Le Planet-score semble avoir le vent en poupe. Toutefois, outre qu’il apporte au consommateur davantage de confusion que d’éclairage, on peut aussi s’interroger sur l’indépendance de ceux qui gèrent cet affichage environnemental.
Déjà perdus dans la jungle touffue des labels et indicateurs, les consommateurs ont récemment découvert l’arrivée du Planet-score, nouvel étiquetage censé les informer sur l’impact environnemental d’un produit. Visuellement, il s’inspire du désormais bien connu Nutrition-Score, conçu pour renseigner sur l’aspect nutritionnel d’un produit. À la différence de ce dernier, le Planet-score se focalise sur les pesticides, la biodiversité et le climat, mentionnant, le cas échéant, le mode d’élevage des animaux. Une apparence similaire qui risque bien d’induire en erreur les consommateurs, comme l’a remarqué le quotidien L’Union en avril dernier, qui relate la déconvenue d’une consommatrice ayant acheté un produit porteur du label Planet-score « en pensant que ses qualités nutritionnelles étaient notées “A” alors qu’il était question de respect de l’environnement ».

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À cela s’ajoute, comme l’a mis en évidence une étude publiée en juin 2024, réalisée par des chercheurs de l’université Justus-Liebig de Giessen en Allemagne, le risque d’un effet dit « de halo », à savoir un biais cognitif qui affecterait le consommateur. Celui-ci serait ainsi amené à attribuer des vertus nutritionnelles à un produit ayant une bonne note sur l’impact environnemental. Dans un article, l’UFC-Que Choisir, pourtant partenaire du Planet-score, se fait l’écho de cette étude, rapportant qu’après avoir confronté plus de mille testeurs à des paquets de chips, de pâtes et de yaourts porteurs d’un Éco-Score (indicateur concurrent de Planet-score) soit A (la meilleure note), soit C, soit E (la pire), les chercheurs ont en effet constaté cette confusion entre vertus environnementales et vertus nutritionnelles. Ainsi, de nombreux consommateurs « jugeaient les produits porteurs du A [Éco-Score] meilleurs pour la santé et plus savoureux, et ceux dotés d’un E au contraire moins équilibrés et moins appétissants. Le phénomène se produisait quelle que soit la nature du produit ». Aussi l’association de consommateurs s’interrogeait-elle sur « le risque de promouvoir la consommation d’aliments déséquilibrés, dans le cas où ces derniers seraient peu dommageables pour l’environnement ».
La stratégie marketing s’adapte
Profitant de cette confusion, de nombreuses entreprises ont décidé de modifier leur stratégie marketing en favorisant le Planet-score au détriment du Nutri-Score. C’est le cas de Bjorg, marque française d’alimentation bio du groupe Ecotone, qui a retiré à la fin 2023 le Nutri-Score de ses produits, au moment précis où cet indicateur allait durcir ses critères d’évaluation. En effet, d’après les calculs de l’UFC-Que Choisir, « la moitié des biscuits commercialisés sous cette marque se seraient vu noter E, dès 2024, et un tiers de ses boissons végétales seraient tombées de A ou B à D ou E ». En choisissant de remplacer cet indicateur par le Planet-score, Bjorg a ainsi pu maintenir une vignette verte (A ou B) sur « 99% de ses produits » !
Profitant de cette confusion, de nombreuses entreprises ont décidé de modifier leur stratégie marketing en favorisant le Planet-score au détriment du Nutri-Score
Même démarche pour Lactel, une marque de lait du groupe Lactalis. En mars dernier, lors d’une conférence de presse, Anne Charlès-Pinault, directrice générale du groupe agroalimentaire mayennais, a pointé du doigt les failles réelles que présente le Nutri-Score, soulignant qu’il ne prend pas en compte l’apport en calcium pour les produits laitiers et qu’il est calculé uniquement pour cent grammes de produit. « Le Nutri-Score ne répond donc pas à ce que nous attendons d’un affichage nutritionnel juste pour les consommateurs », a-t-elle insisté, avant de révéler que la première marque nationale de lait UHT avait décidé d’opter pour le Planet-score… mais seulement pour sa gamme de lait bio, dans le dessein de « créer de la valeur sur le segment bio, en difficulté depuis plusieurs années ». Au dernier Salon international de l’agriculture, Sabine Bonnot, l’une des principales responsables du Planet-score, se félicitait pour sa part que ce référentiel soit « devenu leader en France ». Largement promu par l’UFC-Que Choisir, Planet-score figure ainsi désormais sur 200 millions d’emballages et sur plus de 135000 produits alimentaires dans son application mobile. Sans surprise, on y retrouve principalement les grands et petits noms du secteur bio (Biocoop, Bjorg, Jardin Bio…), mais aussi, de façon plus étonnante, des acteurs de la grande distribution (Carrefour, Lidl, Intermarché…) et de l’agroalimentaire (Nestlé, Candia…).
