis à la France de structurer ses productions agricoles. Or, aujourd’hui, elles sont devenues un carcan pour notre filière
Il y a urgence à alléger le code rural et à faire en sorte que le local reprenne la main sur le national, et le national sur l’européen. Cela s’appelle « la subsidiarité », qui implique de rendre l’initiative à ceux qui savent, à ceux qui vivent la terre au quotidien. C’est à eux de décider s’ils veulent l’arbitrage de l’étage du dessus et pas le contraire !