Or, Planet-score est une marque privée, portée par le lobby du bio et la nébuleuse écologiste, et conçue par et pour le bio. Mis au point en 2021 par l’Institut technique de l’agriculture bio (Itab), alors présidé par Sabine Bonnot, Planet-score était destiné à concurrencer l’Éco-Score, marque déposée par l’Ademe.
Une indépendance qui questionne
Aujourd’hui, la marque est détenue par le Solid Grounds Institute, un fonds de dotation créé en décembre 2023 qui en « assure l’indépendance, l’intégrité et l’expertise », mais dont une partie de l’activité consisterait en du lobbying. Se faisant fort d’« accompagner le secteur agricole et agroalimentaire avec de la nuance et des outils d’éco-conception qui ne permettent ni greenwashing, ni agribashing », le Solid Grounds Institute entend œuvrer « de manière indépendante : sa gouvernance, libre de tout conflit d’intérêt, réunit des scientifiques, experts et acteurs associatifs. Il n’y a pas d’entreprises ni de filières dans la gouvernance. Ses membres exercent leurs fonctions à titre gratuit et bénévole ».
Toutefois, le profil de ses onze administrateurs jette le doute sur l’indépendance et l’impartialité de la structure. Le Solid Grounds Institute est ainsi présidé par Pierre-Henri Gouyon, longtemps membre du Criigen et de la Fondation Nicolas Hulot, qui est connu pour ses positions radicales contre les pesticides et les OGM. En assure la trésorerie Sabine Bonnot, par ailleurs membre de la commission agricole du parti Les Écologistes, qui a quitté l’Itab dans un contexte houleux où sa gestion des affaires et le rôle de son mari étaient mis en cause (voir «Dans les coulisses sombres de l’Itab », A&E, dé- cembre 2022). Quant à la vice-présidente du fonds, Nathalie Masbou, elle a également été longtemps membre du bureau de l’Itab, tout en étant vice- présidente de Bio 46, le groupement des agriculteurs bio du Lot.
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Du côté des associations connues pour leurs campagnes d’agribashing, on trouve Générations Futures, représentée par le pionnier du bio Claude Aubert, ou encore Agir pour l’environnement, sous la houlette de Marie-Jeanne Husset. Et la présence de cette dernière association n’est pas anodine lorsqu’on sait que son référent agricole estJacques Caplat, par ailleurs président d’Ifoam France, le principal lobby bio.
Si l’on considère les membres des collèges experts, la perplexité reste de mise. Ainsi, deux experts sont responsables de la plateforme web Dephyto, qui assiste « les entreprises agroalimentaires dans l’analyse et la compréhension de leurs performances environnementales (Pesticides, Climat, Biodiversité, et Mode d’Élevage le cas échéant) et dans le calibrage de trajectoires pour améliorer la valeur environnementale de leurs productions », et un autre est le président de Biospheres, une entreprise qui aide « les organisations à avoir des impacts positifs directs, concrets et mesurés sur l’environnement, les émissions de CO2 et la durabilité des filières ».
Ce douteux mélange des genres n’est pas vraiment de nature à rassurer sur l’indépendance d’un référentiel malheureusement adopté par certains acteurs du monde agricole
Autrement dit, le Solid Grounds Institute et Planet-score collaborent avec des entreprises dont le business consiste… à verdir les mauvaises notes rouges !
Dernier point assez énigmatique: le Solid Grounds Institute a confié la licence de la marque Planet-score à la SAS Planet-score, « qui assure la diffusion du dispositif d’étiquetage et d’écoconception sur les produits alimentaires et agricoles ». Quoiqu’elle ait été constituée en mars 2023, aucune information concernant ses activités lucratives n’est aujourd’hui disponible. Cependant, on retrouve parmi ses actionnaires l’Itab, Sabine Bonnot ainsi que son mari Stéphane, nommé directeur général en janvier 2025, alors que, depuis le 20 juin, la présidence est assurée par la SAS Clear Dots, une entreprise créée en février dernier et dont les deux responsables sont… Sabine et Stéphane Bonnot.
Ce douteux mélange des genres entre activités lucratives, recherche scientifique, intérêts économiques et militantisme radical n’est pas vraiment de nature à rassurer sur l’indépendance d’un référentiel malheureusement adopté par certains acteurs du monde agricole, comme Soufflet du groupe InVivo, Terrena ou encore Cooperl.